MAGAZINE – Souheil Ben Barka : fluide planséquence

Parmi ceux appelés à la haute destinée du Centre cinématographique marocain (CCM), on ressort avec trois noms bouleversants de pragmatisme, tonnants et tonitruants. Ils se nomment tel un déchirement orageux. Le Maroc les a eus, plus depuis. Cela fait partie des spécificités incompréhensibles d’une contrée pourtant assez éloignée des tractations réfléchies. Après Kouider Bennani la semaine passée, voici le tour de Souheil Ben Barka avant celui de Nour-Eddine Saïl.

Une coquette histoire vient tout de suite à l’esprit. En juillet 1986, le cinéaste est « embarqué » par l’avantbras droit de Hassan II, l’impayable ministre de l’Intérieur et de l’Information Driss Basri. Destination, à priori, inconnue, mais le tracé de la trajectoire commence petit à petit à se dévoiler. Ben Barka est conduit au Palais royal. L’hôte, le roi, explique au réalisateur qu’il l’engage pour deux années au CCM afin de le dynamiter. Souheil y restera près de dix-neuf ans. La réussite, avec bien évidemment l’appui du Palais, est sans cesse palpable : développement de la production nationale, renforcement des tournages étrangers… En ce temps, l’ambitieux Ben Barka est sur le chantier de construction de salles obscures contenant des lieux de distractions à travers le pays : les Dawliz. Projets destinés à l’abandon lorsque la piraterie et le flux des chaînes satellitaires imposent leur loi sans pour autant dépouiller le propriétaire de ses complexes immobiliers et d’hôtellerie. Ben Barka met également en place des studios de cinéma à Ouarzazate. En 2009, son successeur et président de la Fondation du festival africain de Khouribga Nour-Eddine Saïl lui rend ainsi hommage lors d’une cérémonie spécifique : « Souheil Ben Barka reste l’une des figures de proue du cinéma marocain et africain eu égard à sa riche expérience et des sacrifices qu’il a consentis pour le 7ème Art. Le cinéaste a joué un grand rôle dans l’émancipation de plusieurs acteurs et réalisateurs au Maroc comme à l’étranger. » Lors de cette consécration, l’actrice et réalisatrice Zakia Tahiri évoque Ben Barka, absent ce soir-là pour des raisons de santé : « Un homme totalement versé dans les faits filmiques et la créativité cinématographique. Un homme aux vies multiples, au parcours sinueux et déroutant, tour à tour et souvent en même temps réalisateur, producteur, distributeur, pilote d’avion, Souheil a accompli ses missions avec passion, ténacité et bonheur. Attaché aux causes africaines, il voit son étoile briller quand il a rencontré dans les années 1960 le maître incontesté du cinéma italien, Federico Fellini, dans une rue de Rome alors qu’il tournait ‘’Huit et demi’’. Quelques heures à regarder le maestro travailler ont suffi à bouleverser le cours de sa vie : sa décision était prise. Il sera cinéaste, avec cette belle envolée : ‘’le cinéma, c’est l’art de faire l’impossible tout de suite et le possible plus tard’’. » Du parcours, vous dit-on. 
 
Pilote, journaliste, sociologue
Ce natif du Mali (Tombouctou, Noël, 1942), originaire de Goulimine, est de mère chrétienne libanaise. Adolescent, il rentre au Maroc où il décroche un baccalauréat en mathématiques avant de se rendre à Rome pour peaufiner ses études. Il rêve de devenir pilote mais choisit le journalisme. Il fait parallèlement des études en sociologie et force la porte du Centro Sperimentale di Cinematografia de Rome. L’un de ses condisciple se nomme Bernardo Bertolucci. Ben Barka se trouve ensuite une place auprès de Pier Paolo Pasolini à qui il assure l’assistanat. Celui-ci a besoin d’un connaisseur du Maroc pour le tournage du film « L’Évangile selon saint Matthieu ». Le Marocain poursuit son expérience avec Pasolini sur « Œdipe Roi ». En Italie, il a l’occasion de travailler pour les besoins de l’agence de presse ACIGRAF à Milan. Entre 1966 et 1969, il y évolue en tant que journaliste et produit des documentaires pour la chaîne Rai. Il retourne au Maroc en 1972 où il embrasse une carrière de réalisateur, scénariste et producteur. « Son premier long métrage ‘’Les Mille et Une Mains (1974)’’ oppose les ouvriers teinturiers et les commerçants prospères de tapis. Il glisse ainsi d’une approche presque documentaire à un manifeste didactique pour susciter l’indignation et la prise de conscience. Ben Barka est alors considéré comme un cinéaste très engagé, réputation qu’il conservera avec ses films suivants : ‘’La guerre du pétrole n’aura pas lieu (1975)’’, victime d’une interdiction à la suite de pressions de l’Arabie saoudite et de l’Iran. Par son inspiration et son traitement, ‘’La guerre du pétrole n’aura pas lieu’’ rappelle ‘’L’Affaire Mattei’’ de Francesco Rosi et les films politiques d’Elio Petri[8]. Son film suivant ‘’Noces de sang (1977)’’ est une transposition du drame de Federico García Lorca dans le sud marocain. » Du parcours, vous dit-on.
 
Cinéaste et stratège
Autour de l’apartheid en Afrique du Sud, paraît en 1983 «Amok » grâce vraisemblablement à un financement du président guinéen Ahmed Sékou Touré. « Les Cavaliers de la gloire » (1990) retrace les mésaventures du prince Abdelmalek, chassé de son pays par ses propres frères; « L’Ombre du pharaon » (1996) est un constat critique du pouvoir Égyptien ; « De sable et de feu », l’histoire de Domingo Badia, un agent secret espagnol qui se fait passer pour un prince abbasside et espère devenirsultan du Maroc au début du XIXe siècle. A la recherche d’un rayonnement international, le producteur, scénariste, réalisateur et distributeur de ses propres films, engage des acteurs étrangers de poids: Mimsy Farmer, Harvey Keitel, Florinda Bolkan, Claudia Cardinale, Marie-Christine Barrault, Helmut Berger, Fernando Rey, Philippe Léotard, Claude Giraud, Sacha Pitoëff,Irène Papas, Laurent Terzieff… Souheil Ben Barka ne compte que huit longs-métrages, exceptés d’innombrables documentaires et films publicitaires. Le cinéaste se révèle stratège et occupe de multiples autres postes, notamment la direction générale du Centre cinématographique. Du parcours, vous dit-on.

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