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Canicule : Peut-on rendre nos bâtiments moins énergivores ? [INTÉGRAL]

Alors que les épisodes de canicule se multiplient et s’intensifient, la question des normes thermiques dans le bâtiment revient avec acuité. Face à l’urgence climatique et à une facture énergétique croissante, le Maroc, qui mise sur l’efficience énergétique, peut-il rendre son secteur du bâtiment moins énergivore ?

Les épisodes de canicule, de plus en plus intenses et fréquents sous l’effet du changement climatique, mettent en lumière la vulnérabilité thermique du secteur du bâtiment. Mal isolés, mal ventilés ou conçus sans tenir compte du confort d’été, moult logements, sociaux ou même haut-standing, accumulent la chaleur en journée et peinent à se rafraîchir la nuit, rendant l’usage de la climatisation presque inévitable. Ainsi, qu’il s’agisse de faire face à la chaleur estivale ou au froid hivernal, la mauvaise qualité thermique du bâti entraîne une surconsommation d’énergie. C’est pourquoi la facture énergétique s’alourdit, été comme hiver. « Le secteur du bâtiment est parmi les secteurs les plus énergivores au Maroc avec une consommation énergétique allant jusqu’à 33% répartie en 7% pour les bâtiments tertiaires et 26% pour les bâtiments résidentiels», souligne l’Agence Marocaine pour l’Efficacité Énergétique (AMEE) dans son site web.
 
Cadre normatif
La consommation énergétique des bâtiments au Maroc continue d’augmenter, portée par la croissance démographique, l’émergence de nouvelles villes et le recours massif aux systèmes de climatisation et de chauffage. Ce phénomène pèse lourdement sur la demande énergétique nationale. Pourtant, le secteur du bâtiment représente à lui seul un potentiel d’économie d’énergie estimé à 40 %, souligne l’Agence Marocaine pour l’Efficacité Énergétique (AMEE). Pour y répondre, le Maroc a amorcé une politique d’efficacité énergétique avec l’adoption de la loi 47-09 en 2009. Toutefois, contrairement à d’autres pays qui imposent un diagnostic de performance énergétique (DPE) pour évaluer et rénover les logements les plus énergivores, appelés « passoires thermiques », les efforts marocains se concentrent principalement sur les nouvelles constructions.

Le principal outil réglementaire en vigueur est le Règlement Général de Construction (RGC), qui fixe des exigences de performance énergétique adaptées aux différentes zones climatiques du pays. Bien que le Maroc ne dispose pas encore d’un système national de classification énergétique des bâtiments, il a mis en place, depuis 2015, une Réglementation Thermique de la Construction au Maroc (RTCM), obligatoire pour l’obtention du permis de construire. Pour accompagner les acteurs du secteur, l’AMEE a développé Binayate, un logiciel gratuit permettant d’évaluer la conformité des bâtiments résidentiels ou tertiaires à la RTCM, selon deux approches : performancielle et prescriptive. Ce logiciel s’adresse aux architectes, ingénieurs, administrations, universitaires et professionnels du bâtiment. L’AMEE rappelle que la réglementation thermique est hautement rentable, tant pour le résidentiel que pour le tertiaire. Le surcoût lié à une mauvaise isolation est estimé entre 2,1 et 4,3 % pour le secteur résidentiel, et autour de 3 % pour le tertiaire. À l’inverse, une bonne isolation permet de réaliser des économies d’énergie significatives, estimées entre 39 à 64 % dans le résidentiel et 40 à 59 % dans les bâtiments tertiaires. Autant d’arguments en faveur d’une généralisation des normes thermiques à l’échelle nationale.
 

Constructions exist
Au regard du fort potentiel d’économie énergétique, et donc économique, que représente le secteur du bâtiment, il devient légitime de s’interroger sur la nécessité d’étendre le chantier de l’efficacité énergétique aux constructions existantes, en particulier celles qui souffrent d’une mauvaise isolation thermique. Si les efforts se concentrent aujourd’hui sur les bâtiments neufs, la rénovation énergétique du parc ancien constitue un levier stratégique pour réduire la consommation globale d’énergie. Toutefois, les coûts souvent élevés de ce type d’intervention représentent un frein important pour de nombreux ménages, en particulier les plus modestes, et soulignent la nécessité de mécanismes d’accompagnement public, sous forme d’aides, de subventions ou de crédits incitatifs.

Un tel investissement s’avérerait rentable à moyen et long terme sur deux plans : d’une part, une réduction notable de la consommation d’énergie, dans un contexte où chaque kilowatt économisé compte ; d’autre part, une contribution significative à la baisse des émissions de gaz à effet de serre, en cohérence avec les engagements climatiques du Royaume.

3 questions à Abdellatif Assaghir : « Il est désormais obligatoire pour les constructeurs d’intégrer des mesures d’efficacité énergétique »
Au Maroc, les constructeurs sont-ils légalement tenus d’intégrer des mesures d’efficacité énergétique dans leurs projets ?
Oui, au Maroc, il est obligatoire pour les constructeurs d’intégrer des mesures d’efficacité énergétique dans leurs projets. La politique gouvernementale en matière d’Efficacité Énergétique objet de la loi 47-09 qui date de 2009, et qui dans le domaine du bâtiment se décline notamment en directives qui sont consignées essentiellement dans la RTCM de 2015 et à travers l’audit énergétique obligatoire à partir d’un seuil de consommation fixé par la loi (500 TEP – Tonne Equivalent Pétrole – pour le secteur tertiaire et 1500 pour le secteur industriel).
 

Quelles techniques d’isolation thermique existent dans le marché marocain pour améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments ?

Il convient d’abord de noter qu’il existe deux méthodes d’isolation de l’enveloppe des bâtiments. Premièrement, l’isolation de la paroi extérieure (ITE) est constituée de la paroi, de l’isolant et de la protection. Deuxièmement, l’Isolation Thermique de l’Intérieur (ITI) qui est par ailleurs le mode le plus répandu, composé de la paroi, de l’isolant, du pare-vapeur et de la finition. Pour les isolants au Maroc, on retrouve essentiellement trois grandes familles : les isolants à base de matière minérale comme la laine de verre et la laine de roche, les isolants synthétiques comme le polystyrène et le polyuréthane et, enfin, les isolants à base de ressources naturelles comme le liège et les fibres de chanvre.
 

Existe-t-il des défis techniques lors de l’installation de solutions d’isolation thermique dans des bâtiments existants?

Oui, l’implémentation de solutions d’isolation thermique dans des édifices déjà en place pose divers défis techniques. À la différence des constructions neuves, où l’isolation est intégrée dès la conception, les projets de rénovation exigent une adaptation à des structures déjà existantes, ce qui peut rendre la mise en place des solutions d’isolation plus difficile. Il est important de souligner que l’un des défis auxquels nous sommes confrontés sur le marché marocain est de choisir des techniques d’isolation qui assurent à la fois une bonne performance acoustique et thermique. Par exemple, il est préférable de mettre en place un double vitrage asymétrique plutôt que des vitrages symétriques. De plus, il est préférable d’opter pour des matériaux souples à cellules ouvertes qui jouent le « rôle ressort », comme la laine minérale, plutôt que des matériaux rigides à cellules fermées tels que la mousse polyuréthane.

Ingénierie : Adapter un bâtiment à la canicule
Pour faire face à des étés de plus en plus chauds, plusieurs solutions permettent de mieux adapter les bâtiments aux épisodes de canicule. Une bonne isolation thermique (toiture, murs, fenêtres) limite les gains de chaleur en journée. L’utilisation de matériaux à forte inertie thermique, comme le béton ou la terre crue, aide à ralentir la montée en température. 

Des protections solaires extérieures (volets, brise-soleil, stores) réduisent le rayonnement direct. La ventilation naturelle, grâce à des ouvertures bien orientées et traversantes, permet de rafraîchir efficacement la nuit. La végétalisation des toitures, des façades ou des abords immédiats du bâtiment réduit l’effet d’îlot de chaleur urbain. Ces solutions dites passives améliorent le confort d’été tout en limitant le recours à la climatisation, réduisant ainsi la consommation énergétique.

PEA : Devoir d’exemplarité étatique
Le Maroc a adopté en 2019 le Pacte de l’Exemplarité de l’Administration (PEA) pour rendre les bâtiments publics plus économes en énergie. Ce pacte s’inscrit dans le cadre de la Stratégie Nationale de Développement Durable, et vise à promouvoir des pratiques respectueuses de l’environnement. Supervisée par l’Agence Marocaine pour l’Efficacité Énergétique (AMEE), cette initiative inclut des diagnostics énergétiques, l’installation de systèmes d’éclairage basse consommation, et l’amélioration de l’isolation thermique dans les bâtiments administratifs. Les audits menés par l’AMEE ont permis d’identifier des économies d’énergie allant jusqu’à 30%, grâce à des mesures simples, comme l’amélioration de l’efficacité des équipements et la réduction des consommations inutiles. Cependant, de nombreux bâtiments publics doivent encore être rénovés pour atteindre les objectifs fixés, notamment en termes d’isolation et d’intégration des énergies renouvelables. Les résultats sont encourageants, mais la mise en œuvre reste progressive, et des efforts supplémentaires sont nécessaires pour faire de l’administration publique un modèle durable. Le PEA s’inscrit également dans la lutte contre le changement climatique, en phase avec les engagements internationaux du Maroc en matière d’environnement, en visant une réduction significative de l’empreinte carbone des bâtiments publics. À terme, ce pacte a pour objectif d’améliorer la gestion énergétique et de renforcer l’exemplarité de l’État en matière de durabilité.

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