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Dar Zouaoui, un joyau architectural au cœur de la médina de Salé

Dar Zouaoui est l’une des dernières grandes demeures construites à Salé au XXe siècle, incarnant la pure tradition architecturale arabo-andalouse de la ville. Érigée vers 1950 par le vizir Hajj Abdallah Zouaoui (1909-1994), cette demeure est un témoignage vivant de l’art de vivre raffiné et du savoir-faire ancestral à Salé. Abdallah Zouaoui était le fils de Hajj Mohammed Ben Mekki Ben Ahmed Zouaoui (1866-1966), qui était faqih et adel auprès de la nadara des habous de Salé. Il avait également succédé à son père comme mouaqit de la Grande Mosquée de Salé et moqaddem de la zaouia Tijania. 

La famille Zouaoui est l’une des grandes familles historiques de Salé. Elle aurait participé à la célèbre bataille de Oued Al Makhazin en 1578. La famille conserve encore un dahir datant du XVIe siècle, attestant de la nomination d’Ahmed Ben Omar Zouaoui comme Gouverneur de Salé par le Sultan Ahmed al Mansur Dahbi. Depuis au moins 400 ans, les Zouaoui occupent la charge de mouaqit de la Grande Mosquée de Salé. En plus de ce sacerdoce, les Zouaoui étaient traditionnellement aussi moqaddem-s de la zaouia Tijania à Salé.

Une architecture unique et un patrimoine à préserver
Dar Zouaoui est l’un des derniers témoins intacts du faste des demeures aristocratiques slaouies. Située dans le quartier historique Tala’a, en face de la Grande Mosquée de Salé et de la Médersa mérinide, cette demeure se distingue par son très bon état de conservation. 

Cette grande demeure des Zouaoui fait partie de ces dernières vastes demeures bâties à Salé au siècle dernier à l’instar de Dar Hajj Mohamed Benomar à Jarda ou de la maison de Boubker Ben Hajj Ali Aouad dans le quartier Qsatla dans laquelle la princesse Lalla Aicha prononça son célèbre discours en 1947. Contrairement à ces deux grandes demeures, Benomar et Aouad, dont les cours centrales « Wast ad-Dar » ont remplacé les arcades et les colonnes du patio au profit de panneaux de bois en « zwaq » qui ceignent le pourtour supérieur du patio, Dar Zouaoui a conservé les anciennes caractéristiques originelles de l’architecture domestique de Salé et notamment ses arcades et ses péristyles, les nbeh-s.

Derrière ses modestes portes et des murs extérieurs blanchis à la chaux se cache un intérieur d’une richesse insoupçonnée. Le patio carré agit comme un point focal ou un centre autour duquel les façades sont conçues symétriquement, créant une harmonie visuelle, une organisation géométrique ainsi qu’une luminosité optimale.

La particularité de Dar Zouaoui réside dans ses deux patios principaux, résultat d’une construction en deux temps. L’acquisition tardive d’un terrain adjacent permit d’ajouter un second patio, conçu comme un jardin persan « Charbagh », divisé en quatre parties rappelant le Patio des Lions de l’Alhambra. Les sols sont recouverts de marbre gris clair ou de zelliges, tandis que les patios sont entourés d’arcades et colonnades en pierre.

Les arcs en pierre taillée présentent tous des muqarnas, tandis que les corbeilles des chapiteaux mérinides ou nasrides sont décorées de feuilles d’acanthe stylisées. Les grandes portes sont surplombées de claustras en stucs ajourés typiques de l’architecture mérinide et andalouse. Les couleurs des fenêtres en verre polychrome (zaj la’raqi) dialoguent avec celles des zelliges dans un décor chatoyant. Dans les chambres latérales d’une hauteur sous plafond remarquable, on trouve à chaque extrémité de la pièce de grandes alcôves délimitées par de grands arcs en muqarnas d’où pendent de riches tentures de brocart. 

Contrairement aux autres grandes demeures de Salé construites sur deux étages symétriques, Dar Zouaoui ne possède pas de « derbouz » et donne l’impression d’être entièrement construite en rez-dechaussée. La partie supérieure de ses façades intérieures est ceinte d’une frise en « pierre de Salé », la calcarénite, finement sculptée.

Le grand salon est une véritable œuvre d’art. Partout où se pose le regard, il y a une profusion de décors complexes et élégants. Nulle surface est vide. Les murs sont couverts de zelliges et de stucs finement sculptés et de calligraphies colorées. Le plafond en bois peint (zwaq), très haut et creusé de trois petites coupoles, abrite un lustre à vases caliciformes festonnés que l’on ne retrouve plus aujourd’hui et qui rappelle les lustres de cristal de Baccarat et de Bohême des palais ottomans. De chaque côté du salon se trouvent de grandes alcôves séparées par des arcades ornées de tentures somptueuses en brocart. De part et d’autre de la niche centrale en muqarnas en bas-reliefs trônent deux portraits encadrés : celui de Hajj Mohammed Ben Mekki Zouaoui à gauche et à droite celui du Cadi Driss Ben Abdallah Benkhadra, beau-père de Abdallah Zouaoui et père de son épouse Halima Benkhadra. 

La demeure d’Abdallah Zouaoui, nationaliste, vizir et voyageur
L’heureux propriétaire de cette grande demeure palatiale, Abdallah Zouaoui (1909-1994), fut un notable et un érudit. Il était un des premiers ingénieurs agricoles du Maroc diplômés en France. Abdallah Zouaoui occupa plusieurs fonctions prestigieuses. Il fut notamment président de la Fédération des chambres marocaines d’agriculture du Maroc, président de la Chambre marocaine d’Agriculture de Rabat puis délégué du Grand Vizir Mohammed El Mokri à l’agriculture en 1950. 

Surnommé « Ibn Battuta » pour ses nombreux voyages dans une époque où peu de Marocains avaient les moyens ou les opportunités pour explorer le monde ou de se doter d’un passeport, Abdallah Zouaoui parcourut l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie dès les années 1930. En 1931, en compagnie des nationalistes marocains Ahmed Balafrej, Mustapha Al Gharbi, le slaoui Mohammed Hajji (négociant à Londres), Tayeb Al Gharbi et Bouchaib Doukkali, Abdallah Zouaoui assista à l’exposition coloniale internationale à Paris. Le groupe visita également la Grande Mosquée de Paris et fut reçu par l’ancien Sultan Moulay Abdelhafid. 

Abdallah Zouaoui effectua le pèlerinage plusieurs fois. À partir de 1935, il découvrit l’Égypte, le Hedjaz, le Levant, l’Irak, la Palestine et la Turquie. À Bagdad, il rencontra le ministre de l’éducation irakien Rida El Chabibi. C’est le célèbre journaliste et explorateur irakien Younes Bahri, connu pour ses émissions sur les ondes de la Radio Arabe de Berlin, qui encouragea Abdallah Zouaoui à effectuer ce pèlerinage. Bahri séjourna au Maroc, notamment à Salé chez la famille Zouaoui. Ce fut une occasion pour l’intelligentsia arabe de se rencontrer et de nouer des liens. 

Lors de ce pèlerinage, Abdallah Zouaoui fut accompagné de personnalités telles que des Pakistanais, le naqib al-Arab de Sumatra à Java et Cheikh Omar, un des grands tujjar de Java en Indonésie. La situation instable en Arabie nécessita une escorte spéciale pour assurer la sécurité des pèlerins. Le roi Abdelaziz Ibn Saoud fit accompagner les jeunes Marocains par un blindé entre Médine et Bagdad. Ce voyage dura une semaine.

À Bagdad, Abdallah Zouaoui fut convié à une réception prestigieuse organisée au Tigris Palace par Younes Bahri et le journal Al Oqab en l’honneur des personnalités arabes présentes dans la capitale arabe. Parmi les invités figuraient Salem Awd Sinkar (un des leaders arabes à Java), l’historien de Tétouan Mohammed Daoud, Abdallah Zouaoui qui était alors président du Club littéraire islamique de Salé, son oncle Abdenbi Zouaoui un des tujjar de Salé, et Omar Bahjaj doyen des Arabes à Medan (Sumatra). D’autres invités prestigieux incluaient Mohammed Zaki Bey (ministre de la Justice), Raouf Bey al-Bahrani (ministre des Finances), Yassin Pacha al-Hachimi (Mendoub du Premier ministre), Raouf Bey al-Kubaisi (Directeur général des waqfs), Houssam Ad-Din Bey (directeur général des prisons), Dr. Fadhel al-Jamali (directeur général de l’Éducation, célèbre intellectuel et nationaliste arabe et futur Premier ministre irakien) ou encore l’ouléma Hajj Nouman Efendi al-Adhamy. À cette occasion, le poète et linguiste de Mossoul Mahmoud al Mallah composa un poème « Aux Arabes du Maghreb ».

Après cette réception mémorable, Abdallah Zouaoui passa l’Aïd al-Mawlid à Sarajevo en BosnieHerzégovine avec son oncle Abdenbi et l’historien Mohammed Daoud. Ils furent accueillis par Cheikh Al Islam ou le Reisul-ouléma, probablement Ibrahim Maglajlić. Ce dernier leur demanda des nouvelles d’Ahmed Balafrej et de Mekki Naciri, dont la réputation dépassait les frontières marocaines. 

Abdallah Zouaoui séjournera également en France, en Italie et en Belgique lors d’un voyage qui dura sept mois. Il y fit la connaissance de plusieurs personnalités influentes dans ces pays. 

Malgré son état remarquable, Dar Zouaoui n’a pas été intégrée au projet de réhabilitation de la médina de Salé. De nombreuses demeures historiques ont disparu sous les décombres ou ont été démolies, emportant avec elles une partie inestimable du patrimoine marocain et de la mémoire de la ville du Salé et du Maroc. 

Dar Zouaoui demeure aujourd’hui un symbole vivant du riche héritage architectural et culturel slaoui. Sa préservation est essentielle pour transmettre aux générations futures l’histoire d’une ville dont les grandes familles ont façonné l’identité depuis des siècles. Ces grandes demeures, comme toute la médina de Salé, mériteraient d’être mieux protégées par une inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO.

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