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​Déforestation et dégradation des forêts : La loi UE aux conséquences désastreuses pour les Etats subsahariens

L’Afrique subsaharienne, qui perd environ 3,9 millions d’hectares de forêts par an et dont 45% des terres sont touchées par la désertification, reste un producteur et un exportateur majeur des matières premières et des produits couverts par la nouvelle loi européenne. Avec la nouvelle loi de l’UE sur ce secteur, c’est un pan de l’économie africaine qui risque de prendre un sérieux coup quand on sait que le cacao, le café, le soja, le bois et l’huile de palme sont des produits vitaux pour la région.

Plus on s’approche de la date fatidique de l’entrée en vigueur du règlement de l’Union Européenne (UE) contre la déforestation et la dégradation des forêts (RDUE), prévue en décembre 2025, plus les inquiétudes en Afrique subsaharienne grandissent. Car la mise en œuvre de la loi sur la déforestation pourrait entraîner un coût annuel de 11 milliards de dollars pour les pays d’Afrique subsaharienne en termes de pertes de recettes d’exportation de matières premières agricoles.

C’est ce que révèle un rapport récent intitulé «The EU deforestation regulation:trade and investment implications for sub-Saharan African countries». Le document rappelle que la loi anti-déforestation de l’UE imposera des obligations à toutes les entreprises qui importent certaines matières premières en Europe. En vertu de cette législation, adoptée en 2023, le cacao, le café, l’huile de palme, le caoutchouc, le soja, le bois et les produits bovins, ainsi que leurs dérivés ne devront pas provenir de terres déboisées, et les importateurs devront garantir une traçabilité totale.

Pour les rédacteurs dudit document, les pays africains devront investir considérablement dans des systèmes de traçabilité et de diligence raisonnable pour prouver que leurs produits ne contribuent pas à la déforestation. Ce coût pourrait être prohibitif pour de nombreux petits exploitants et entreprises. Il faut rappeler, à cet égard, que les petits exploitants, qui dépendent souvent de ces cultures pour leurs moyens de subsistance, sont particulièrement vulnérables. La complexité et le coût de la certification pourraient les exclure des chaînes d’approvisionnement européennes.

Transition vers des pratiques agricoles durables

C’est à juste titre que le rapport recommande à l’UE de fournir une assistance financière et technique adéquate aux pays d’Afrique subsaharienne pour les aider à se conformer à la nouvelle législation. Il souligne également la nécessité d’un accès à l’expertise pour faciliter la transition vers des pratiques agricoles durables.

Dans un contexte un plus large, la réglementation de l’UE vise à réduire la contribution de l’Union à la déforestation mondiale et à la dégradation des forêts. Bien que l’objectif soit louable, sa mise en œuvre soulève des préoccupations quant à son impact sur les économies des pays en développement, en particulier en Afrique subsaharienne, où la déforestation est un problème majeur, souvent lié à l’expansion agricole pour répondre aux besoins d’une population croissante.

En d’autres termes, la loi de l’UE sur la déforestation représente un défi majeur pour les pays d’Afrique subsaharienne. Sans un soutien adéquat pour la transition vers des pratiques durables et la mise en place de systèmes de traçabilité, ces pays pourraient subir des pertes économiques considérables et voir leurs efforts de développement compromis.

Alors que l’expansion des terres agricoles constitue le principal moteur de la déforestation et de la dégradation des forêts à l’échelle mondiale, la législation a été proposée par la Commission européenne pour limiter l’impact de la demande européenne sur la déforestation. En effet, la consommation de l’UE serait responsable d’environ 10% de la déforestation à l’échelle planétaire, selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

D’ailleurs, l’Afrique subsaharienne, qui perd environ 3,9 millions d’hectares de forêts par an et dont 45% des terres sont touchées par la désertification, est un producteur et un exportateur majeur des matières premières et des produits couverts par ce règlement. Le cacao, le café, le soja, le bois et l’huile de palme sont des produits vitaux pour les économies de la région, contribuant jusqu’à 25% au produit intérieur brut (PIB) et représentant de 60% du total des emplois dans certains cas.

Mise en place de mesures spécifiques

A titre d’exemple, entre 2021 et 2023, la valeur annuelle moyenne des exportations des matières premières couvertes par la loi anti-déforestation européenne et de leurs dérivés par les pays d’Afrique subsaharienne s’est établie à 40,15 milliards de dollars. Sur cette enveloppe, environ 11 milliards de dollars, soit 27,4% proviennent des exportations vers l’UE. Et c’est cette somme que la région risque de perdre si elle ne se conforme pas à la nouvelle mesure de «zéro déforestation».

Face à cette nouvelle donne, plusieurs pays africains ont commencé à mettre en place des mesures spécifiques de réponse aux injonctions de durabilité et de traçabilité de l’UE. C’est le cas au Ghana, où l’Office national du cacao (Cocobod) a annoncé, en septembre 2024, avoir expérimenté avec succès un système de traçabilité des fèves de cacao dans le cadre d’une phase pilote. Au Nigeria, un groupe de travail national (NTF) a été lancé quelques semaines plus tard pour permettre d’assurer la conformité du secteur agricole à la loi européenne.

Pour rappel, le cacao est le produit le plus vulnérable, étant donné que 59% des quantités produites au Sud du Sahara sont exportées vers l’UE pour une valeur estimée à 5,93 milliards de dollars en moyenne par an.Pour limiter les impacts négatifs de la loi anti-déforestation de l’UE sur les économies, les entreprises et les moyens de subsistance des agriculteurs en Afrique subsaharienne, le rapport recommande aux Vingt-Sept de fournir un accès adéquat à l’expertise et à l’assistance financière et technique aux pays de la région et d’adopter davantage leur législation aux contextes africains.

 

​Bon à savoir
Les petits exploitants agricoles sont les plus vulnérables puisqu’ils manquent des ressources nécessaires pour couvrir les coûts liés à la certification, au contrôle et à la traçabilité de la chaîne d’approvisionnement. Les entreprises exportatrices pourraient également voir leurs bénéfices diminuer, ou même cesser leurs activités s’ils ne peuvent plus accéder au marché européen.Avec la baisse des recettes d’exportation, les taux de pauvreté dans les communautés touchées pourraient augmenter car de nombreuses familles, en particulier dans les zones rurales, dépendent des revenus générés par les activités liées à l’exportation des produits de base touchés.L’éventuelle incapacité des exportateurs à se conformer aux nouvelles règles de l’UE visant à prévenir la déforestation pourrait aussi entraîner des baisses de recettes en devises des Etats.L’intérêt devrait également se porter sur le renforcement des industries locales de transformation des matières premières agricoles, l’investissement dans la recherche agricole pour augmenter les rendements des cultures et limiter la pratique de l’agriculture itinérante sur brûlis ainsi que sur le développement des chaînes de valeur régionales et la stimulation du commerce intra-africain afin de compenser les éventuelles pertes de parts de marché sur le Vieux Continent.
 

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