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Évasion : Les auberges de montagne au Maroc, eldorado ou parcours du combattant ?

Le tourisme montagnard a longuement été l’apanage d’une micro-catégorie. Pourtant, à en croire les derniers chiffres officiels en la matière, l’on peut noter un intérêt sans cesse grandissant. Tour d’horizon d’une mine d’or jusqu’alors jamais exploitée par un si grand nombre.


Le soleil se lève sur les contreforts de l’Atlas. Dans l’air vif du matin, Khalid ajuste son sac à dos. À 35 ans, ce guide originaire d’Imlil s’apprête à conduire un groupe de randonneurs vers les hauteurs du Toubkal. Mais ce matin, son visage traduit une certaine lassitude. « Les auberges de montagne sont victimes de leur succès », soupire-t-il. « Certains soirs, c’est la cohue. On est loin de l’image d’Épinal du refuge isolé. »

Le constat de Khalid résonne comme un écho aux transformations que connaît le tourisme de montagne au Maroc. Longtemps confidentiel, réservé aux amateurs d’aventure et aux alpinistes chevronnés, il s’ouvre désormais à un public plus large. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 2023, la fréquentation des auberges de l’Atlas a bondi de 30%. La solidarité avec les victimes d’Al Haouz a, dans la foulée, boosté un secteur que l’on croyait agonisant.

Cette popularité croissante ne va pas sans poser de questions. Entre opportunité économique et risque de dénaturation, le débat fait rage dans les vallées.

S’exprimant sur le réseau communautaire Facebook, Fatima, gérante d’une auberge près d’Oukaïmeden, pense qu’il s’agit une aubaine. « Grâce à cet afflux de visiteurs, j’ai pu rénover mon établissement, embaucher du personnel local. C’est toute la région qui en profite. » Son enthousiasme est palpable lorsqu’elle évoque les projets d’extension, les nouvelles activités proposées aux clients.

Mais tous ne partagent pas cet optimisme. Mohammed, berger de 60 ans, observe d’un œil circonspect la multiplication des enseignes. « Ces auberges poussent comme des champignons. On nous parle de développement, mais à quel prix ? Nos pâturages se réduisent, nos traditions s’effacent ».

Entre ces deux visions s’immisce une réalité plus nuancée, celle vécue par les voyageurs eux-mêmes. Sur un groupe Facebook dédié aux baroudeurs, Amina, jeune Casablancaise incite tous les amoureux du Haouz à « se mettre au vert ». Seul bémol, selon ses mots: «J’ai adoré l’ambiance chaleureuse, le contact avec la nature. Mais les sanitaires laissaient à désirer, et le petit-déjeuner était plutôt sommaire ».

Son expérience fait écho à celle de nombreux visiteurs. Si beaucoup saluent l’authenticité et les tarifs abordables des auberges de montagne, d’autres pointent du doigt un certain amateurisme. Propreté approximative, confort spartiate, services aléatoires : autant de griefs qui reviennent régulièrement.

Pierre, touriste français, lui répond en relativisant : « On ne va pas en haute montagne pour le luxe. L’inconfort fait partie du charme. Mais c’est vrai qu’un minimum de standards serait appréciable, ne serait-ce que pour des questions d’hygiène ».

Face à ces retours mitigés, les autorités marocaines tentent de structurer le secteur. Labelisation, formation du personnel, contrôles sanitaires : les initiatives se multiplient pour professionnaliser l’offre sans la dénaturer.

Un exercice d’équilibriste qui ne va pas sans heurts. Certains propriétaires d’auberges crient à l’ingérence, craignant de voir leur liberté rognée par des normes trop strictes. D’autres, au contraire, y voient une opportunité de monter en gamme et d’attirer une clientèle plus exigeante.

Au cœur de ce débat, une question fondamentale : quel avenir pour le tourisme de montagne au Maroc ? Entre préservation de l’authenticité et nécessaire modernisation, la voie est étroite.

Pour Aziz, fin connaisseur de l’Histoire de ces lieux, l’enjeu est crucial : « Ces auberges sont plus qu’un simple lieu d’hébergement. Elles sont un point de rencontre entre les cultures, un espace où se tissent des liens entre visiteurs et populations locales. Il faut préserver cette dimension humaine ».

Sur le terrain, certains ont déjà pris les devants. À Imlil, une coopérative d’aubergistes expérimente de nouvelles approches : panneaux solaires, gestion des déchets, potagers bio. Des initiatives qui séduisent une clientèle de plus en plus sensible aux questions environnementales.

Quoi que l’on dise, en attendant, dans les vallées de l’Atlas, la vie continue. Chaque soir, de nouvelles têtes se pressent aux portes des auberges. Des visages fatigués par l’effort, mais illuminés par la beauté des paysages. Des voyageurs en quête d’authenticité, prêts à troquer le confort contre une tranche de vie partagée. 

Car c’est peut-être là que réside l’essence même de ces refuges de pierre : dans ces moments de convivialité autour d’un tajine fumant, dans ces conversations à bâtons rompus au coin du feu. Des instants précieux qui, malgré les aléas, continuent de faire le charme des auberges de montagne marocaines.

 

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