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Industrie du Gaming : Un «Power Up» prometteur, mais les défis restent de taille ! [INTÉGRAL]

Porté par l’essor du mobile, la montée de l’ESports et le soutien public croissant, le secteur marocain du jeu vidéo entre dans une phase d’accélération.

Le Maroc semble désormais prêt à entrer dans une nouvelle ère du jeu vidéo, portée par une croissance soutenue, des ambitions industrielles affirmées et un écosystème en structuration. En 2024, le secteur marocain des jeux vidéo est estimé à 2,28 milliards de dirhams, avec des perspectives très positives à l’horizon 2030. Grâce au soutien institutionnel, aux initiatives de formation et à l’essor de l’ESports, le Royaume s’impose progressivement comme un acteur régional émergent.

Au niveau global, l’industrie du jeu vidéo devrait atteindre 213 milliards de dollars d’ici 2027, contre 129 milliards en 2024, selon les projections actuelles. La croissance est tirée par le mobile (92,6 Mds USD) et les jeux PC, tandis que les consoles stagnent. Dans la région MENA et en Afrique, le dynamisme est encore plus marqué, avec des taux de croissance respectifs de 8,1% et 12,4%. Dans ce paysage, le Maroc affiche une croissance annuelle moyenne de 9,4%, avec un potentiel estimé à 223 millions de dollars en 2030. Le marché marocain reste dominé par les jeux mobiles (près de 60% du total), suivi par les jeux PC, les consoles et l’ESports, qui connaît une ascension spectaculaire.

Les piliers de la croissance au Maroc

Le segment du jeu mobile connaît une dynamique fulgurante, porté par une large pénétration des smartphones et une population jeune et connectée. En 2025, ce marché pèse environ 77,4 millions de dollars, et les projections tablent sur un bond à 125 millions à l’horizon 2030.

Quant au jeu sur PC, il bénéficie d’un fort engouement, nourri par la montée en puissance de l’ESports et la professionnalisation des pratiques. Ce segment affiche un taux de croissance annuel supérieur à 15%, ce qui devrait lui permettre de doubler de taille d’ici cinq ans.

L’ESports, de son côté, connaît une structuration accélérée grâce à l’action de la Fédération Royale Marocaine des Jeux Électroniques (FRMJE). Les compétitions nationales et les événements phares comme le Morocco Gaming Expo contribuent à forger un écosystème compétitif, attractif pour les marques et porteur d’opportunités médiatiques.

L’événementiel lié au gaming émerge également comme levier de développement, en témoignent les chiffres de la première édition du Morocco Gaming Expo, qui a rassemblé 45.000 visiteurs. Si cette tendance se confirme, ce segment pourrait atteindre les 10 millions de dollars d’ici 2030, renforçant la place du Maroc comme hub régional du jeu vidéo et des industries créatives.
L’ambition d’un «Ubisoft marocain» n’est plus utopique. Le pays peut miser sur un écosystème structuré autour de six axes : formation spécialisée, incubation, financement, infrastructures, cadre législatif adapté et rayonnement international. «Des initiatives comme Rabat Gaming City, les incubateurs publics (Video Game Incubator) et les programmes de soutien (Boost’in Gaming) illustrent cette volonté politique», nous révèle Yassir Bachour, directeur général de MAPLAB, l’une des plus grandes entreprises qui veillent sur l’organisation de compétitions Gaming au Maroc.

Les joueurs marocains sont majoritairement âgés de 18 à 24 ans. Près de 77% des gamers sont des hommes, avec une prédominance des jeux mobiles casual (6,1 millions), suivis des jeux compétitifs et de l’ESports. Toutefois, le segment RPG narratif reste marginal au Maroc.

Obstacles à l’expansion locale

L’un des freins majeurs reste la culture du paiement en cash. Environ 30% des consommateurs préfèrent voir, toucher ou marchander avant l’achat. Le manque de confiance dans les paiements électroniques (21%) et l’accès limité aux cartes bancaires freinent aussi la consommation digitale, selon notre interlocuteur.

Le cas du jeu marocain «UNCURSED» est révélateur : seules 2% des ventes proviennent du marché local. Pour y remédier, il est recommandé, selon le directeur général de MAPLAB, d’intégrer les moyens de paiement populaires (wallets mobiles, cartes prépayées), de renforcer la visibilité des jeux marocains, de revoir les stratégies tarifaires et de promouvoir l’implication communautaire.

Un jeu indépendant marocain coûte en moyenne 15.000 à 30.000 USD. En ajoutant le budget marketing, ce chiffre grimpe à 60.000 USD. Le taux de survie des studios après deux ans avoisine les 60%, mais il est plus élevé en cas de soutien via l’incubation ou des partenariats.

Formation : Un maillon en cours de renforcement

L’offre actuelle de formation dans le secteur du jeu vidéo au Maroc repose sur trois principaux axes complémentaires. D’une part, des programmes certifiants, tels que «Video Game Creator», sont proposés à l’Université internationale de Rabat, fournissant aux étudiants des compétences techniques et créatives directement applicables à l’industrie. D’autre part, dès 2025, des formations diplômantes de type DUT et Masters seront lancées dans la capitale, avec une ambition affichée d’extension à l’échelle nationale, afin de répondre à la demande croissante de profils spécialisés.

Enfin, des parcours pédagogiques ont été mis en place en collaboration avec l’État et des experts internationaux pour intégrer des disciplines transversales de plus en plus recherchées, telles que l’expérience utilisateur (UX), le design narratif ou encore la conception sonore. Cette approche intégrée vise à renforcer l’adéquation entre l’offre académique et les besoins réels du marché marocain du jeu vidéo.

Toutefois, l’offre reste encore limitée et centralisée. Il est essentiel de la déployer dans d’autres régions et de renforcer les liens entre formations et studios.

 

Trois questions à Yassir Bachour : « Créer un jeu, c’est bien, le vendre c’est autre chose »
Le Maroc affiche une croissance à deux chiffres dans le gaming. Pourtant, très peu de studios locaux parviennent à percer à l’international. Pourquoi ?
En effet, malgré un écosystème en pleine structuration, la majorité des studios marocains de jeu vidéo peinent à franchir un cap critique. La raison principale, c’est le déficit de financement structuré et l’absence d’un véritable accompagnement marketing. Beaucoup de jeunes créateurs concentrent leurs ressources sur le développement, mais négligent la visibilité. Or, promouvoir un jeu coûte souvent autant que le produire. Cela explique pourquoi un studio sur deux ne dépasse pas les deux premières années d’existence, à moins d’être intégré à un incubateur comme Boost’in Gaming ou de bénéficier de partenariats solides. Nous manquons aussi de relais de distribution locaux capables de porter nos productions sur les scènes régionales ou internationales.

  Le public marocain est jeune, connecté, mais le taux de conversion en acheteurs de jeux reste très faible. Quels sont les freins structurels ?

C’est une problématique profonde, qui dépasse la simple question de l’accès aux moyens de paiement. Nous sommes encore dans une culture de l’achat tangible : près d’un tiers des consommateurs refusent d’acheter sans avoir testé ou vu physiquement le produit. À cela s’ajoute une méfiance envers les paiements électroniques, nourrie par un manque d’information et une faible connaissance des garanties bancaires. Ce n’est pas un problème d’infrastructure – les wallets existent – mais plutôt de pédagogie et de confiance. Tant que nous n’aurons pas ancré une culture numérique dans les usages, même les meilleurs jeux marocains resteront sous-consommés localement.

  Une industrie pérenne passe aussi par la formation. Que manque-t-il aujourd’hui pour former une génération de professionnels du jeu vidéo ?

 
Les premières briques sont posées, mais l’offre reste trop centralisée à Rabat et encore limitée en capacité. Le programme Video Game Creator est une réussite, mais il ne forme que 40 personnes par an. Ce qu’il nous faut, c’est un maillage territorial : des DUT, des Masters, mais aussi des parcours techniques professionnalisants dans les régions, avec des spécialisations précises (sound design, UX, localisation, etc.). Il est également crucial de créer des passerelles concrètes entre ces formations et les studios : stages, co-productions, mentoring. Former c’est bien, insérer c’est mieux.
 

Formation : Le Maroc mise sur le gaming pour créer 5.000 emplois d’ici 2030
Avec le projet ambitieux de la future Cité du Gaming à Rabat, le Maroc entend faire du jeu vidéo un levier d’emploi structurant. L’objectif gouvernemental est clair : générer entre 5.000 et 10.000 postes à l’horizon 2030, dont quelque 6.000 emplois directs couvrant plus de 70 métiers, de la programmation à la modélisation 3D, en passant par le marketing.
 
Mais le défi principal reste la formation. Le programme intensif «Video Game Creator» forme actuellement 40 diplômés par an, tandis que les nouvelles filières universitaires (DUT, licences, Masters) associées aux Game Labs pourraient porter ce chiffre à 200 ou 300 spécialistes par an, soit 1.500 profils en cinq ans.

Le secteur privé, de son côté, complète l’écosystème par le biais d’incubateurs, de bootcamps et de programmes co-pilotés avec l’OFPPT et des partenaires étrangers, formant chaque année jusqu’à 200 profils additionnels, souvent issus de reconversions. À cela s’ajoute la mobilisation de freelances et d’expatriés marocains.

Mais l’écart reste conséquent. Avec un rythme de 500 embauches annuelles, seuls 3.000 postes seraient pourvus d’ici 2030. Il faudrait donc combler un déficit d’environ 2.000 profils, à moins d’accélérer fortement la formation et d’attirer davantage de talents.
 

Multiplier les cursus régionaux, faciliter les passerelles entre métiers numériques et gaming, et proposer des conditions attractives deviennent dès lors des priorités. Pour que cette ambition prenne corps, le Maroc devra faire du capital humain son principal moteur de croissance vidéoludique.
 

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