La série « Rahma » signe une entrée fracassante ce Ramadan avec une proposition audacieuse, complètement à l’écart des intrigues habituelles. S’affranchissant de toute demi-mesure, elle a déclenché un véritable intérêt auprès du public, se hissant en tête des classements de vues. La production trouve son apogée sous la plume de la scénariste Bouchra Malek, qui révèle, dans cette interview, l’essence même de ses choix artistiques.
– La série plonge dans l’histoire bouleversante d’une mère déterminée, élevant seule son enfant en situation de handicap, sans le soutien du père. C’est un combat quotidien, une lutte farouche pour offrir à ses enfants une vie meilleure malgré les obstacles. Pour ce qui est de l’inspiration pour écrire, elle vient souvent de partout. Il suffit de sortir dans la rue, d’observer les vies qui se croisent, d’écouter les histoires humaines pour détecter les réalités souvent ignorées.
Personnellement, j’ai eu deux révélations marquantes.La première, lors d’une soirée dédiée aux mamans d’enfants handicapés, où je plaisantais en demandant pourquoi l’hommage n’était rendu qu’aux mères, et non aussi aux pères. La réponse m’a frappée : la plupart des pères, lorsqu’ils apprennent le handicap de leur enfant, se détournent, parfois dès la naissance, et laissent la mère seule face à cette réalité.
Le second déclic est survenu lors d’une consultation chez un médecin, qui m’a expliqué que la majorité de ses patientes étaient des mères ayant des troubles moteurs, souffrant de problèmes de dos à force de porter et déplacer leurs enfants. C’est alors que l’idée m’est venue de travailler sur cette thématique, celle de la persévérance d’une mère qui se bat pour offrir à son enfant en situation de handicap une place digne dans la société.
– Ce drame est en tête des audiences et suscite un fort engouement auprès du public. Quel est votre ressenti face à ce succès et quel message souhaitez-vous adresser aux téléspectateurs qui suivent la série ?
– Je ne peux être que ravie et profondément heureuse. Et aujourd’hui, je reçois les premiers classements des pays européens. Les Émiratis et les Arabes résidant en Europe suivent la série, et c’est incroyable de voir les résultats : première place en Espagne, deuxième en France, troisième en Italie, et cinquième en Belgique. C’est vraiment un grand bonheur.
Il y a à peine dix ou douze ans, durant le Ramadan, c’étaient les séries arabes, principalement égyptiennes, qui dominaient. Et aujourd’hui, ce sont les séries marocaines qui s’imposent. Je ne peux qu’être fière et reconnaissante. Un grand merci à nos téléspectateurs, pour leur goût, leur soutien, et leur incroyable finesse.
– La mise en scène des séquences de violence conjugale dans « Rahma » a pris un aspect dramatique fort, avec des scènes intenses qui ont choqué certains téléspectateurs. Était-ce une démarche délibérée de votre part pour mieux illustrer la gravité de ce problème social et sensibiliser le public à cette réalité ?
– En ce qui concerne les scènes conjugales, elles ont été volontairement mises en scène de manière dramatique. C’était une décision prise dès le départ, car l’objectif était de déranger. Il faut savoir bousculer les codes pour capter l’attention, selon moi, et ne pas faire les choses à moitié. Cependant, je reste plus réservée lorsqu’il s’agit des scènes qui abordent les mœurs, parce que la télévision, c’est un média qui touche aussi à la famille. Néanmoins, pour ces scènes particulières, nous avons voulu leur donner une dimension sombre, presque grave, car elles reflètent une réalité difficile à affronter. Il était important de faire sonner l’alarme, et c’était donc un choix artistique délibéré.
Nous avons eu un casting exceptionnel, et le jeu des acteurs est tout simplement remarquable. Même dans les scènes les plus intenses, ils ont su les maîtriser et exceller malgré les défis. Pour moi, tout acteur digne de ce nom, lorsqu’il est confronté à un texte de qualité, une bonne réalisation et les moyens nécessaires, ne peut qu’être excellent. J’ai eu la chance de travailler avec des talents incroyables, et encore plus, j’ai eu la chance que ces grands acteurs soient profondément touchés par la thématique. Chacun a été à 100% investi dans ce projet.
– Pouvez-vous nous décrire les défis auxquels vous avez été confrontée, lors de la réalisation de cette série ?
– Avec l’équipe, notre défi ultime était de créer une œuvre digne des spectateurs marocains. En termes de casting, l’objectif était d’avoir un éventail d’acteurs et d’actrices marocains qui se ressemblaient vraiment, notamment au niveau de la famille. Le challenge résidait dans un casting minutieusement étudié, tant en termes de compétence que de physionomie, afin de refléter une réalité authentique. Le but était de traiter des thèmes sociétaux avec une grande réalité, tout en créant une intimité troublante qui touche profondément le téléspectateur.
– Comment avez-vous vécu l’écriture de cette œuvre ? Quelles émotions ont traversé votre esprit pendant ce processus ?
– L’écriture de cette œuvre a demandé beaucoup de temps de réflexion et une longue période de fermentation. J’ai commencé par établir la trame de l’histoire, puis travaillé sur chaque arc narratif, comme une grossesse qui mène à l’accouchement. Ensuite, j’ai écrit les dialogues, mais cette série était particulière pour moi. Émotionnellement impliquée, cela m’a demandé beaucoup d’énergie psychologique. Malgré les défis, je suis très satisfaite du résultat, qui, je pense, reflète une sincérité profonde.
– Selon vous, quels dispositifs législatifs devraient être mis en place pour responsabiliser les pères et limiter l’abandon des enfants en situation de handicap, afin de mieux protéger les droits de ces enfants et soutenir les mères qui assument seules leur prise en charge ?
– Je crois que, du point de vue législatif, l’État a déjà fait beaucoup pour les enfants et les personnes en situation de handicap. Cependant, ce que je voulais vraiment traiter, c’est quelque chose qui touche notre société corrompue, l’utilisation parfois de la religion contre les femmes, ainsi que le manque d’alphabétisation qui prive les gens de la conscience et de l’éducation nécessaires pour s’occuper de leurs enfants et comprendre les situations de handicap. Par exemple, mon personnage est une personne qui n’a aucun niveau scolaire, qui manque de foi et porte de nombreux complexes.
Il est crucial de travailler à la fois dans les écoles et à travers les médias pour sensibiliser, car il faut une base solide. Beaucoup de parents, souvent très pauvres, ont des enfants handicapés, mais malgré tout, ils les aiment profondément. Peu importe si l’État leur offre des aides ou pas, ils sont présents parce que ce sont leurs enfants. Le véritable problème vient de l’intérieur, il faut que les pères prennent leurs responsabilités. Pour ma part, ce que je demande, c’est le droit à l’amour, le droit de donner à nos enfants ce dont ils ont besoin, en dépit des difficultés.
– Que répondez-vous aux critiques de l’Organisation nationale marocaine pour les droits des femmes en situation de handicap, qui accuse la série de discrimination et d’atteinte à la dignité de cette partie de la population ?
– En ce qui concerne les critiques de l’organisation, je pense qu’il s’agissait d’une maladresse de leur part. J’ai écrit cette série précisément pour être à leur côté, pour porter leur voix, pour crier leur cri, pour mettre en lumière leur SOS et, surtout, pour ouvrir un peu les yeux de tout le monde sur ces réalités souvent ignorées. Je ne pense pas que nos luttes soient divergentes, au contraire, nous sommes sur le même chemin. Je crois simplement qu’ils ont agi un peu trop précipitamment. Cela arrive, et je les excuse. Cependant, parfois, lorsque l’on prend le risque de dévoiler des sujets aussi sensibles, il faut aussi avoir le courage de reconnaître et de remercier lorsque l’on comprend la raison derrière cette démarche.
Ma véritable vocation reste de lever le voile sur les injustices qui frappent ces minorités sociales, d’ouvrir un espace de réflexion et de comprendre ensemble. Ce n’est pas seulement une question de sensibilisation, mais aussi d’humanité, de solidarité et de respect envers ceux qui se battent dans l’ombre.
– Avez-vous des projets futurs qui continueront à explorer des thèmes sociaux importants à travers le cinéma ou la télévision ?
– Je me dirige maintenant vers le cinéma et je travaille sur une thématique très poignante, une problématique qui touche de nombreuses personnes ici au Maroc et ailleurs. Sans entrer dans les détails, pour ne pas gâcher la surprise, j’espère avoir le courage de mener ce projet à bien.