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Interview avec Fatim-Zahra Ammor : Le plan audacieux du Maroc pour créer 150.000 emplois touristiques d’ici 2030

Les records d’arrivées touristiques des deux dernières années ont impulsé une dynamique positive en matière de création d’emplois. Dans cet entretien, Fatima-Zahra Ammor, ministre du Tourisme, de l’Artisanat et de l’Économie sociale et solidaire, évoque les actions renforcées en matière de formation et d’encouragement des investissements, avec pour objectif d’atteindre 150.000 emplois d’ici 2030.

Au cours de l’année écoulée, le Maroc a accueilli 17,4 millions de touristes. Quel a été l’impact de cette dynamique sur la création et la pérennisation des emplois dans le secteur ?
 

-La dynamique exceptionnelle du tourisme a eu un impact très positif sur l’emploi. L’année de 2023 a été marquée par la création de 25 000 nouveaux emplois, un chiffre significatif une année seulement après la reprise post-COVID. Aujourd’hui, ce secteur compte 827 000 emplois directs, que ce soit de postes opérationnels aux fonctions de management, en passant par les métiers créatifs et ceux de l’innovation.

Le tourisme offre de véritables opportunités d’évolution, que ce soit pour un jeune diplômé, un professionnel expérimenté ou un entrepreneur ambitieux. Cette dynamique promet des perspectives intéressantes avec la création de plus de 40 000 nouveaux emplois directs d’ici 2026, et 150 000 d’ici 2030.
  Le Maroc ambitionne d’atteindre 26 millions de touristes d’ici 2030. Selon vous, les ressources humaines sont-elles prêtes à relever ce défi ?

 

-Le secteur touristique marocain dispose de talents extraordinaires et d’un écosystème de formation dynamique et performant.  Mais il n’en demeure pas moins que la qualité de service doit encore s’aligner sur des standards internationaux, et c’est l’objet du chantier « Ressources Humaines » de la Feuille de Route adoptée par le ministère. La formation est un levier essentiel, mais ce n’est pas le seul. Il y a également le défi de l’attractivité des métiers du tourisme. Ces métiers, bien que passionnants, ont besoin d’être mieux valorisés. Il faut donc continuer à améliorer les conditions de travail et mettre mieux en avant les opportunités de carrière et d’épanouissement qu’offre le secteur.

De leur côté, les professionnels du secteur sont appelés à valoriser les talents et garantir des conditions de travail sereines et épanouissantes, permettant à chacun d’offrir le meilleur de lui-même au service de la destination Maroc. Aujourd’hui, nous constatons une prise de conscience générale sur ces enjeux, et une vraie volonté au sein de la Confédération Nationale du Tourisme de faire avancer les choses.
  Comment le ministère s’emploie-t-il à former et qualifier les ressources humaines pour répondre aux besoins croissants du secteur ?

 

-Comme je l’ai dit, nous sommes très actifs en matière de formation et nous avons initié plusieurs programmes pour répondre aux besoins du secteur. Le premier est un vaste programme de formation en partenariat avec l’OFPPT et la Confédération Nationale du Tourisme. Ce programme inclut le CAP Excellence en Tourisme, avec 12 Établissements d’Excellence qui offrent des formations de haut niveau, un programme de Middle Management pour renforcer les compétences de 9 500 lauréats de l’OFPPT, et une Formation Continue d’Excellence en format hybride, destinée à 8000 professionnels, incluant salariés et formateurs.
Pour rester en phase avec les évolutions du secteur, nous avons enrichi notre offre de formation avec 14 nouvelles filières dans les Instituts ISTAHT et l’ISITT, notamment en tourisme durable et digital. Enfin, nous veillons à moderniser nos infrastructures pour offrir des environnements de formation de pointe. Parmi les meilleurs exemples, on trouve l’hôtel pédagogique de l’ISTAHT Tanger et le repositionnement du Centre de Touarga, dédié à la valorisation de notre patrimoine gastronomique, levier de développement touristique par excellence.
  Concernant la formation continue d’excellence, le ministère a déjà annoncé qu’une plateforme e-learning est en cours de développement. Où en est-on par rapport à ce projet ?

 

-Effectivement, nous développons actuellement une plateforme e-learning qui formera 2 000 bénéficiaires par an, avec des modules adaptés aux réalités du terrain. Les besoins en formation continue ont déjà été identifiés, en collaboration étroite avec les professionnels du secteur. À ce jour, 10 modules ont été finalisés, et 30 autres sont en cours de développement, avec un déploiement échelonné sur 24 mois. La plateforme sera entièrement opérationnelle d’ici fin avril 2025. En parallèle, nous travaillons à former nos formateurs, avec un bilan de compétences et un programme de formation continue spécifique.
  Comment le secteur touristique prévoit-il de lutter contre la précarité de l’emploi, dans certaines branches comme la restauration ou l’hôtellerie en vue d’améliorer l’attractivité de ces métiers ?

 

-Le secteur touristique est un formidable créateur d’emplois au Maroc, représentant plus de 827 000 emplois directs. Notre vision est de continuer à développer des carrières durables et enrichissantes dans ce secteur stratégique. Outre l’investissement dans la montée en compétences des différents acteurs que ce soit dans l’hôtellerie et la restauration, nous encourageons la professionnalisation du secteur à travers des partenariats public-privé innovants. Ces partenariats visent à valoriser les métiers du tourisme et à créer des opportunités d’évolution attractives pour les jeunes talents. Le meilleur exemple est le programme Kafaa de validation des acquis professionnels. (Voir repère)

Nous travaillons étroitement avec les acteurs du secteur pour promouvoir les meilleures pratiques en matière de gestion des ressources humaines, de formation et d’évolution professionnelle, en vue de faire du tourisme un secteur d’excellence offrant des perspectives de carrière motivantes à long terme. Enfin nous sommes très actifs en matière d’investissements, à travers nos différents mécanismes d’appui. Ces efforts permettront la création d’emplois pérennes et de perspectives de carrière épanouissantes dans le tourisme.

  Le travail saisonnier est souvent un défi dans le secteur touristique. Quelles mesures sont prises pour améliorer la stabilité de l’emploi et encourager des contrats plus durables ?

 

-Il faut noter que le phénomène de la saisonnalité de l’activité touristique dans certaines zones n’est pas propre au Maroc. Il est observé dans plusieurs pays très développés en matière de tourisme, notamment pour les destinations balnéaires. D’où l’intérêt de développer une offre centrée sur l’expérience en vue de proposer des expériences à vivre au Maroc tout au long de l’année, ce qui permettra de réduire la saisonnalité et de maintenir les emplois sur l’année.
D’ailleurs, les résultats récents nous montrent que nous sommes sur la bonne voie. Par exemple, le mois de janvier 2025 a démontré que le Maroc est en train de devenir une destination 4 saisons.
  Comment votre Département entend-il formaliser le travail des acteurs opérant dans le secteur touristique de manière informelle, notamment dans le monde rural ?

 

-En application des Directives royales de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, qui visent à donner la possibilité d’intégrer le secteur formel à toute personne ayant une expérience dans le secteur informel, nous avons pris des mesures concrètes pour formaliser le travail des acteurs opérant dans le secteur touristique de manière informelle, notamment en milieu rural.
D’ailleurs, nous avons régularisé les guides opérant dans l’informel, y compris les guides des espaces naturels (GEN), qui exercent en milieu rural, grâce à un examen d’accès à la profession. En 2023, 459 guides des espaces naturels ont ainsi intégré le secteur formel.

Par ailleurs, nous avons élargi le système d’hébergement des établissements touristiques pour inclure, selon un cahier des charges, l’hébergement chez l’habitant, l’hébergement alternatif, ainsi que les bivouacs. Ces mesures intégreront de facto les employés de ces hébergements dans le secteur formel.

  Avez-vous une vision pour intégrer les compétences locales, qui jouent un rôle important dans la promotion de leurs régions, dans l’activité touristique locale ?

 

-Absolument. Le développement touristique local doit être porté principalement par des compétences locales. C’est une conviction forte, et c’est pourquoi notre Feuille de Route 2023-2026 a une dimension régionale très marquée.
Chaque région a son propre contrat d’application qui découle de la feuille de route, avec des projets spécifiques pour développer un écosystème touristique complet. Et dans cet écosystème, nous voulons que ce soient les talents locaux qui soient aux commandes.

Prenez par exemple Go Siyaha. L’objectif des roadshows et de la caravane est justement d’aller à la rencontre des porteurs de projets locaux, ceux qui souhaitent investir dans le tourisme dans leur région. C’est un levier concret pour valoriser les initiatives locales et de les intégrer dans notre stratégie nationale.

De plus, une banque de projets a été également mise en place, avec plus de 200 projets déclinés par région. Ces projets sont conçus pour s’appuyer sur les spécificités et les atouts de chaque territoire, tout en faisant appel aux compétences locales pour les porter.

 

​Programme Kafaa : 1000 professionnels certifiés dans 11 métiers
Le programme Kafaa de Validation des Acquis de l’Expérience (VAE) a été lancé en 2024, devenant la première initiative visant à reconnaître les compétences des professionnels de terrain sans diplômes formels.
Cette approche digitalisée avec une plateforme en ligne pour permettre un accès le plus large possible a enregistré plus de 6 400 inscriptions, selon les données du ministère du Tourisme qui se félicite d’une initiative qui intervient à point nommé pour les professionnels du secteur en quête de reconnaissance formelle.

Pour cette première édition, l’initiative a certifié 1.000 professionnels dans 11 métiers clés du tourisme : des agents d’accueil, des boulangers, des chefs de cuisine, des cuisiniers, des maîtres d’hôtel, des gouvernantes d’hôtel, des réceptionnistes, et bien d’autres. Le programme a pour objectif de certifier 7.550 professionnels d’ici 2026.
En effet, ces certifications vont leur ouvrir de nouvelles opportunités professionnelles, améliorer leurs perspectives de carrière, et renforcer leur motivation. Il s’agit également d’un coup de pouce pour les managers afin de s’engager dans la formation continue, pour améliorer les compétences de leurs équipes.

Parallèlement à cela, il s’agit de promouvoir l’inclusion économique des femmes afin de faire du Maroc une destination où l’excellence est la seule norme, et où chaque talent trouve sa place.
 

Régularisation : Ces faux guides qui ternissent les efforts de structuration
En 2023, une vaste opération de régularisation des guides touristiques a été lancée à travers un examen national, offrant aux personnes disposant des compétences requises l’opportunité d’accéder officiellement à la profession et jetant ainsi les bases d’une profession plus structurée. Cependant, plusieurs pratiques illégales nuisent à cette vision, notamment l’émergence de faux guides, à savoir des étrangers établis au Maroc qui s’octroient des fonctions de guides touristiques en ville.
 
Force est de constater que l’Article 6 de la Loi réglementant la profession de guide de tourisme, prévoit que le guide doit absolument être « de nationalité marocaine ». Par ailleurs, l’Article 381 du Code pénal stipule : « quiconque, sans remplir les conditions exigées pour le porter, fait usage ou se réclame d’un titre attaché à une profession légalement réglementée, d’un Diplôme officiel ou d’une qualité dont les conditions d’attribution sont fixées par l’autorité publique est puni, à moins que des peines plus sévères ne soient prévues par un texte spécial, de l’emprisonnement de trois mois à deux ans, et d’une amende de 200 à 5.000 dirhams ou de l’une de ces deux peines seulement ».

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