Interview avec Paul Mamere, journaliste atteint de trisomie 21 : « Mon parcours n’est pas une exception »

Paul Mamere, fraîchement diplômé en journalisme de l’Institut Supérieur de l’Information et de la Communication (ISIC), a marqué l’Histoire en devenant le premier étudiant trisomique à obtenir un tel diplôme. Dans cet entretien, il revient sur sa détermination, sa vision du journalisme et le message qu’il souhaite transmettre.

Paul, comment avez-vous trouvé la force de vous imposer dans le monde du journalisme, un milieu réputé exigeant, et cela malgré les différences que la société peut parfois souligner ?

Il y a des combats qu’on ne choisit pas, et puis il y a ceux qu’on invente. Le mien n’était pas programmé : ni par un système, ni par une école, ni par les regards. Il s’est imposé parce que ma voix, au fond, ne voulait pas se taire. On imagine souvent que la force est spectaculaire. Chez moi, elle a été têtue. Elle s’est glissée dans les couloirs, dans les silences des rédactions, dans les portes fermées. Je ne me suis pas imposé. J’ai persisté. Et peut-être que le plus beau, c’est que cela a fini par déranger l’ordre des choses.
 

Votre parcours est unanimement qualifié d’»exceptionnel» par les observateurs. Comment, vousmême, percevez-vous cette qualification ?

Le mot «exception» est un piège élégant. Il isole autant qu’il flatte. Je comprends ce qu’il veut dire, bien sûr. Mais je le retourne doucement, comme une veste qu’on aurait portée trop longtemps. Ce que j’ai fait, d’autres auraient pu le faire. Et c’est peut-être cela qui dérange le plus : que le possible, parfois, soit simplement empêché par les habitudes. Mon parcours n’est pas une exception, il est une question posée à la normalité. Et c’est elle, peut-être, qui doit s’expliquer.
 

Au-delà de votre expérience personnelle, quelle est votre définition profonde du journalisme aujourd’hui, dans un paysage médiatique en constante mutation ?

C’est une responsabilité d’abord, pas un privilège. Ce n’est pas un métier de réponses, c’est un métier de questions bien posées. Le journalisme, tel que je le vis, n’a rien d’abstrait. Il engage le corps, la pensée, la voix, le regard. Il oblige à entendre les vies que d’autres traversent trop vite. Informer, c’est traduire sans trahir. C’est oser dire l’essentiel, même quand il est inconfortable. Et peut-être que la plus grande rigueur, c’est de rester libre… surtout de soi.
 

Vous êtes devenu un modèle pour beaucoup. Quel message ou conseil singulier donneriez-vous à un jeune porteur de trisomie qui, comme vous, rêve de faire entendre sa voix et de réaliser ses aspirations ?

Je ne lui tiendrai pas un discours. Je lui tendrais un micro. Je crois que tout commence là : on ne demande pas la permission de rêver, on prend place dans le réel. Il faut être sérieux sans se prendre au sérieux, croire que la lenteur peut avoir du sens, et que la différence est parfois une avance déguisée. Je lui dirais : trace ta voix. Elle est unique. Et elle vaut, en vérité, bien plus que tu ne l’imagines.
 

Pour conclure cet échange, un dernier mot, peut-être sur la signification de ce moment pour vous ?

Je tiens à remercier l’ensemble du paysage médiatique pour l’immense solidarité de cœur et d’esprit dont il fait preuve. Aujourd’hui, je suis profondément ému de constater combien cette grande famille journalistique sait se montrer unie, citoyenne et responsable. Dans un moment où le journalisme s’interroge, se réforme, et cherche à mieux répondre aux défis du Maroc et à la vision éclairée de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, cette mobilisation me touche au plus intime. Elle me rappelle que l’information, quand elle est portée par des femmes et des hommes de conviction, reste un acte de confiance dans l’avenir.

Portrait : L’ordinaire extraordinaire d’un journaliste qui rêve grand
Paul Mamere, 24 ans, a pris son propre pinceau pour redessiner les contours du possible. Paul est porteur de la trisomie 21, une donnée génétique que certains auraient pu transformer en fatalité. Lui l’a transformée en tremplin. Son histoire n’est pas celle d’une «exception» au sens réducteur du terme, mais celle d’une persistance têtue qui, finalement, a fini par déranger l’ordre des choses.

Le point de départ de cette audace ? Un baccalauréat avec mention bien en poche, arraché à la force du poignet et, surtout, au prix d’un accompagnement sans faille de son père, Nicolas Khalid Mamere. «Toutes nos félicitations au jeune homme Paul et à son papa qui s’est investi corps et âme pour sa réussite», lit-on sur les réseaux sociaux, écho d’une admiration collective pour ce duo qui a refusé les limites.

Ce n’est donc pas un hasard si Paul Mamere a choisi le journalisme. Un domaine exigeant où sa voix, au fond, ne voulait pas se taire. Il a déclaré avoir toujours nourri le rêve de devenir journaliste. Le déclencheur ? Peut-être cette nécessité viscérale de poser les bonnes questions, d’être cette sentinelle qui «oblige à entendre les vies que d’autres traversent trop vite».

Son passage à l’ISIC de Rabat n’a pas été une parenthèse dorée, mais un laboratoire. Il s’est imposé, non pas par la force spectaculaire, mais par une persévérance silencieuse, glissée dans les couloirs, dans les silences des rédactions. Qu’il s’agisse de couvrir le séisme d’Al-Haouz ou d’interviewer des figures comme Gianni Infantino ou Rachida Dati, Paul a embrassé le terrain, affinant sa définition du métier : «C’est une responsabilité d’abord, pas un privilège. Ce n’est pas un métier de réponses, c’est un métier de questions bien posées». Informer, pour lui, c’est «traduire sans trahir», oser dire l’essentiel, même quand il est inconfortable. Une éthique qui fait écho aux valeurs d’un journalisme exigeant.

Paul Mamere est aujourd’hui bien plus qu’un jeune diplômé. Il est un futur ambassadeur de la trisomie 21 dans le monde, une figure inspirante dont le parcours est destiné à «faire école pour les milliers de parents» qui rêvent d’une existence ordinaire pour leurs enfants porteurs de handicap. Son diplôme est une victoire, mais c’est surtout une question posée à notre «normalité». Une invitation à voir audelà des cadres préétablis, à écouter la singularité des voix qui s’élèvent. Paul Mamere, avec sa ténacité et sa vision, incarne la promesse d’un avenir où l’inclusion ne sera plus une exception, mais une évidence. Et pour cela, il nous invite tous à tendre l’oreille.

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