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Interview avec Sara Faqir, éditrice : « L’arabe classique et l’arabe dialectal peuvent coexister sans menace mutuelle »

Etant enfant déjà, Sara Faqir rêvait d’ouvrir un jour un café-librairie. Grâce à la ténacité et l’abnégation, l’ambition a fini par la rattraper en fondant la maison d’édition « Dar Lilei » où elle crée ses propres livres, au service des parents de la diaspora.

Vous êtes une jeune maman de deux enfants, issue de la diaspora, et vous avez fondé une maison d’édition pour la jeunesse, baptisée « Dar Lilei ». Dites-nous comment êtes-vous devenue éditrice ?
Je suis née et j’ai grandi à Marrakech, jusqu’à mes 18 ans, avant de m’envoler pour Paris où j’ai intégré une classe préparatoire puis une École de commerce. J’ai, par la suite, travaillé pendant une quinzaine d’années en Conseil et en Finance.

Mon parcours initial ne me destinait donc en rien à fonder une maison d’édition, si ce n’est qu’enfant déjà, j’aimais être entourée de livres et que je rêvais d’ouvrir un jour un café-librairie. Et comme on le dit si bien, nos rêves nous poursuivent et finissent toujours par nous rattraper. C’est précisément ce qui s’est passé à la naissance de mon enfant aîné alors que je vivais à Chypre et que je traversais un deuil, celui de ma propre mère. Je me sentais alors isolée, en mal du pays, et je ressentais un besoin profond de me reconnecter à mes racines marocaines. J’ai alors commencé à parler à mon fils en Darija, à lui chanter des berceuses populaires marocaines et à solliciter ma famille pour recueillir des contes anciens afin de les lui transmettre. Ce qui avait commencé comme une démarche purement personnelle a pris ensuite une dimension toute particulière lorsque nous nous sommes installés à Londres, tout juste avant le confinement. Sans possibilité de rentrer au Maroc, pendant près d’un an, le désir de transmettre ma langue maternelle et mon héritage culturel était devenu viscéral.

Malheureusement, je ne trouvais pas de ressources de qualité. C’est ainsi que l’idée de créer mes propres livres, pour ma famille mais également pour d’autres parents marocains dans le même cas que moi, a émergé.« Dar Lilei » est donc un projet fou, né d’un désir entêtant de transmission. En hommage à notre mère patrie, à notre Lingua mater.
 

Sentez-vous la nécessité d’apprendre aux enfants de la diaspora le dialecte marocain ? Est-ce que le lectorat a soif d’en lire ?

Notre projet est encore jeune, mais il a touché le cœur de nombreuses familles de la diaspora qui sont émues de retrouver des ressources qui leur permettent de maintenir le lien avec leur culture d’origine et de transmettre leur langue maternelle à leurs enfants. Nous avons reçu de nombreux témoignages dans ce sens de parents, lesquels disaient être traversés par les mêmes questionnements, les mêmes introspections. 

Les échanges que j’ai pu avoir avec ces familles m’ont permis de réaliser l’amour, l’attachement des Marocains de la diaspora à leur langue et à leur culture. Je me sens, en quelque sorte, investie aujourd’hui d’une mission un peu particulière et j’en suis fière.
 

En littérature, les tentatives sont rares, à l’instar du roman « Le pain nu », où Mohammed Choukri utilise la Darija pour certains dialogues. C’était il y a presque 50 ans… 

Oui, en effet, je reconnais que le débat Darija versus Fusha peut parfois être animé et polémique dans le paysage médiatique marocain. Pour ma part, je dirais simplement qu’il n’est pas nécessaire de choisir entre l’arabe classique et l’arabe dialectal, car les deux peuvent coexister sans se menacer mutuellement. Ma langue maternelle est la Darija et elle n’est en aucun cas moins noble que la Fusha.

Pour conclure, je citerai Nourredine Ayouch dont les mots, à ce sujet, me touchent particulièrement puisque je partage sa vision « Ce qui me relie au Maroc, à mon identité, c’est ma langue maternelle, qui est la Darija. 

Cette langue si riche, variée et poétique. Elle exprime plus de choses que l’arabe classique car elle est la langue du quotidien qui permet d’accéder à la culture et de la transmettre même lorsque l’on est analphabète ». 

Dar Lilei, une maison d’édition à part entière
Dar Lilei est une maison d’édition spécialisée dans les livres interactifs et les outils éducatifs en Darija. Les livres sont sonores et multilingues. La principale mission de la maison d’édition est de créer un lien entre les enfants marocains de la diaspora, leur langue et leur culture d’origine. 

« A ce jour, nous avons publié « Klimaty », une première collection d’imagiers sonores: De jolis mots, des voix marocaines et des illustrations inspirées de scènes de la vie quotidienne marocaine. Notre objectif est d’éveiller l’intérêt et la curiosité des plus jeunes afin de stimuler l’ensemble de leur sens dans ce processus d’apprentissage. Nous sommes actuellement en pleine création de deux nouvelles collections, qui sont en phase de développement pour la partie illustration, design et enregistrement des voix. Ces séries paraîtront en janvier 2025 », nous confie Sara Faqir qui porte ce projet avec amour et enthousiasme.

L’aventure ne fait que commencer. A ce jour, plus de 250 livres sont vendus, principalement en France, en Belgique et en Angleterre. « Nous recevons régulièrement des demandes de parents vivant aux Etats-Unis, au Canada ou à Dubaï désireux d’acquérir nos livres. Nous sommes en discussion avec des distributeurs dans ces pays pour établir des partenariats permettant ainsi à la diaspora marocaine où qu’elle se trouve d’accéder à nos livres », explique Sara, qui espère embarquer un large public.

A ce jour, Dar Lilei publie ses propres ouvrages en autoédition. « Cependant, notre ambition pour l’avenir est d’élargir notre collection et d’offrir à tout auteur partageant notre ligne éditoriale – axée sur la transmission de la Darija, de la culture marocaine et des contes populaires marocains – la possibilité de nous rejoindre. Et nous espérons qu’ils seront nombreux à se rallier à cette initiative », lance-t-elle.

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