Du 15 au 19 septembre 2025, le Centre international de Vienne (CIV) accueillera la 69ᵉ session ordinaire de la Conférence générale de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Cet événement majeur du calendrier diplomatique et scientifique mondial rassemblera les États Membres de l’AIEA, des représentants de haut niveau, des experts nucléaires, ainsi que des organisations internationales partenaires, dans un contexte marqué par de profondes mutations géopolitiques, technologiques et énergétiques. Cette session intervient à un moment charnière pour la gouvernance nucléaire internationale, dans un monde en quête de sécurité, de résilience énergétique et de durabilité.
L’AIEA : Pilier de la Sécurité Nucléaire, de la Coopération Technique et de la Non-prolifération
Créée en 1957 sous l’égide des Nations Unies, l’AIEA est aujourd’hui l’autorité mondiale de référence en matière d’énergie nucléaire pacifique. Avec 177 États membres, elle joue un rôle central dans l’encadrement de l’utilisation de l’énergie nucléaire, garantissant qu’elle serve uniquement à des fins pacifiques. À travers ses trois piliers fondateurs, la sécurité nucléaire, la non-prolifération, et la coopération technique, l’Agence façonne l’équilibre entre développement technologique, sécurité globale et justice énergétique. La Conférence générale constitue à ce titre le sommet décisionnel annuel de l’AIEA, où se définissent les grandes orientations stratégiques, les priorités budgétaires, et où se votent les résolutions ayant un impact structurel sur l’architecture nucléaire mondiale.
Un Éclairage Historique et Juridique : 70 ans d’Évolution du Régime Nucléaire Multilatéral
Depuis l’adoption du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) en 1968, l’encadrement international du nucléaire repose sur un socle normatif fragile mais essentiel. L’AIEA, en tant que bras technique et de vérification du TNP, en assure la mise en œuvre par l’application d’accords de garanties, la conduite d’inspections, et le renforcement des capacités. La Conférence générale est un espace stratégique où se discute l’adaptation continue de ce régime face aux nouvelles menaces : prolifération technologique, enjeux cybernétiques, émergence d’acteurs non étatiques. La session de 2025 constitue ainsi un moment de réflexion juridique et politique, alors que le système nucléaire multilatéral approche ses sept décennies d’existence.
Une Session Stratégique au Cœur des Défis Contemporains
La session de septembre 2025 se tiendra dans un contexte international tendu, marqué par la montée des risques géopolitiques, la prolifération des technologies nucléaires duales, la transition énergétique post-carbone, et l’urgence climatique. Plusieurs thèmes de fond structurent l’agenda de cette 69ᵉ session :
❖ Le renforcement du régime international de non-prolifération, dans un monde où les menaces asymétriques et les tensions régionales mettent à l’épreuve les mécanismes multilatéraux existants.
❖ La promotion de l’accès équitable à la technologie nucléaire pour le développement durable, notamment à travers les Programmes de Coopération Technique (PCT) de l’AIEA, qui bénéficient à plus de 140 pays.
❖ La gestion durable des déchets radioactifs et le démantèlement des installations nucléaires en fin de vie, sujets de plus en plus centraux dans les discussions sur l’économie circulaire nucléaire.
❖ Le rôle croissant du nucléaire dans la production d’hydrogène bas-carbone, la désalinisation de l’eau, l’imagerie médicale, et la lutte contre les pandémies.
Le Maroc : Une Voix Africaine et Arabe Engagée pour le Nucléaire Civil Responsable
La délégation du Royaume du Maroc, forte de son expérience, de son expertise et de son engagement multilatéral, jouera un rôle stratégique dans les travaux de cette session. Le Maroc est aujourd’hui un acteur régional de premier plan dans la promotion de l’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire, en particulier dans le cadre des Objectifs de Développement Durable (ODD). À travers de multiples accords bilatéraux et multilatéraux qu’il a conclus sous l’égide de l’AIEA, le Maroc œuvre pour un accès sécurisé et réglementé aux applications nucléaires, tant dans les domaines de la santé, de l’agriculture, de la gestion de l’eau que de l’environnement.
En Afrique, le Maroc se positionne comme un facilitateur de la coopération Sud-Sud, notamment par son implication dans l’AFRA (Accord régional africain pour la recherche, le développement et la formation en sciences et techniques nucléaires). Lors de la 69ᵉ session, la délégation marocaine pourrait initier ou soutenir des projets structurants en matière de formation, de sûreté radiologique, et de renforcement des capacités nationales dans les pays du Sud, en particulier dans les zones fragiles ou post-conflit.
Innovation Technologique : SMR, Intelligence Artificielle et Cybersécurité
La session de 2025 sera également dominée par les questions d’innovation technologique, qui bouleversent les paradigmes de la filière nucléaire. Les Petits Réacteurs Modulaires (SMR) sont perçus comme des solutions prometteuses pour la décentralisation énergétique, en particulier dans les pays à faibles capacités de réseau. L’AIEA développe actuellement des référentiels réglementaires pour encadrer leur déploiement.
Parallèlement, l’irruption de l’intelligence artificielle dans les processus de contrôle, d’analyse prédictive et de sécurité opérationnelle impose de repenser la cybersécurité des infrastructures critiques. Ces évolutions posent aussi des questions éthiques majeures, notamment sur l’autonomie des systèmes de surveillance. Le Maroc, fort de ses partenariats avec des centres de recherche européens et africains, pourrait proposer la création d’un Observatoire international sur la gouvernance des technologies émergentes dans le nucléaire.
Préparation Diplomatique : Consultations Préalables et Alliances Stratégiques
Les 13 et 14 septembre 2025, en amont de l’ouverture officielle, des consultations préalables réuniront les délégations pour préparer l’ordre du jour, la composition du Bureau et la coordination des positions. Ces réunions offrent aux États un espace pour forger des alliances, affiner leurs priorités et faire émerger des consensus sur les résolutions à adopter. Le Maroc, reconnu pour sa diplomatie de convergence, pourra jouer un rôle de facilitateur, notamment sur des sujets sensibles comme le financement de la coopération technique ou les dispositifs de sûreté en zones instables.
Vers une Conférence Plus Verte, Éthique et Inclusive
L’AIEA a engagé une démarche forte pour faire de sa Conférence générale un modèle de durabilité environnementale et de responsabilité sociale. En 2025, cela se traduira par des mesures concrètes : dématérialisation des supports, réduction des déchets plastiques, restauration bas carbone, mobilité douce pour les participants.
Sur le plan éthique, un code de conduite strict contre le harcèlement, est mis en œuvre conformément aux standards de l’ONU. L’AIEA entend promouvoir un climat de respect, d’inclusion et d’égalité, notamment à travers la participation accrue des femmes et des jeunes dans le secteur nucléaire. Le Maroc, pays pionnier en matière de promotion du genre dans les institutions scientifiques, pourrait proposer une « Déclaration de Vienne pour un nucléaire inclusif et éthique ».
Financement de la Coopération Technique : Un Débat Structurel
La question du financement équitable des programmes de coopération technique demeure centrale. De nombreux États du Sud réclament une hausse des budgets alloués à ces initiatives, vitales pour leur développement énergétique et scientifique. Le Maroc pourrait défendre la création d’un Fonds international pour la transition nucléaire durable destiné aux pays en développement, tout en plaidant pour un rééquilibrage du budget entre activités de vérification et assistance technique.
Un Tournant pour la Gouvernance Nucléaire Internationale
La 69ᵉ session de la Conférence générale de l’AIEA s’annonce comme un moment décisif dans la refondation du multilatéralisme nucléaire. Elle permettra aux États membres de redéfinir les règles, les priorités et les mécanismes de coopération pour répondre aux défis du XXIᵉ siècle : sécurité, développement, innovation et durabilité.
Le Maroc, par son positionnement stratégique, son engagement diplomatique constant, et son leadership régional, est idéalement placé pour jouer un rôle de catalyseur dans ces débats. En conjuguant vision, expertise et responsabilité, le Royaume pourra faire de cette session un jalon historique pour l’avenir du nucléaire civil mondial.