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La compétence à sa place

J’ai grandi au cœur du Royaume du Maroc, où s’est forgée mon identité culturelle et où se sont enracinées en moi les valeurs de la dignité humaine et la nécessité de cultiver les talents. Installée ensuite aux Pays-Bas, qui sont devenus mon deuxième foyer professionnel et intellectuel, j’ai gardé des liens forts avec ma patrie d’origine, nourris par un engagement inébranlable pour la réforme institutionnelle et le développement durable. Je fais partie d’une équipe éclairée, unie par la préoccupation de préparer l’avenir de la jeunesse et des femmes, et de promouvoir les valeurs de compétence et de dignité humaine.
 
On dit dans la sagesse populaire : « La bonne personne à la bonne place », un proverbe qui résume toute une philosophie de gestion. Pourtant, la réalité vécue raconte souvent une toute autre histoire.
 
Comment pouvons-nous repenser notre façon de voir sans déconstruire les schémas cognitifs qui guident notre pensée ? Cette interrogation s’applique parfaitement à la pensée administrative et organisationnelle, qui doit revoir ses postulats fondamentaux, notamment la distinction établie entre certains postes dits « centres de coûts » et d’autres considérés comme « sources de profit ».
 
Dans les organisations réellement performantes, il n’existe pas de personnes de « seconde zone ». L’agent d’accueil, trop souvent perçu comme un « coût administratif », est en réalité un ambassadeur de l’institution : il façonne la première impression, influence directement l’image et la réputation de l’entité. Celui qui accueille les visiteurs avec un sourire sincère est le premier représentant de l’organisation. L’agent de propreté, parfois vu comme une charge budgétaire, assure en fait un environnement sain et stimulant pour tous. Le gardien veille à la sécurité du bâtiment, protège les investissements de l’entreprise et la vie des employés.
 
Tous ces acteurs sont partenaires dans la réussite : ils ne sont nullement des « charges supplémentaires » comme certains les décrivent. D’où l’importance de réformer le système d’évaluation, afin de distinguer le « productif » du « non-productif » et d’arriver à une appréciation globale de chaque individu. Réduire la personne à sa seule dimension matérielle de productivité contredit l’essence même du système de valeurs, notamment dans l’héritage islamique qui place la dignité humaine au-dessus de toute estimation purement matérielle.
 
La véritable reconnaissance ne s’arrête pas à la paie de fin de mois, elle s’exprime par le respect mutuel et la considération pour chaque membre de l’organisation. Sa Majesté le Roi Mohammed VI a d’ailleurs souligné, dans son message aux participants au Forum national de la fonction publique, que « la réforme de l’administration et la valorisation de ses ressources humaines » constituent le pilier du nouveau modèle de développement. Cette orientation royale place la réforme administrative et institutionnelle au cœur des transformations sectorielles.
 
Un simple « bonjour » sincère, un sourire authentique, l’écoute réelle des soucis et suggestions des employés : autant de petits détails qui font une grande différence. Lorsque l’employé se sent respecté et valorisé, cela se reflète positivement sur sa performance et sa loyauté envers l’institution, et donc sur les résultats. Dans certaines organisations, le taux élevé de turnover devrait nous alerter : ce n’est pas seulement la question de salaire qui pousse à partir, mais souvent le manque de reconnaissance et le mauvais traitement. Les dirigeants avertis savent que l’investissement dans l’humain est un investissement à long terme, et qu’instaurer un environnement sain et respectueux est plus important qu’une table de billard ou des repas gratuits.
 
La fidélité ne s’impose pas, elle se mérite : une organisation qui souhaite des employés loyaux doit commencer par leur être fidèle : investir dans le développement de leurs compétences, offrir des opportunités d’évolution, prendre en compte leurs conditions personnelles, et surtout respecter leur dignité humaine.
 
La question de la valorisation des compétences ne peut être dissociée du contexte économique général, ni des enjeux d’identité et de langue. Le capital humain ne se résume pas à un ensemble de compétences techniques, il porte aussi un héritage culturel et linguistique qui fait toute sa valeur ajoutée. La langue n’est pas qu’un instrument de communication : elle est réceptacle de l’identité, creuset du savoir et outil de créativité.
 
L’adoption du principe du « management par l’écoute », évoqué dans le rapport du Forum économique mondial, est un modèle de bonne gouvernance fondée sur la transparence et le dialogue dans la gestion des ressources humaines. Les organisations qui savent écouter et associer leurs collaborateurs à la prise de décision sont celles qui réussissent à découvrir et valoriser leurs talents internes.
 
Au final, il est nécessaire d’adopter une vision nouvelle qui place l’humain au centre de l’institution : non pas comme une simple « ressource » à exploiter ou un « coût » à maîtriser, mais comme un partenaire véritable dans la réussite collective. Le vrai défi des institutions, publiques ou privées, est de passer d’une vision où la ressource humaine est perçue comme un coût à contrôler, à une vision où elle devient un investissement stratégique à valoriser et à développer.
 
Ce changement n’est pas qu’une question de mots : il s’agit d’une transformation profonde de la culture, des mentalités et des pratiques. Mettre la bonne personne à la bonne place n’est pas un simple slogan de gestion : c’est une philosophie qui place l’humain au cœur de la dynamique de développement.
 
« Une seule équipe, une seule mission » : ce n’est pas un mantra, mais une éthique de travail qui exige d’être traduite en actes.
 
Le modèle de développement marocain, qui érige le capital humain en pilier, ne pourra se réaliser que grâce à la convergence de plusieurs facteurs : une volonté politique forte qui traduit les discours en actes, une réforme administrative profonde garantissant transparence et égalité des chances, un système éducatif et de formation en phase avec les besoins du marché, et une culture sociale qui valorise le savoir, le travail et la créativité.
 
La question demeure : comment passer du constat à la transformation ? Comment franchir le fossé entre la vision et sa mise en œuvre ? Comment traduire le discours qui place l’humain au centre des préoccupations en politiques publiques et pratiques institutionnelles concrètes ?
 
La réponse réside sans doute dans la construction d’une alliance stratégique entre tous les acteurs : État, secteur privé, société civile, autour d’une vision partagée qui érige la valorisation des compétences nationales en projet de société global, promeut les valeurs de mérite et d’excellence, oriente le système éducatif vers la créativité, et développe la culture administrative sur la base de la flexibilité et de l’efficacité.
 
Préparons ensemble la voie à un avenir radieux pour notre jeunesse.

 

Malika Maanani
Présidente de la Fondation Ashbal Al Maghreb

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