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​Le Maroc entre la Chine et l’Europe : une plateforme stratégique pour l’économie minérale verte mondiale

Dans un environnement économique mondial en pleine recomposition, où les matières premières critiques sont devenues des actifs géostratégiques majeurs, le Maroc émerge comme un acteur économique central de la transition énergétique. Doté d’un sous-sol riche en minerais stratégiques, d’un positionnement géographique clé aux portes de l’Europe, de l’Afrique et de l’Atlantique, et d’un climat d’investissement relativement stable, le Royaume s’inscrit au cœur des chaînes d’approvisionnement mondiales de l’industrie bas carbone. Son ambition est claire : devenir un hub économique régional et continental pour l’extraction, la transformation et l’exportation des minerais de transition, en tirant parti de partenariats différenciés avec la Chine et l’Union européenne, deux pôles industriels aux logiques complémentaires.

Un potentiel minier à fort levier économique
Le Maroc dispose d’atouts miniers considérables, qui le positionnent au premier plan de la reconfiguration industrielle mondiale. Le pays détient plus de 70 % des réserves mondiales de phosphate, exploité par le géant public OCP, acteur majeur de la fertilisation mondiale mais aussi fournisseur de matériaux pour les batteries lithium-fer-phosphate (LFP). En outre, le Royaume possède des gisements significatifs de cobalt (à Bou Azzer), de manganèse, de cuivre, de barytine, de zinc et de terres rares, qui entrent dans la fabrication des composants essentiels aux technologies de l’énergie renouvelable, comme les éoliennes ou les véhicules électriques.

Selon les dernières données du ministère de la Transition énergétique, le secteur minier représente 10 % du PIB marocain, environ 25 % de ses exportations, et emploie plus de 49 000 personnes. Cette contribution devrait augmenter, alors que la demande mondiale pour les minerais critiques devrait être multipliée par 4 à 6 d’ici 2040, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Cette dynamique offre au Maroc une fenêtre d’opportunité pour accélérer son développement industriel, capter des IDE de qualité, et consolider sa balance commerciale.
 

Entre Bruxelles et Pékin : une stratégie de diversification géoéconomique
La diplomatie économique marocaine mise sur une diversification intelligente des partenariats. À l’ouest, l’Union européenne, partenaire historique du Maroc, représente à la fois un débouché stratégique et un partenaire normatif. À travers le Green Deal européen et son plan d’action sur les matières premières critiques, l’UE cherche à sécuriser ses approvisionnements en dehors de la Chine, avec des pays politiquement stables et engagés dans la durabilité. Cela s’est traduit par des financements à travers le Global Gateway, un soutien au secteur privé européen au Maroc, notamment dans les énergies renouvelables, et des partenariats technologiques (notamment dans la certification, la traçabilité et la conformité environnementale).

À l’est, la Chine déploie sa puissance d’investissement via l’Initiative « la Ceinture et la Route ». Elle offre au Maroc un accès rapide à des financements pour les infrastructures minières et industrielles, une expertise technique dans le raffinage et une intégration dans ses propres chaînes d’approvisionnement mondiales. Plusieurs entreprises chinoises sont désormais actives dans le secteur extractif marocain, mais aussi dans la fabrication de composants électroniques ou de batteries.

Cette bipolarité géoéconomique permet au Maroc de ne pas se retrouver dépendant d’un seul bloc, de renforcer son attractivité pour les investisseurs, et de jouer un rôle de « pivot stratégique » dans la compétition économique mondiale autour des minerais de la transition.
 

Un modèle émergent de gouvernance trilatérale des chaînes de valeur minières
Face à la montée des tensions autour des matières premières critiques, le Maroc propose une approche coopérative fondée sur la création d’un cadre trilatéral Maroc–UE–Chine, axé sur la complémentarité des modèles économiques. Selon un rapport de l’Institut des politiques africaines, cette gouvernance devrait reposer sur cinq piliers :

Une task force commune pour coordonner les investissements et les normes ; Des zones industrielles spécialisées, notamment autour des ports de Tanger Med et Nador West Med ; Un pacte de durabilité unifié, basé sur les standards ESG internationaux ; Des corridors logistiques intégrés, reliant les sites miniers aux terminaux portuaires ; Des dispositifs de développement des compétences locales, pour ancrer les chaînes de valeur dans le tissu socio-économique marocain.

Un tel modèle permettrait de mutualiser les ressources, d’éviter les duplications de projets, et de faire émerger une plateforme de transformation régionale à haute valeur ajoutée, capable de répondre aux besoins des marchés européens, africains et asiatiques.
 
Vers une montée en gamme industrielle : gigafactories,
infrastructures vertes et souveraineté technologique
Le Maroc affiche une ambition industrielle claire : passer du statut d’exportateur de matières premières à celui de producteur de composants technologiques à forte valeur ajoutée. Cette stratégie se manifeste notamment dans le domaine des batteries électriques. En 2023, le groupe chinois Gotion High-Tech a annoncé la construction d’une gigafactory de 20 GWh, pour un investissement estimé à plus de 6 milliards de dirhams, avec pour objectif de fournir le marché européen via Tanger Med.

En parallèle, le Maroc développe une infrastructure énergétique alignée avec les objectifs de neutralité carbone : centrale solaire Noor (580 MW), parc éolien de Tarfaya (300 MW), projets de dessalement à énergie verte, interconnexions électriques avec l’Espagne et le Royaume-Uni, etc. Ces projets renforcent la compétitivité des filières électro-intensives et réduisent le coût énergétique pour les industriels.

L’émergence d’un écosystème intégré, alliant extraction, transformation, innovation, exportation et durabilité, place le Maroc sur la trajectoire d’une souveraineté industrielle verte, capable de résister aux chocs géopolitiques et aux ruptures de chaînes d’approvisionnement.
 

Hydrogène vert : catalyseur de la prochaine révolution industrielle
Le Plan Hydrogène Vert lancé par le gouvernement marocain prévoit la mobilisation d’un million d’hectares pour la production d’hydrogène à partir d’énergie solaire et éolienne, principalement dans les régions du Sud. Ce projet, qui vise à attirer plus de 20 milliards de dollars d’investissements à l’horizon 2035, bénéficie déjà du soutien de l’Allemagne via un protocole d’accord signé en 2022.

L’objectif est de positionner le Maroc comme fournisseur principal d’hydrogène vert pour l’Europe, qui pourrait représenter 10 à 15 % de sa consommation future selon Hydrogen Europe. Des projets de pipeline et de terminaux d’exportation sont à l’étude, avec Tanger Med comme point névralgique.

L’hydrogène vert, en tant que nouveau vecteur énergétique mondial, pourrait ainsi devenir un pilier des exportations marocaines et un accélérateur de l’intégration énergétique euro-africaine.
 

Conclusion : vers une souveraineté économique verte maroco-euro-africaine
En capitalisant sur sa position géographique, sa richesse minérale, ses partenariats économiques et ses capacités logistiques, le Maroc construit un modèle économique hybride, à la croisée de la souveraineté minière, de l’industrialisation verte et de l’ouverture commerciale. Ce positionnement unique dans les chaînes de valeur des minerais critiques offre au Royaume une influence croissante dans les négociations globales sur l’énergie, l’industrie et le climat.

Si le Maroc parvient à consolider ses réformes structurelles (code minier, fiscalité verte, innovation locale) et à assurer une gouvernance transparente et inclusive, il est appelé à devenir une plateforme industrielle verte majeure pour le XXIe siècle, capable d’influencer la recomposition économique du Sud global et de contribuer activement à l’autonomie stratégique de l’Europe.
 

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