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Loups solitaires : Dilemme d’une menace imprévisible pour l’État [INTÉGRAL]

L’arrestation à Settat d’un individu de 18 ans, sur le point de préparer une attaque inspirée par Daech, met en lumière la menace grandissante des «loups solitaires». Elle soulève aussi la question du lien entre extrémisme, troubles psychiatriques et prévention d’actes criminels.

Si nos services de Renseignement ont acquis une expertise reconnue dans la détection et le démantèlement de cellules terroristes composées de plusieurs individus, structurées, hiérarchisées et affiliées à Daech ou à Al-Qaïda, l’émergence de “loups solitaires” constitue un défi d’une tout autre complexité. C’est notamment le cas de cet individu de 18 ans, appréhendé le 10 août à Douar El Amarna, près de Settat, par les services de sécurité alors qu’il projetait de commettre une attaque terroriste inspirée par Daech. Fruit d’une action coordonnée entre la Direction Générale de la Surveillance du Territoire (DGST) et le Bureau Central d’Investigations Judiciaires (BCIJ), cette arrestation met en lumière la gravité de cette menace émergente.
 

Projet d’attentat terroriste
 
Selon le communiqué du BCIJ, le suspect avait manifesté un intérêt particulier pour la fabrication d’explosifs et de ceintures explosives. Les premiers éléments de l’enquête indiquent qu’il projetait des actions susceptibles de porter gravement atteinte à la sécurité des personnes et à l’ordre public. En contact direct avec un chef maghrébin de Daech sur le terrain, il aurait reçu des instructions précises pour exécuter un projet terroriste au Maroc, ainsi que des documents et publications détaillant les techniques de fabrication d’explosifs.

L’enquête préliminaire a révélé que le jeune homme faisait également l’apologie, sur diverses plateformes médiatiques, d’attaques terroristes menées par des combattants de Daech. Il partageait et relayait des contenus incitant à l’exécution de projets subversifs, renforçant ainsi son engagement idéologique et sa volonté de passage à l’acte.

Le suspect a été placé en garde à vue dans les locaux du BCIJ, sous la supervision du parquet chargé des affaires de terrorisme. Les investigations visent à déterminer l’ensemble des projets qui lui sont imputés et à identifier d’éventuels complices au Maroc comme à l’étranger. 

Facteur psychiatrique

Outre leur radicalisation, qui relève d’une démarche individuelle, ces personnes présentent souvent des troubles psychiatriques susceptibles d’expliquer leur adhésion à des idéologies extrémistes et violentes. Comme l’a souligné l’ancien directeur de l’hôpital psychiatrique Ar-Razi, Jallal Toufiq, un malade mental peut, dans de rares cas de pathologies sévères, telles que la schizophrénie, développer des comportements violents pouvant déboucher sur des actes criminels. Pour lui, “chaque fois qu’un malade mental commet un crime, c’est toujours sa maladie qui est mise en avant comme si celle-ci l’accablait davantage dans une sorte de double peine, malade et criminelle à la fois. Or, la maladie mentale bénéficie, au contraire, dans certains cas d’une dimension d’irresponsabilité de la personne ayant commis le crime. Comme la maladie mentale souffre déjà de beaucoup de stigmatisation et d’indexation négative, le crime vient rajouter une couche à l’indignation et à l’incompréhension populaire. C’est comme si le crime est encore plus abject lorsqu’il est commis par un malade mental”.
 

Prévention nécessaire
 
Interrogé sur les moyens devant être mobilisés pour mettre un terme à ce phénomène ou, du moins, le réduire au maximum, M. Toufiq a répondu que “dans certaines pathologies psychiatriques qui sont des maladies du cerveau, nous remarquons l’émergence de délires, d’hallucinations, de troubles de jugement et de discernement, de l’agitation et de l’instabilité qui peuvent entraîner des passages à l’acte criminel. La meilleure prévention est l’amélioration de la connaissance chez la population générale quant aux troubles mentaux. Ceci permet une meilleure prise de conscience conduisant à une meilleure reconnaissance des symptômes initiaux et donc une intervention précoce. Celle-ci est cruciale et amène à prévenir l’installation de formes graves, de formes récurrentes ou chroniques et donc de passages à l’acte”.

Il a, dans le même ordre d’idées, expliqué qu’en protégeant et en améliorant “la qualité des soins fournis, nous faisons dans la réduction des risques des actes criminels secondaires. La maladie mentale souffre d’un déficit criard dans les ressources humaines et dans les programmes de soins adaptés, disponibles et accessibles. Tant que c’est le cas, n’accablons pas nos malades, quand bien même ils passeraient à l’acte”.
 

3 questions à Habboub Cherkaoui, directeur du BCIJ : « Les conditions de recrutement adoptées par les organisations terroristes ne s’appliquent jamais au malade mental »
Quelle est la stratégique actuelle du BCIJ contre les loups solitaires ?
 
– C’est une stratégie développée au lendemain des événements tragiques du 16 mai 2003, basée sur l’anticipation et la vigilance continues et accrues à tous les niveaux conformément à la loi et aux principes des droits de l’Homme. L’identification et le suivi des loups solitaires est l’un des grands défis, non seulement pour le Royaume mais aussi pour tous les pays, étant donné que le moment du passage à l’acte du loup solitaire est difficilement détectable. Sa particularité est qu’il est toujours imbu de l’idéologie salafi-jihadiste, recruté virtuellement par des organisations terroristes, mais exécute tout seul son acte. Par ailleurs, en plus de son capital humain très qualifié, la DGST dispose de moyens logistiques très développés adoptés dans le cadre de cette stratégie, en plus de l’arsenal juridique.
 
 

Les aliénés mentaux peuvent-ils être une cible potentielle de recrutement par les organisations terroristes ?

 
– Impossible et inconcevable. Dans toutes les affaires traitées, les enquêtes effectuées n’ont jamais abouti à l’identification d’un malade mental recruté ou membre d’une quelconque organisation ou cellule terroristes. Les conditions de recrutement adoptées par ces organisations ne s’appliquent jamais au malade mental. Elles ne peuvent pas attirer, recruter, embrigader ou encadrer un aliéné mental, parce qu’il ne dispose pas des conditions requises par ces organisations comme principale méthodologie dans la formation de la cellule terroriste pour plusieurs raisons, notamment : il ne doit pas dévoiler leurs secrets, doit justifier d’un certain niveau d’allégeance et doit avoir des convictions jihadistes.
 
 

Quelle sera la première action du BCIJ après la sortie dudit malade mental de l’hôpital psychiatrique ?

 
– Jusque-là, la mission du BCIJ est, du point de vue juridique, presque terminée après l’internement du mis en cause. Il est actuellement à la disposition de la justice qui dira, plus tard, son dernier mot. Le BCIJ a procédé à toutes les mesures nécessaires et remis l’affaire au parquet général compétent.
 
 

​Terrosime au Sahel : EIGS et GSIM
L’État Islamique dans le Grand Sahara (EIGS) a été fondé en 2015 par Adnan Abou Walid al-Sahraoui, ancien membre du Front Polisario et du Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO). En octobre 2016, le calife de Daech, Abou Bakr al-Baghdadi, a officiellement reconnu l’allégeance de l’organisation, formalisant ainsi la création de l’EIGS. L’EIGS s’est rapidement distingué par des attaques violentes, notamment l’embuscade de Tongo Tongo au Niger en 2017, où des soldats américains et nigériens ont été tués. Le groupe opère principalement dans la région des trois frontières (Mali, Niger, Burkina Faso), ciblant aussi bien les forces armées que les civils.

Le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM) a été créé en 2017 par la fusion de plusieurs groupes jihadistes, notamment Ansar Dine, Al-Mourabitoun, la katiba Macina et des éléments d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Affilié à Al-Qaïda, le GSIM cherche à centraliser les factions jihadistes au Sahel. Il exerce une influence significative dans le Nord et le centre du Mali, ainsi que dans les zones frontalières avec le Burkina Faso et le Niger.

Depuis 2020, l’EIGS et le GSIM se disputent le contrôle de territoires stratégiques, notamment dans la région du Liptako-Gourma. L’EIGS privilégie des tactiques de terreur brutale pour imposer sa domination, tandis que le GSIM combine violence et intégration sociale en exploitant les frustrations des populations locales.
 

​BCIJ : Démantèlement d’une cellule de Daech à Tétouan et Chefchaouen
Le BCIJ a procédé, le 2 juillet, au démantèlement d’une cellule terroriste affiliée à la soi-disant organisation « État islamique », composée de quatre extrémistes, âgés de 20 à 27 ans, qui s’activaient entre Tétouan et Chefchaouen.

Les perquisitions menées aux domiciles des suspects ont permis la saisie d’un manuscrit contenant le texte de l’ »allégeance » déclarée par les membres de la cellule au prétendu émir de l’organisation terroriste « Daech », ainsi que l’enregistrement qui documente cette « allégeance », un drapeau faisant référence à cette organisation, un uniforme noir composé d’un pantalon et d’une veste portant des écrits à caractère extrémiste, des maquettes d’armes (un fusil équipé de viseur et deux pistolets), et un ensemble de supports électroniques qui seront soumis à l’expertise numérique nécessaire.

Les opérations de recherches et d’investigations menées sur le terrain dans le cadre de cette affaire ont révélé la gravité des projets terroristes planifiés par les membres de cette cellule, en conformité avec l’agenda subversif de l’organisation de « Daech » visant à porter atteinte à la stabilité du Royaume. Les mis en cause avaient déjà entamé la préparation de l’exécution de leur projet terroriste à travers des tests sur le terrain dans une zone montagneuse de Tétouan, dans le but de fabriquer des engins explosifs.

Les investigations ont également révélé que les suspects ont documenté leur allégeance à l’actuel prétendu émir de l’organisation de « Daech » par le biais d’un manuscrit et d’une vidéo, en vue d’obtenir le soutien de la direction de cette organisation à leurs projets terroristes.

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