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MAGAZINE : Nour-Eddine Saïl, un hommage en contreplongée

Le 15 décembre, date de sa disparition en 2020 à 73 ans, Nour-Eddine Saïl a été célébré au CinéAtlas à Rabat par un parterre de personnalités, d’amis, de journalistes, de critiques et d’adeptes. Sous la baguette de sa veuve Nadia Larguet et son fils Souleimane, le fin intellectuel est apparu comme un mortel vivant. Témoignages, projection du court métrage « L’Ecran noir » et annonce de la réédition de l’étrange roman « L’Ombre du chroniqueur » ont rythmé cet après-midi dominical. Retour sur un parcours, une réédition.

Philosophe, écrivain, critique, cinéaste, penseur, agitateur, homme de culture(s)…, Nour-Eddine Saïl scintillait dans l’immensité. Avec sa disparition, ce n’est pas une lumière qui s’est éteinte il y a quatre ans mais un disjoncteur qui a pris feu. Ses multiples éclairages éblouissaient même ceux qui le dénigraient jusqu’à le craindre… par aveuglement.

Né en 1947, c’est à Tanger que le petit Nour-Eddine écarquille les yeux. Bac en poche, il est téléporté à Rabat où il s’empare d’un DES en philosophie à la faculté des Lettres. Il enseigne ensuite cette matière au lycée Moulay Youssef où il diffuse systématiquement des films à ses étudiants à qui il impose débats après projections. Au milieu des années 1970, il est propulsé inspecteur général de philosophie du royaume.

Entre-temps, sa cinéphilie grandissante le pousse à la création de la Fédération nationale des ciné-clubs du Maroc qu’il dirige pendant plusieurs années avec le concours militant de la frange gauchisante du pays, institution dans le viseur des services. Boulimique incontrôlable, Nour-Eddine crée en 1977 les Rencontres des cinémas africains de Khouribga qui reçoivent plus tard le statut de fondation. Son irruption dominicale en 1979 sur les ondes de RTM-Chaîne Inter fait de lui le philosophe de la cinématographie racontée au lambda. L’émission « Ecran noir », agrémentée d’un générique emprunté à la chanson « Cinéma » de Claude Nougaro sur une composition de Michel Legrand, fait de Nour-Eddine la voie incontournable pour la compréhension d’un art visuel.

Pendant les fraîches années de la décennie suivante, l’Etat décrète la fin de la récréation de l’éducation philosophique et sociologique dans le pays. Ecœuré, Saïl rend le tablier à son ministère de tutelle. En 1984, le voici nommé directeur des programmes au sein de la TVM en gratifiant, au passage, le téléspectateur marocain d’une programmation cinéma inédite. Deux années plus tard, il fait partie en léger différé de l’opération de prestige « Ca bouge à la télé » voulue par Hassan II, pilotée par l’entrepreneur français André Paccard et le dramaturge Tayeb Saddiki. Dans la foulée, le ministre de l’Intérieur Driss Basri hérite du portefeuille de l’Information. La débandade est alors sans nom. Si Nour-Eddine Saïl, à l’instar d’autres, n’est plus dans les parages, il est sur d’autres rivages.                          
                                                                        
Raisons d’éthique

L’homme qui écrit en 1989 le roman « L’Ombre du chroniqueur » en donnant congé à la lettre A, est tout sauf un démissionnaire. Le cinéma est dans ses entrailles. Il s’y emploie sans retenue, le nourrit pour les siens, pour les Africains qui le vénèrent à Ouagadougou entre autres, le respectent à travers le monde. L’ancien critique des publications « Maghreb Information », « Caméra 3 » qu’il lance, du magazine français « Les Cahiers du cinéma » où il croise son futur ami Serge Toubiana ne cesse de donner, d’être célébré, de se réinventer. Au lendemain de la naissance de la deuxième chaîne de télévision marocaine dite 2M International, son président Fouad Filali, alors gendre de Hassan II et patron de l’ONA (Omnium Nord-Africain) holding royale, fait appel à Nour-Eddine en tant que conseiller pour le développement de sa télévision. Pour des raisons d’éthique, il quitte rapidement le navire et nage vers Paris où l’attend feu Serge Adda, patron de Canal Horizons. Il lui offre le siège de directeur des achats de programmes et ensuite celui de directeur général des programmes et de l’antenne. Sur Canal + France, Saïl installe une capsule traitant de philosophie.                                    
                                                                                 
Refondation de la production

En 2000, un séisme « éditorial » secoue la direction de 2M, renvoyant chez-eux le directeur général Larbi Belarbi et ses proches collaborateurs. Le ministre de la Communication de l’époque, Larbi Messari, nomme Nour-Eddine Saïl patron de la chaîne. L’agitateur crée rapidement une matinale d’information qui fait long feu, met en place un comité pour l’octroi d’aide à la production de téléfilms et met sur pied Radio 2M. L’homme est remercié trois années plus tard après avoir rencontré sa future femme Nadia Larguet et hérite in extremis du poste de directeur général du Centre cinématographique marocain (CCM) où sa trace est à ce jour indélébile. Il y refond l’aide à la production, y instaure la production de trois courts métrages pour l’acquisition de la carte professionnelle, y met fin à l’informel et passe la production nationale de cinq films par an à vingt-cinq. Pendant son règne à la tête du CCM, Saïl est nommé vice-président délégué de la Fondation du Festival international du film de Marrakech et décide d’installer dans sa ville (Tanger) l’ancien itinérant festival national du film. 2014, année de la désillusion. Nour-Eddine est débarqué par le décontenançant ministre PJDiste de la communication Mohamed Khalfi au profit d’un appel à candidature qui mène aux commandes Sarim El Haq Fassi Fihri.

Depuis, le multi linguiste Saïl est sur plusieurs fronts. Trésorier du réseau international pour la diffusion du cinéma européen dit Europa Cinemas, il est conseiller de plusieurs festivals internationaux et œuvre pour la transmission. Au Maroc, il répond présent à toutes les manifestations qu’il juge bonnes à accompagner. Il y a quelques mois, il dit à un parterre d’étudiants casablancais : « Si vous voulez déflorer ce métier, maîtrisez au moins trois langues. Quatre, c’est mieux. » L’homme à l’humour acerbe et à la franchise déconcertante ose ce qui l’intéresse avec le regard d’un vieux moderniste : « Nous marchons à reculons. Dans les années 1970, les ciné-clubs étaient notre raison d’exister en tant qu’agitateurs culturels. Tout passait par les films. Lorsqu’une copie arrivait, elle faisait dix projections dans autant de villes. Un record ! Elle voyageait au rythme de nos moyens et cela donnait lieu à des débats passionnés », raconte, il y a moins de deux ans, le passionné devant un parterre de nouveaux responsables de ciné-clubs marocains. Au contact de ce troublant érudit, on a droit à son émancipation intellectuelle, agrémentée par à-coups de citations de Kubrick, Spinoza, Eco, Nietzche, Morin ou Godard. Pourquoi faire simple lorsqu’on peut allègrement faire compliqué.

 

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