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Maroc / Afrique du Sud : Rabat fait sauter un verrou à Pretoria [INTÉGRAL]

En recevant en grande pompe l’ex-président sud-africain, Jacob Zuma, à Rabat, le Maroc force la serrure diplomatique en Afrique du Sud.

Tapis rouge, point de presse, rencontre avec des officiels de premier plan… Rabat n’a pas lésiné sur les moyens pour recevoir, le 15 juillet courant, Jacob Zuma, président du Umkhonto we Sizwe, parti d’opposition à l’Assemblée nationale de Pretoria. «Nous sommes ravis et honorés d’être ici à Rabat pour approfondir le lien historique entre nos deux pays, né à l’époque de la lutte contre l’apartheid», a déclaré aux journalistes le désormais chef de file de la «résistance» face à l’actuel chef d’Etat en Afrique du Sud, Cyril Ramaphosa. 

Zuma n’était pas là pour dispenser un cours d’Histoire contemporaine, mais plutôt pour afficher complètement son soutien à la proposition marocaine d’autonomie, qui permettra, selon ses dires, «une gouvernance locale significative par les populations de la région du Sahara, tout en garantissant au Maroc sa souveraineté sur le Sahara». Jacob Zuma a ajouté que son parti, le MK, «reconnaît le contexte historique et juridique qui renforce la revendication du Maroc sur le Sahara» et «estime que les efforts du Maroc pour recouvrer sa pleine intégrité territoriale s’inscrivent dans la continuité de l’engagement du parti MK à préserver la souveraineté et l’unité des États africains».

Naturellement, Jacob Zuma a reconnu «le soutien international et continental croissant que la proposition marocaine d’autonomie a reçu ces dernières années». Et d’abonder : «La proposition d’autonomie offre une voie équilibrée qui favorise la stabilité, la paix et le développement dans la région», avant d’appeler «la communauté internationale à soutenir le plan d’autonomie du Maroc, qui constitue un moyen efficace d’assurer la paix, la stabilité et la prospérité du peuple du Sahara».

Inattendue, la visite de Jacob Zuma au Maroc n’est pas pour autant aussi surprenante. Son parti, le MK, avait déjà annoncé la couleur le mois dernier dans un document intitulé «Un partenariat stratégique pour l’unité africaine, l’émancipation économique et l’intégrité territoriale : Maroc». Aux allures de véritable feuille de route, la lettre de 17 pages rappelle que le Sahara «faisait partie du Maroc avant la colonisation espagnole à la fin du XIXème siècle». 

«De ce fait, il fait partie intégrante du Maroc depuis des siècles. La revendication marocaine est antérieure à la colonisation et trouve son origine dans l’allégeance des tribus au Trône marocain», estime encore le parti, tout en appelant la communauté internationale à «prendre en compte les liens historiques de la région avec le Maroc et les intérêts légitimes du peuple marocain à maintenir son intégrité territoriale». Mieux, le MK qualifie la Marche Verte d’«acte de décolonisation et témoignage des liens historiques entre le Maroc et son Sahara» et de «mouvement de libération unique et non violent» où «plus de 350.000 Marocains non armés sont entrés au Sahara pour reconquérir leurs terres».

Il aura fallu quatre jours au Congrès national africain (ANC) pour réagir à la visite de Jacob Zuma à Rabat. Dans un communiqué publié samedi, le parti au pouvoir s’est attardé sur l’utilisation par l’ex-président sud-africain du drapeau arc-en-ciel, symbole du pays «dans des engagements de politique étrangère qui menacent la souveraineté nationale». L’ANC a pris le soin de ne pas nommer Zuma, se contentant de le désigner comme une «figure de l’opposition qui ne représente pas le gouvernement démocratiquement élu d’Afrique du Sud».

Pour le parti, engagé dans un bras de fer politique avec Zuma (voir encadré), le séjour marocain de ce dernier constitue «une flagrante violation des normes diplomatiques et une intrusion inacceptable dans les affaires politiques internes sud-africaines», mais aussi «une tentative dangereuse de délégitimer nos symboles nationaux dans des activités partisanes hébergées par des puissances étrangères».
 

Omar KABBAJ

Nouvelle perception : Un contexte politique favorable
Si, pour le moment, la position de Jacob Zuma n’engage que son parti, elle permet d’espérer une transformation de la perception du conflit du Sahara au pays de Nelson Mandela, où l’ANC traverse sa crise politique la plus grave depuis 1994, date des premières élections législatives tenues après la fin de l’apartheid. Lors du scrutin de 2024, entaché par des scandales de corruption, plombé par la criminalité et une économie morose, l’ANC doit également faire face à la montée du MK, qui obtient un score encourageant de 14,5%. L’ANC remporte les élections certes, mais avec 40,1% des suffrages, c’est la première fois que le parti ne remporte pas la majorité absolue et se retrouve contraint de composer avec le reste des forces politiques.

Aujourd’hui, ce gouvernement de coalition – qui compte dans ses rangs des partis conservateurs tels que l’Alliance démocratique (DA) et le parti Inkatha de la liberté (IFP) – reste très fragile. 
Le patron du DA, John Steenhuisen, a exprimé son indignation le week-end dernier après que Ramaphosa ait démis son camarade de parti, Andrew Whitfield, de ses fonctions en tant que vice-ministre du Commerce et de l’Industrie. Ramaphosa a justifié le licenciement de Whitfield en déclarant qu’il avait effectué un voyage international sans avoir obtenu l’autorisation nécessaire. Steenhuisen, cependant, y voit une manœuvre politique calculée contre son parti. «Le DA a décidé de se retirer du dialogue national avec effet immédiat», a déclaré Steenhuisen lors d’une conférence de presse, faisant référence à l’initiative récemment lancée par Ramaphosa visant à relever les défis nationaux critiques tels que la pauvreté, le chômage, l’inflation et la criminalité.

Echanges commerciaux : L’économie, clé de la réconciliation ?
Locomotives économiques du continent africain, le Maroc et l’Afrique du Sud auraient beaucoup à gagner en renforçant leurs échanges commerciaux. «L’Afrique du Sud étant le plus grand investisseur du continent, et le Maroc ayant une empreinte économique croissante sur le continent, en tant que deuxième plus grand investisseur en Afrique, ces deux pays pourraient ensemble libérer un énorme potentiel commercial, en particulier dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale africaine», espère le MK dans sa feuille de route pour une nouvelle ère de relations Pretoria-Rabat. Justement, en février dernier, l’administration fiscale sud-africaine avait autorisé une modification significative de la loi sur les douanes officialisant l’intégration du Maroc, du Burundi et de l’Ouganda à la ZLECAf. Celle-ci ambitionne de créer un marché unique rassemblant 54 états africains, en réduisant progressivement les barrières tarifaires et en facilitant la libre circulation des biens et services. Objectif affiché : accroître le commerce intra-africain de plus de 50% à l’horizon 2035, en dopant les investissements et en favorisant une plus grande compétitivité des industries locales.

Pas plus loin que mai dernier, une autre initiative était lancée : Le Centre marocain pour la diplomatie parallèle et le dialogue des civilisations et DEVAC Invest Africa, un centre sud-africain d’intelligence économique, signaient à Johannesburg un mémorandum d’entente avec pour objectif de promouvoir la coopération dans plusieurs domaines entre le Maroc, l’Afrique du Sud et le reste du continent africain. La coopération entre les deux parties porte également sur l’échange d’expertise dans le domaine de l’économie bleue et l’investissement dans les ressources marines, ce qui offre aux deux pays de nouvelles opportunités dans ce domaine.

Conjoncture : Un pari qui en rappelle un autre ?
Ce n’est pas la première fois que le Maroc mise sur une figure d’opposition dans un grand pays d’Afrique en espérant l’aligner à sa cause une fois celle-ci au pouvoir. Il y a quelques années, William Ruto, alors vice-président du Kenya et en mauvais termes avec son chef de l’Etat, Uhuru Kenyatta, avait déclaré à l’agence MAP que «le Plan d’Autonomie sous souveraineté marocaine est la meilleure solution à la question du Sahara». Sous pression interne, Ruto dépêche son chef de cabinet Ken Osinde, pour indiquer à la cheffe de la diplomatie locale que les allégations sont tout simplement «fausses».

Moins d’un an plus tard, William Ruto est élu à la tête de cette puissance de la Corne de l’Afrique. Le lendemain de son investiture, il annonce que Nairobi retirait sa reconnaissance de la RASD. Une annonce intervenue à la suite d’une rencontre avec le ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita. Mais, surprise : la publication disparaît du fil Twitter du président kényan quelques heures plus tard. Depuis, malgré plusieurs entrevues entre hauts officiels marocains et kényans, dont une rencontre entre Aziz Akhannouch et Ruto lui-même, ce dernier n’a toujours pas clarifié sa position quant à la question du Sahara depuis le couac de 2022 et n’a toujours pas foulé le sol marocain, malgré des rumeurs persistantes annonçant une visite officielle.

 

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