Tandis que la plupart des pays européens soutiennent la marocanité du Sahara, l’Italie et le Royaume-Uni observent encore un silence prudent pour des raisons différentes. Décryptage.
Au fur et à mesure que le temps passe, le conflit du Sahara s’achemine petit à petit vers une issue définitive. Les victoires successives et les reconnaissances internationales que le Maroc a pu engranger ces dernières années font qu’une grande partie d’observateurs, qu’ils soient marocains ou étrangers, ont la certitude que le Maroc a gagné la bataille. Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche a renforcé cette conviction, d’autant plus qu’il a lui-même enclenché cet effet domino en 2020, lorsqu’il a reconnu la marocanité du Sahara. Tout laisse croire que le nouveau président américain va réaffirmer ostensiblement sa décision après quatre ans de prudence de l’Administration Biden, qui n’est pas allée jusqu’au bout de toutes les promesses de la déclaration tripartite du 10 décembre 2020. «Maintenant que Trump est de retour, l’élan de soutien international à la marocanité du Sahara va s’accélérer», tranche Alexandre Del Valle, essayiste et expert en géopolitique, qui explique que les pays occidentaux encore indécis finiront par rejoindre cet élan de soutien international au Maroc.
Le suspense italien
De l’autre bout de l’Atlantique, une grande partie de pays européens semblent eux aussi convaincus que la question est d’ores et déjà tranchée. Près de 17 pays européens, y compris des puissances influentes, telles que la France, l’Allemagne et l’Espagne, soutiennent l’initiative d’autonomie sous souveraineté marocaine. Au sein de ce club des grandes économies de l’UE, l’Italie fait encore cavalier seul bien que les relations entre Rabat et Rome soient amicales. Le gouvernement de Giorgia Meloni reste taciturne et fidèle à sa neutralité traditionnelle. Sa diplomatie emploie toujours des termes vagues et se contente de saluer les efforts consentis par le Maroc pour résoudre le conflit. Cela revient à rester poli sans rien dire, pour autant. Cette position timide est le reflet de l’état des relations politiques entre les deux pays, fait observer Abderrahmane Chabib, Directeur exécutif de l’Académie diplomatique italienne, qui estime que les Italiens ont l’impression que le Maroc ne leur accorde pas autant d’importance qu’aux Français, aux Espagnoles ou aux Allemands. “Les Italiens nous considèrent comme les amis traditionnels de la France et de l’Espagne, raison pour laquelle ils restent à l’écart”, précise M. Chabib. C’est pour cette raison que c’est au Maroc de faire le plus long chemin pour se rapprocher de l’Italie, estime l’expert qui connaît si bien les méandres de la politique italienne. Notre interlocuteur juge que le Maroc doit changer de langage diplomatique pour montrer qu’il est prêt à hisser l’Italie au niveau d’un partenaire privilégié.
Un contexte favorable
Aujourd’hui, le contexte est propice à un rapprochement. La présidente du Conseil des ministres, Giorgia Meloni, se montre disposée à se rapprocher du Royaume, qu’elle devrait bientôt visiter après avoir accepté l’invitation que lui adressée son homologue, Aziz Akhannouch, lors de leur rencontre en marge du Sommet Italie-Afrique, à la fin de janvier dernier. Ils avaient fait part de leur volonté commune de “faire mieux”. Tous les ingrédients d’un sursaut sont là. Les deux pays peuvent capitaliser sur un partenariat en pleine expansion. L’Italie est le cinquième partenaire commercial du Royaume et le troisième en Europe avec un commerce bilatéral estimé à 4 milliards d’euros en 2022. Sur le plan politique, la dynamique est palpable. Les contacts de haut niveau sont de plus en plus fréquents et le rythme des échanges des visites de plus en plus élevé. Le Chef de la diplomatie italienne, Antonio Tajani, s’apprête lui aussi à visiter le Royaume dans le cadre d’une tournée africaine. “C’est un bon point de départ, dans la mesure où les visites de haut niveau servent à accentuer les rencontres entre les gouvernements et les milieux d’affaires”, fait remarquer Abderrahmane Chabib, qui s’étonne que les deux pays n’aient pas un forum d’affaires commun, en dépit du poids de la coopération économique.
Dans la tête de Giorgia Meloni
Le Maroc fait partie de la stratégie de l’Italie de se positionner en force en Afrique. D’où le fameux plan Mattei qui a donné lieu au premier Sommet Italie-Afrique. En vertu de cette initiative, Rome met sur la table une sorte de plan Marshall de 5,5 milliards d’euros pour développer des partenariats durables d’égal à égal avec l’Afrique. Souverainiste patentée, la femme de fer de l’Italie est convaincue que c’est le seul moyen de venir à bout de l’immigration illégale, ce, d’ailleurs, pourquoi elle a été élue. En gros, le deal est clair : des investissements en échange d’une meilleure coopération migratoire. Le Maroc se présente comme un partenaire crédible, surtout lorsqu’il s’agit de la sécurité et des énergies renouvelables.
Rome peut-il sacrifier Alger ?
Cette volonté manifeste de rapprochement se heurte à l’obstacle de l’Algérie, dont l’Italie dépend fortement pour s’approvisionner en gaz. Privée des livraisons russes depuis le début de la guerre en Ukraine, l’Italie a dû courtiser le régime algérien. Rome se montre donc prudent sur la position à prendre sur la question du Sahara. Le jeu est à somme nulle. Toute évolution dans le sens du Maroc entraînerait systématiquement une fâcherie avec son principal fournisseur de gaz, à l’instar de ce qui s’est passé avec la France et l’Espagne. Alger a montré qu’il se sert sans scrupule de l’arme du gaz, mais il n’a pas réussi, pour autant, à tourner l’Italie contre le Maroc sur le Sahara.
L’énigme britannique
De l’autre bout de la Manche, le Royaume-Uni n’a pas encore dit son dernier mot sur l’affaire du Sahara au moment où les rumeurs fusent de toutes parts sur une reconnaissance britannique imminente. Au Conseil de Sécurité, Londres a émis un signal positif en votant la Résolution 2756 sans voter les amendements de l’Algérie. Cependant, le gouvernement britannique campe encore sur sa traditionnelle neutralité en restant aligné sur les Nations Unies. Les Britanniques se sont visiblement rapprochés du Maroc depuis le Brexit. Bien que le partenariat bilatéral se soit développé à un niveau inédit, cela n’a pas encore abouti à une reconnaissance britannique. Emmanuel Dupuy, président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe, se dit convaincu que Londres se résoudra en fin de compte à reconnaître la marocanité du Sahara. Or, le timing reste difficile à prévoir, concède notre interlocuteur qui joint sa voix à celle des nombreux experts qui pensent que la reconnaissance britannique est une question de temps. L’arrivée de Donald Trump pourrait être un accélérateur.
Trois questions à Abderrahmane Chabib : “L’Italie cherche à se déployer en Afrique, c’est une opportunité à saisir pour le Maroc”
Aujourd’hui, bien que le Maroc et l’Italie aient un partenariat économique important, leurs relations politiques ne sont pas très chaleureuses, pourquoi à votre avis ?
– En fait, sur le plan économique, les relations maroco-italiennes sont assez développées, mais politiquement, c’est une relation que l’on qualifie de “silencieuse”. À la différence d’autres pays comme la France et l’Espagne avec lesquels le Maroc a des relations très médiatisées, celles avec l’Italie manquent de ferveur, bien qu’elles méritent qu’on y accorde beaucoup d’intérêt. L’Italie est un pays important pour le Maroc sur le plan commercial. Il s’agit du cinquième partenaire commercial, de la troisième destination des exportations marocaines et de l’un des principaux fournisseurs du Royaume. A mon avis, ce qui explique cette sorte de froideur politique, c’est que le Maroc ne donne pas l’impression qu’il s’intéresse à l’Italie autant que les autres pays influents d’Europe comme la France, l’Espagne ou l’Allemagne. À mon avis, c’est une erreur. L’Italie n’en demeure pas moins un pays qui compte pour autant qu’il est membre du G7. Finalement, le vide actuel a été bénéfique à l’Algérie qui s’est rapprochée de l’Italie à la faveur de la crise énergétique créée par le conflit en Ukraine.
Vous dites que le Maroc ne fait pas assez pour se rapprocher de l’Italie. Quelle stratégie préconisez-vous pour renverser la donne ?
– D’abord, nous avons besoin d’une diplomatie plus active en Italie. Ce dont on manque à Rome. Il nous faut une mission diplomatique plus entreprenante, plus audacieuse qui connaît mieux les subtilités de la politique de l’Italie et de son environnement économique. Aujourd’hui, malgré les nombreux accords bilatéraux, il n’existe aucun forum de business entre les deux pays, ce qui est problématique en soi. Le fait qu’on n’ait pas de forum de cette nature après plus d’une cinquantaine d’années de relations diplomatiques doit nous pousser à nous poser des questions. Le Maroc doit prendre au sérieux le potentiel que représente l’Italie en tant que partenaire de premier plan. Aussi, le Maroc peut-il se présenter comme un partenaire crédible en matière de lutte contre l’immigration clandestine qui demeure une priorité pour le parti de Giorgia Meloni.
Pensez-vous que le partenariat énergétique entre Alger et Rome peut freiner un éventuel rapprochement avec le Maroc ?
– Il est évident que le rapprochement italo-algérien fait que l’Italie reste réticente à aller plus loin avec le Maroc. Mais il ne faut pas se tromper. Les relations entre Alger et Rome sont uniquement économiques et demeurent centrées sur l’énergie depuis l’époque d’Enrico Mattei. N’oublions pas aussi que le chef de la diplomatie italienne, Antonio Tajani, connaît bien le Maroc et l’évolution des pays européens sur la question du Sahara. Donc, il ne manque que de faire un pas supplémentaire en direction de l’Italie pour la pousser à changer d’avis. Cela n’arrivera pas tant que le Maroc ne fait pas de l’Italie un partenaire privilégié d’autant plus que le Royaume fait partie des pays concernés par le plan Mattei sur lequel l’Italie base sa stratégie de renaissance sur la scène internationale. C’est une opportunité pour qu’il devienne un hub du déploiement de l’Italie en Afrique. Le Maroc est bien placé pour saisir cette opportunité puisqu’il est à l’avant-garde de la coopération Sud-Sud et une porte d’entrée incontestable en Afrique.
Appel Royal : Convaincre les pays qui naviguent à contre-courant
Aujourd’hui, le soutien international est tellement large que le statu quo n’est plus acceptable. A l’occasion de l’ouverture de l’année législative, SM le Roi a fixé le cap. Il est temps de convaincre la poignée des pays hésitants. “Les fondamentaux de la position du Maroc doivent être expliqués au petit nombre de pays qui continuent de prendre à contrepied la logique du droit et de dénier les faits de l’Histoire”, a indiqué le Souverain devant les parlementaires, appelant à mobiliser davantage la diplomatie parlementaire. “Nous appelons à plus de coordination entre les deux Chambres du Parlement à ce sujet, en mettant en place des structures internes adaptées, dotées de profils qualifiés, et en appliquant les critères de compétence et de spécialisation dans le choix des délégations, aussi bien à l’occasion des rencontres bilatérales que lors de la participation à des forums régionaux et internationaux”, a précisé le Souverain dans Son discours.
Royaume-Uni : Les signes avant-coureurs
À l’instar des conservateurs, les travaillistes, actuellement aux commandes, n’ont pas encore pris une décision finale sur le Sahara, bien que le contexte politique n’ait jamais été aussi favorable. Depuis le Brexit, le gouvernement britannique a braqué son regard sur le Maroc en tant qu’une des alternatives au marché européen.
Désireux de retrouver une splendeur internationale hors de l’Europe, les Anglais se sont mis à courtiser le Maroc, avec lequel ils ont développé un partenariat considérable. Depuis la signature de l’accord d’association en 2019, le commerce a flambé et la coopération s’est élargie à tous les niveaux, y compris la Défense. Le Royaume Uni voit désormais le Maroc comme un fournisseur agricole de premier plan et une plateforme majeure d’approvisionnement en énergie verte avec le projet X-Links en ligne de mire.
Ce rapprochement sans précédent entre les deux pays suscite souvent des interrogations quant à la position britannique sur le Sahara, jugée aujourd’hui très timide par rapport à ce qu’elle doit être du point de vue marocain. Les Britanniques savent très bien que le Sahara est désormais l’aune par laquelle le Royaume juge la sincérité de ses partenaires. Jusqu’à maintenant, Londres semble vouloir se donner le temps nécessaire avant de se décider, au moment où le gouvernement au 10 Downing Street est souvent prié de soutenir la marocanité du Sahara. En témoigne la lettre adressée par 31 députés à l’ancien Chef de la diplomatie britannique, David Cameron. À Westminster, les partisans du Sahara marocain se font de plus en plus nombreux. L’obstruction semblerait venir de l’ambassadeur britannique à Rabat, Simon Martin, qui déconseille un alignement total derrière le Maroc, comme l’avait fait savoir le député conservateur Daniel Kawczynski lors d’une audience parlementaire où il avait clairement accusé l’ambassadeur de faire barrage à une telle décision.