Le Maroc franchit une étape avec la création d’un diplôme universitaire en médecine carcérale. Face aux défis de l’accès aux soins en prison, cette initiative vise à renforcer la prise en charge des détenus.
Le Maroc a annoncé en février 2025 la création d’un diplôme universitaire de médecine en milieu carcéral, en partenariat avec l’Université Hassan II et la Faculté de médecine et de pharmacie de Casablanca, avec le soutien du Fonds des Nations Unies pour la Population (FNUAP). Cette formation inédite dans le monde arabe vise à doter les médecins de compétences adaptées aux défis spécifiques du contexte pénitentiaire. D’après la Délégation générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion (DGAPR), «ce programme permettra aux praticiens d’acquérir une approche pluridisciplinaire intégrant les dimensions éthique, réglementaire et médicale». Une première promotion de 20 médecins a entamé cette formation dans un contexte où les prisons marocaines accueillent plus de 100.000 détenus, enregistrant une hausse de 6% en 2023, selon les chiffres officiels de la DGAPR. Avec un taux d’incarcération de 272 pour 100.000 habitants, et malgré la mise en place de 60 unités médicales pénitentiaires et 69 ambulances, la couverture médicale permanente en médecine générale ne concerne que 76% des établissements.
Sécurité et accès aux soins
En principe, les détenus marocains ont droit aux soins médicaux au même titre que le reste de la population, conformément aux normes internationales et à la loi marocaine sur l’organisation pénitentiaire. Mais dans la pratique, au Maroc comme dans d’autres régions à travers le monde, les contraintes de sécurité entravent souvent l’accès aux soins spécialisés. Le rapport «La santé incarcérée» de l’Observatoire international des prisons (OIP, 2022) souligne que dans plusieurs pays, «les consultations sont différées ou annulées en raison du manque d’escortes pour les détenus». Sur un autre registre, les maladies infectieuses constituent un défi majeur en milieu carcéral, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui estime que les taux de tuberculose et d’hépatite C sont en moyenne 10 fois plus élevés en milieu carcéral qu’en population générale. A noter qu’au Maroc, la DGAPR a mis en place des campagnes de dépistage pour ce genre de maladie, mais le renforcement de la médecine carcérale permettra certainement d’améliorer encore plus ces efforts en cours.
Indépendance médicale
Un autre défi majeur réside dans l’organisation du système de soins en prison. Dans plusieurs pays, la gestion médicale des détenus est assurée directement par l’administration pénitentiaire, ce qui peut soulever des questions d’indépendance. L’OMS rappelle que «les médecins doivent pouvoir exercer sans pression des autorités carcérales, sous peine de compromettre leur impartialité». En France par exemple, la réforme de 1994 a transféré la gestion des soins pénitentiaires du ministère de la Justice au ministère de la Santé, assurant ainsi une meilleure prise en charge et une plus grande indépendance des soignants. Le Maroc pourrait à cet égard s’inspirer de cette approche afin d’améliorer la qualité des soins en prison et garantir leur accès de manière équitable (voir interview). En attendant, le Royaume poursuit la dynamique entamée pour l’amélioration des conditions et de la qualité des soins fournis en milieu carcéral.
Quelles perspectives ?
Le Maroc explore par exemple l’utilisation de la télémédecine comme solution alternative, une approche déjà testée en France et en Espagne. Ainsi, et selon le Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA), des plateformes de télémédecine ont été déployées dans 24 prisons marocaines afin de faciliter l’accès aux consultations spécialisées. A noter que le communiqué de la DGAPR, qui a annoncé le lancement du nouveau diplôme de médecine carcérale, évoque également des perspectives de coopération Sud-Sud dans le domaine de la médecine carcérale, ouvrant la voie à un partage d’expertise avec d’autres pays confrontés aux mêmes défis. Si la médecine en milieu carcéral demeure un enjeu complexe, la formation de praticiens spécialisés constitue une première étape vers une meilleure prise en charge des détenus. Mais pour qu’elle ait un impact encore plus significatif, elle devra s’accompagner d’un renforcement des infrastructures médicales.
Omar ASSIF
3 questions à Dr Allal Amraoui, médecin et parlementaire «La médecine en milieu carcéral a beaucoup de spécificités et de particularités»
Le Maroc a récemment lancé un diplôme universitaire dédié à la médecine carcérale. Quelle est votre appréciation de cette initiative ?
On ne peut qu’être favorable en voyant cette initiative se concrétiser dans un contexte où le champ de la pratique médicale s’élargit de plus en plus et où l’on se spécialise de plus en plus. On ne peut donc qu’encourager une formation pareille, puisqu’elle permettra de mieux préparer le médecin, souvent généraliste, à travers un cursus dédié, de sorte à ce qu’il puisse répondre au mieux aux besoins de cette population spécifique qui vit en milieu carcéral avec toutes les particularités qui sont les siennes.
L’exercice de la médecine en milieu carcéral a ses spécificités et ses contraintes. Quelle est votre perspective sur cet aspect ?
Effectivement, la médecine en milieu carcéral a beaucoup de spécificités et de particularités et c’est tout à fait normal. Le fond, c’est-à-dire le malade, reste le même bien évidemment : il s’agit d’un être humain titulaire de tous ses droits fondamentaux, sauf celui de la liberté de circulation puisqu’il est en état d’incarcération. Autrement, ce patient a autant droit à l’accès aux soins, à sa dignité, à son intimité au même titre qu’un patient qui est libre et qui n’est pas en situation de détention. C’est pour cette raison que la formation initiale du médecin est d’ordre global et général avec des appoints spécifiques en matière de lois, de droits humains, de psychologie carcérale et d’éthique médicale.
Dans quelle mesure la médecine carcérale marocaine pourrait-elle s’inspirer d’expériences étrangères, comme celle de la France où la gestion des soins en prison a été transférée au ministère de la Santé ?
C’est une question d’actualité puisque le ministère de la Santé se doit théoriquement d’être le principal prestataire en matière de soins au niveau national. A ce titre, le ministère de la Santé devrait se charger de tout ce qui concerne les soins pour tous les milieux. Personnellement, je suis pour le fait que la gestion des soins en prison soit transférée au ministère de la Santé comme il devrait également prendre en charge les activités liées à la médecine du travail par exemple ou encore les missions menées par les médecins communaux. Cela pour la seule raison que la santé est un tout qu’il vaut mieux ne pas fragmenter entre plusieurs ministères différents. Cela ne pourrait qu’avoir des impacts positifs, notamment en matière de prévention, de suivi éventuel après la fin de l’incarcération, etc.
Définition : Médecine carcérale entre prévention, dépistage et accès aux traitements
La médecine carcérale repose sur des principes fondamentaux, mais leur mise en œuvre est souvent entravée par les réalités du milieu pénitentiaire. L’équivalence des soins suppose que les détenus bénéficient du même accès aux traitements médicaux que la population générale, incluant le suivi des maladies chroniques et la vaccination, mais les moyens disponibles restent limités. L’indépendance médicale est un autre enjeu clé : les soignants doivent exercer sans interférences sécuritaires, garantissant ainsi la confidentialité des soins. Les troubles psychiatriques et addictions, très présents en prison, nécessitent des structures spécialisées encore insuffisantes. La prévention et le dépistage sont essentiels pour contenir la propagation des maladies infectieuses en milieu fermé. Face aux difficultés d’accès aux spécialistes, la télémédecine se développe comme une solution viable. Enfin, la question du suivi médical post-carcéral demeure essentielle pour assurer une continuité des soins après la détention.
Santé mentale : Enjeu majeur et angle mort sanitaire du système pénitentiaire
Si l’accès aux soins médicaux en prison est un défi majeur, la santé mentale des détenus reste largement sous-estimée à l’échelle internationale. Selon Penal Reform International, jusqu’à 80% des détenus souffrent de troubles psychiatriques ou d’addictions, un taux bien plus élevé que dans la population générale. Pourtant, la prise en charge reste insuffisante, faute de structures adaptées et de personnel qualifié. L’isolement, la promiscuité et le stress carcéral aggravent ces pathologies. Dans de nombreux pays, l’absence de services psychiatriques en détention prive les détenus d’un suivi essentiel, augmentant les risques de violences et de récidive. Certains experts soulignent que les prisons ne sont pas conçues pour traiter les maladies mentales et que les conditions de détention contribuent à l’aggravation des troubles existants. Face à ce constat, plusieurs États ont mis en place des dispositifs spécialisés. En France par exemple, des unités hospitalières spécialement aménagées accueillent les détenus nécessitant une hospitalisation psychiatrique. L’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime recommande aussi le développement de programmes de réduction des risques et de désintoxication en milieu carcéral. Si la formation de médecins spécialisés représente un progrès, elle ne suffira pas à combler les lacunes existantes sans une réforme globale du suivi psychiatrique en prison pour garantir des soins dignes et prévenir des récidives souvent liées à des pathologies non traitées.