En pleine discussion de la réforme de la Procédure pénale au Parlement, la question des moyens du système judiciaire semble reléguée au second plan au moment où les garanties du droit de la défense dominent le débat. Décryptage.
Pour leur part, avocats, juristes, experts, tous les acteurs concernés se succèdent à l’hémicycle pour faire valoir leur vues sur un texte censé, en principe, assouplir la procédure pénale de sorte à humaniser le système judiciaire. La réforme portée par Ouahbi vise essentiellement à protéger davantage la présomption d’innocence des individus contre les abus de l’accusation publique en leur donnant plus de garanties dans le chemin vers le procès. La réforme entend mettre fin au réflexe des juges à la détention qui a longtemps prévalu dans le système judiciaire pour des raisons juridiques et culturelles. Le ministre n’a eu de cesse de répéter dans ses déclarations publiques qu’il voulait “protéger les gens contre l’arbitraire”, et que la présomption d’innocence demeure le fil conducteur de son texte. A l’aide des peines alternatives, on espère éviter autant que possible les possibilités de recours à la détention de l’entrée au commissariat au procès.
Par la voix de son président, Hocine Ziani, qui est intervenu au Parlement lors d’une journée d’étude, l’Association a appelé à ce que la détention préventive et la garde à vue soient plus minutieusement encadrées tout en plaidant pour que les inculpés soient indemnisés en cas de détention arbitraire. Les robes noires ne sont pas tout à fait d’accord avec le nouveau régime de la garde à vue dont elles veulent plafonner la durée à 24 heures renouvelable sur décision motivée du juge. Le texte de la réforme, rappelons-le, n’a pas changé la durée initiale fixée à 48 heures qui peut être prolongée de 24 heures sauf pour les crimes d’atteintes à la sûreté de l’Etat (72 heures).
Les avocats réclament aussi qu’ils soient obligatoirement présents dès le début de la garde à vue et également quand le suspect est déféré devant le Procureur du Roi. Concernant les interrogatoires de police auxquels les avocats peuvent désormais assister, les robes noires exigent que l’enregistrement audio soit élargi sur l’ensemble de l’enquête préliminaire et pas seulement pendant la lecture des propos du suspect et la signature du procès-verbal. Aux yeux des avocats, le droit de garder le silence n’est pas assez garanti. Pour cela, ils réclament qu’il soit protégé tout au long de l’enquête et de l’instruction judiciaire. En gros, les avocats jugent que le texte n’a pas tout à fait équilibré le rapport de force entre la défense et le parquet. Ce dernier, selon eux, garde encore des pouvoirs excessifs. Là, la liste des doléances de l’ABAM est longue. Ils veulent abolir le monopole du Ministère public dans la qualification des crimes et des infractions. Pour minimiser le risque des condamnations infondées, il est recommandé d’attacher plus d’importance aux preuves matérielles qu’aux aveux qui, du point du vue des avocats, peuvent souvent être forcés.
Jusqu’à présent, il n’est pas certain que toutes les doléances des robes noires puissent être retenues par le ministre de tutelle qui estime que son texte est suffisamment avancé en matière de protection de la présomption d’innocence et de promotion du droit de la défense. Reste à savoir à quel point les acquis de la défense seront renforcés dans les amendements des députés.
La réforme a pour vocation essentielle de limiter le recours systématique à l’emprisonnement qui condamne les établissements carcéraux à une surpopulation chronique. D’où l’élargissement du champ de la médiation pénale et la volonté de verrouiller plus le recours à la détention préventive considérée désormais comme une mesure exceptionnelle. Celle-ci ne peut être prolongée que deux fois en cas de crimes au lieu de cinq et une seule fois en cas de délit. Les peines alternatives sont introduites pour donner des marges de manœuvre aux juges même si leur efficacité reste à prouver.
La question des moyens se pose dans l’administration pénitentiaire dont incombe également de participer à la mise en œuvre et au suivi des peines alternatives, tel que prévu par l’article 647-1 du Code de Procédure pénale. Le patron de la Délégation générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion, Mohamed Salah Tamek, émet des réserves sur leur efficacité, lui qui n’a eu de cesse de réclamer plus de ressources financières et humaines pour les établissements carcéraux qui sont à bout de leur capacité. Selon lui, il faut 4000 fonctionnaires alors que la loi des finances de 2025 n’a alloué que 1000 postes budgétaires. Un chiffre qui en dit long sur les capacités de l’administration pénitentiaire à laquelle on demande une mission dont elle n’a pas les moyens.
Le juge, avant d’être une institution, demeure un être humain soumis au stress et à l’épuisement. Comment concevoir qu’après douze heures de débats, des délibérations puissent encore s’étaler sur plus de deux heures ? Il arrive que des décisions soient rendues à l’aube, après l’examen de dizaines d’affaires criminelles, dans des conditions qui interrogent sur la sérénité et la rigueur requises par l’acte de juger.
Concernant le parquet, garant de l’ordre public, il joue un rôle essentiel dans le contrôle et l’orientation des enquêtes. Ses magistrats assurent des permanences pour veiller au bon déroulement des investigations. De surcroît, leur effectif, encore trop limité, ne permet pas d’assurer un suivi efficient des plaintes qui se comptent par centaines de milliers par an.
Qu’en est-il de la formation des magistrats ? Peut-on dire qu’elle demeure lacunaire par rapport aux évolutions du droit et du système judiciaire en général ?
Les peines alternatives sont désormais entrées en vigueur, mais les moyens de leur application ne semblent pas assez mobilisés. Partagez-vous ce constat ?