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Un pipi pour la paix!

Je ne savais pas qu’il était juif. Je n’avais jamais vu encore un juif en personne. 

Il était là, couché sur le trottoir, entouré de plusieurs enfants qui l’agressaient à coup de poings et à coup de pied! 

D’une voix forte et aigüe, l’homme agressé hurlait en jetant son regard au ciel.

Entre lui et le ciel, il y avait moi! 

J’avais 7 ans, 5 mois et 10 jours. 

Nous sommes le 10 juin 1967.  Ça faisait à peine quelques jours que ma famille venait de déménager dans ce nouveau quartier! Israël vient de gagner la guerre des six jours! Un jour auparavant, Nasser annonçait sa démission. Sous la pression de la population égyptienne, cette démission n’a duré que quelques heures! Mais partout dans les rues arabes, la colère devant la défaite se manifestait de toutes sortes de façons!

Dans ma nouvelle rue, du haut de notre balcon, j’assistais impuissant à cette scène qui se déroulait juste en bas de chez-moi. Un homme hurlait sous les coups des enfants. Personne ne venait à son secours. En levant sa tête au ciel, son regard a croisé le mien. Que pouvais-je faire pour aider cet homme sans défense ? Et si j’allais chercher n’importe quel objet que je pouvais jeter sur la scène pour créer une diversion. Il fallait faire beaucoup plus vite! J’ai arrêté de réfléchir. Un seul moyen s’est imposé naturellement pour sauver celui dont je ne connaissais pas encore le nom. J’ai baissé ma braguette et j’ai fais ce qu’il fallait faire dans les circonstances. 

Mon pipi s’est avéré un formidable moyen pour ramener la paix en bas de chez-moi!

En 1967, au quartier Hassan à Rabat, il restait encore quelques familles marocaines de confession juive. Il y avait Clara notre voisine, Simon le tailleur, Jacqueline la coiffeuse et Maurice! Ce dernier rasait les murs à longueur de journées. Il ne s’adressait qu’aux passants juifs pour quêter quelques sous. Maurice était un peu notre fou du quartier.. Parfois, des enfants lui jetait la pierre. Un des épiciers du coin lui offrait sa protection.

Mais qui est Maurice ? Comment est-il devenu fou ? C’est Clara notre voisine qui allait démystifier l’énigme de Maurice!

Un jour, dans une conversation de cuisine, elle a raconté à ma mère que Maurice avait un métier, la coiffure, et une fiancée!
C’est le départ pour Israël de cette dernière qui l’avait secoué! Il était fou amoureux d’elle, mais il ne se voyait pas vivre ailleurs que dans son pays, le Maroc. Ce qui lui avait fait perdre la tête, c’est d’apprendre que sa fiancée s’était refaite sa vie avec un autre, là-bas..!

Depuis cette scène de lynchage, Maurice se faisait plus rare. Quelques années plus tard, il ne restait presque plus de juifs dans le quartier. Une fois, je l’ai croisé au Mellah, le quartier ou il est né. Sans rien dire, je lui ai tendu les 50 sous qui me restait de mon argent de poche. Il m’a regardé sans rien comprendre. Il a beaucoup hésité avant de l’accepter.

Quelques années plus tard, il est mort, de solitude probablement ou de ne pas avoir été compris, peut-être. Il avait à peine 50 ans. Après ce lynchage dont il était victime, a t-il regretté de ne pas avoir suivi sa fiancée ? 

Frustrés par une défaite dont ils ne comprenaient ni les causes, ni les conséquences, plusieurs enfants de mon quartier se sont attaqués à Maurice, non pas en tant que fou, mais en tant que juif. Ils l’ont pourchassé en lui jetant tout ce qu’ils pouvaient. Soudain, Maurice l’amoureux de sa terre et de son pays, à lui seul, était devenu Israël.

À qui cela profitait cette scène ou des enfants marocains jetaient la pierre à un autre marocain? À la lumière des images des massacres qui nous parviennent aujourd’hui de Gaza, poser la question, c’est y répondre! 

Maurice vivait au Maroc depuis 2000 ans, bien avant l’arrivée de l’islam et les arabes. Il tenait à y rester, pour le meilleur et pour le pire.

Un autre marocain de confession juive, avait lui aussi toutes les raisons de partir. En tant qu’opposant politique, il a goûté à la méchanceté humaine. Mais, lui aussi, son attachement à sa terre natale était plus fort que tout. Il s’appelle Abraham Serfaty. Torturé puis emprisonné pendant 17 ans avant d’être forcé à l’exil, Abraham Serfaty, de retour chez-lui, il m’a confié lors d’une entrevue qu’il m’a accordée « Un jour j’irais en Palestine, mais pas avant qu’elle ne devienne un pays »!  

Comme Maurice, Abraham a été enterré chez-lui, au Maroc!

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PS: 300 mille marocains de confession juive ont quitté le Maroc pour Israël dans les années 50 et 60.
Sans les départs massifs des juifs du Maroc pour Israël, ils seraient aujourd’hui autour de 3 millions.
Il n’en reste que 3000.

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