Moudawana : Appel Royal à un « Ijtihad constructif » [INTÉGRAL]

Fruit d’une longue délibération nationale, la réforme de la Moudawana telle qu’examinée par les Oulémas a été dévoilée en attendant son aboutissement législatif. Détails.

SM le Roi Mohammed VI a présidé, lundi, une réunion de travail dédiée à la réforme du Code de la Famille en présence de l’ensemble des acteurs concernés. Le Souverain a pris acte du contenu de la réforme tel que proposé par l’Instance chargée de la révision de la Moudawana qui a fait l’objet d’un avis légal du Conseil supérieur des Oulémas. 

Après des mois de délibérations nationales où toutes les composantes de la Nation ont été associées, de la société civile jusqu’aux oulémas, la révision du Code de la Famille arrive au stade de la législation. SM le Roi a chargé officiellement le gouvernement d’élaborer un projet de loi de réforme de la Moudawana sur la base des propositions finales telles que validées par les oulémas. Le Souverain a appelé l’Exécutif à tenir l’opinion publique informée sur cette réforme majeure qui aura des conséquences majeures sur la famille marocaine. 
 

Vers un projet de loi
Cela dit, le gouvernement a la charge de traduire les propositions de la réforme en projet de loi qui sera soumis à l’approbation du Parlement. Lors d’une conférence de presse, le Chef du gouvernement, Aziz Akhannouch, a annoncé qu’il va s’y atteler le plus rapidement possible afin d’élaborer le texte de loi dans les plus brefs délais. En gros, 139 propositions ont été livrées par l’Instance chargée de la révision du Code de la Famille. Le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, en a dévoilé les principales recommandations validées après avis favorable des Oulémas. Des changements majeurs sont proposés et  touchent plusieurs aspects de la vie en famille. 
 
Mariage : L’âge légal relevé à 17 ans
Concernant le mariage, seul l’acte est désormais considéré comme preuve, avec la possibilité d’acter également les fiançailles. Pour ce qui est des Marocains établis à l’étranger, il a été décidé d’autoriser le mariage sans l’obligation de témoins de religion musulmane s’il y a impossibilité de les faire venir. Les recommandations tranchent la question de l’âge légal du mariage qui est désormais fixé à 18 ans avec l’unique exception de le réduire à 17 ans dans des cas exceptionnels qui seront fixés ultérieurement. Cela dit, toute union avec une personne âgée de moins de 17 ans est strictement interdite. 
 

Moins de polygamie !
La réforme entend encadrer le mariage plus minutieusement. D’où l’obligation d’acter le consentement de l’épouse. Celle-ci peut désormais imposer son opposition à la polygamie dans l’acte de mariage. Par conséquent, la femme a le droit d’exiger la monogamie comme condition préalable. La polygamie est maintenue mais très sévèrement encadrée de sorte à réduire le maximum possible son champ d’application. Elle n’est autorisée qu’en cas de stérilité de l’épouse ou d’incapacité physique à consommer le mariage. Il y aura d’autres circonstances exceptionnelles laissées à l’appréciation du juge selon des critères juridiques bien définis. Le pouvoir d’appréciation du juge est maintenu mais restreint. En fait, la réforme a été décidée justement pour remédier les carences de celle de 2004 puisque la pratique a montré que le recours à la polygamie demeure fréquent vu l’interprétation parfois trop conservatrice de la loi actuelle par une partie des juges. 
 
Vers le divorce à l’amiable sans intervention judiciaire
S’agissant du divorce, on veut aller vers plus de fluidité. Raison pour laquelle il sera institué une instance non-judiciaire de médiation par laquelle il faut passer obligatoirement avant d’arriver au tribunal. En parallèle, les époux pourront divorcer d’un commun accord sans procédure judiciaire. Les cas de divorce seront réduits pour les inclure dans le cadre du divorce de discorde tandis que le délai maximal des procédures est fixé à six mois. En gros, le divorce est considéré comme une affaire contractuelle entre les époux qui auront désormais plus de marge de liberté pour décider en commun l’avenir de leur union tout en ayant les moyens de conciliation sans contraintes procédurales. 

Pour ce qui est de la gestion du patrimoine conjugal qui a suscité beaucoup de débats dans la société civile, les tâches ménagères et la gestion du foyer sont considérées comme une contribution aux biens  acquis lors du mariage. C’est à dire que la femme au foyer contribue elle-aussi au développement du patrimoine commun de son mari par son travail domestique. 
 

Garde et tutelle légale : Une responsabilité partagée
Par ailleurs, la garde des enfants est désormais considérée comme un droit commun des deux parents durant le mariage et après le divorce si les parties trouvent un accord. Là, les droits de la mère divorcée sont renforcés. Il ne sera plus interdit aux mères divorcées de garder leurs enfants si elles se remarient à nouveau. L’interdiction a été levée. Les visites parentales et les déplacements de l’enfant gardé seront strictement encadrés dans son intérêt supérieur.

Ces changements font que la tutelle légale de l’enfant sera désormais partagée entre les époux durant le mariage et après le divorce. Les divergences sont tranchées par le juge de la famille. Concernant le domicile conjugal, on a donné le droit à chacun des époux d’y rester en cas de décès de l’autre, selon des conditions fixées par voie législative.  

Pour leur part, les oulémas ont validé une grande partie des propositions (10) de l’Instance tout en émettant des recommandations alternatives sur trois aspects (voir repère). L’instance de l’Ifta a examiné la réforme selon le principe de la « Maslaha », l’intérêt de l’enfant et de l’époux. Les orientations royales ont été claires dès le début : « Ne pas interdire ce qui est autorisé, ni autoriser ce qui est prohibé”, comme l’a fait savoir le Souverain dans le discours du Trône de 2022. 
 

Le débat continue…
La philosophie de la réforme consiste à trouver des solutions aux problèmes liés à l’évolution de la famille marocaine à condition qu’elles soient conformes à la Charia. D’où l’enjeu de l’Ijtihad constructif au sujet des problématiques du Fiqh. Lors de la réunion de travail qu’il a présidée, le Souverain a appelé les Oulémas à poursuivre la réflexion là-dessus. 

Maintenant, la balle est chez le gouvernement qui doit produire un texte clair et fidèle aux conclusions de l’Instance et à l’avis des oulémas. Le débat devrait se poursuivre lorsque le texte sera envoyé au Parlement avec les discussions détaillées. Là, le Souverain, comme indiqué dans le communiqué du Cabinet royal, a appelé à ce que les débats restent encadrés par les principes de l’Islam et les valeurs universelles telles que reconnues par le Maroc dans les conventions internationales. 
 

Anass MACHLOUKH

3 questions à Abdessalam Saad Jaldi, Dr en Droit et expert au sein du Policy Center for the New South : «La règle jurisprudentielle stipule que là où est l’intérêt, il y a la loi de Dieu»
La tutelle partagée figure parmi les points qui suscitent le plus de divergence dans la réforme du Code de la Famille. Quelle est votre évaluation des articles régissant ce volet ?

La question de la tutelle sur les enfants au Maroc suscite des préoccupations majeures en termes de droits et d’égalité parentale. La loi accorde la garde des enfants à la mère par défaut, sauf dans des circonstances exceptionnelles, tandis que le père est considéré comme l’unique tuteur légal. Cette disposition légale contrevient aux principes de responsabilité partagée entre les parents, particulièrement en ce qui concerne l’éducation et le bien-être des enfants. Elle peut également aggraver les conflits entre parents divorcés et affecter négativement les relations familiales. D’où la nécessité d’une réforme substantielle pour permettre un partage des responsabilités et garantir le bien-être de l’enfant. Ceci commence par l’abrogation de la condition de perte de garde en cas de remariage de la mère et la simplification des procédures judiciaires liées aux litiges conjugaux.
 

SM le Roi a appelé à l’Ijtihad constructif lors de la prochaine étape. Comment peut-on y parvenir ?

⁠L’avènement de la modernité a provoqué des changements profonds à l’échelle mondiale, y compris dans les sociétés musulmanes, qui sont appelées à concilier enseignements islamiques et exigences contemporaines. Au Maroc, le Code de la Famille sert de cadre juridique crucial qui, pour répondre aux besoins de la société et garantir la justice et l’égalité pour tous les individus, doit continuer d’évoluer et d’être révisé sur la base de l’Ijtihad, de la contextualisation et dans le respect des finalités de la législation islamique. Le nouveau Code doit rétablir le principe de justice prôné par le texte sacré et les fondements de la religion musulmane en éliminant les inégalités entre les hommes et les femmes. La règle jurisprudentielle stipule que là où est l’intérêt, il y a la loi de Dieu. Cette règle a été abordée par l’Imam Al-Shatibi dans son livre « Al-Muwafaqat» et peut être inspirante pour nos décideurs afin de promulguer un nouveau Code en harmonie avec les nouvelles exigences de la société. 
 

Comment peut-on garantir la sauvegarde de l’institution familiale dans la nouvelle réforme ?

⁠Il est vrai que le Code prévoit dans le cadre de la procédure de divorce une phase de réconciliation (solh) indispensable dans la gestion des conflits au sein du couple, celle-ci ne constitue qu’une étape obligatoire. Par exemple, un couple demandeur de séances de médiation ne peut en faire la demande faute d’un dispositif indépendant, structuré et encadré de médiation. Or, la sauvegarde de l’institution familiale nécessite un effort plus important qui passerait par la mise en place d’un dispositif de règlement amiable, à savoir : médiation ou conciliation, avec un médiateur ou conciliateur dont la mission consisterait à tenter d’aider les époux à remédier aux différends les opposant. Les compétences matérielle, personnelle et rationnelle du Conseil de la famille doivent aussi être bien définies.

Héritage : Ajustements
L’héritage a fait l’objet de plusieurs propositions destinées à régler des problèmes récurrents. Quelques recommandations du Conseil Supérieur des Oulémas concernant l’héritage des filles ont été adoptées et vont dans le sens de permettre les donations anticipées aux héritières en reconnaissant la possession présumée comme suffisante. En plus, les testaments et les donations entre conjoints de religion différente sont autorisés. Concernant les affaires liées aux successions, les oulémas ont émis une proposition alternative quant aux legs à un des héritiers si les autres s’y opposent. Pour dépasser le blocage, il est recommandé de recourir aux donations. La question épineuse de Tâsib a fait également l’objet de l’Ijtihad des Oulémas dans le cas de l’héritage des filles. La solution envisagée est de donner des donations aux héritières. En ce qui concerne des époux de religion différente, les Oulémas ont donné la possibilité aux époux de se faire des legs et des donations de leur plein gré. Une mesure jugée conforme à la Charia. 

Avis des Oulémas : Les approbations et les réserves
L’avis du Conseil supérieur des Oulémas a été conforme à la majorité des 17 questions soumises pour avis légal dans le cadre de la révision du Code de la Famille, a affirmé le ministre des Habous et des Affaires islamiques, M. Ahmed Toufiq.

Conformément à la décision pertinente de Sa Majesté le Roi, Amir Al-Mouminine, de bien vouloir soumettre 17 questions pour avis légal, l’avis du Conseil supérieur des Oulémas a été conforme à la majorité de ces questions, tout en précisant les modalités possibles pour une conformité des autres avec les règles de la Charia et en soulignant que trois d’entre elles sont relatives à des textes formels n’autorisant pas l’Ijtihad à leur sujet, en l’occurrence celles se rapportant au recours à l’expertise génétique pour établir la filiation paternelle, à l’abrogation de la règle du Taâsib et à la successibilité entre un musulman et un non musulman, a affirmé M. Toufiq dans un exposé devant SM le Roi lors d’une séance de travail que le Souverain a présidée, lundi au Palais Royal à Casablanca, et consacrée à la question de la révision du Code de la famille.

Le ministre, en sa qualité de membre du Conseil supérieur des Oulémas, a ajouté que le Conseil a donné son aval aux propositions de l’Instance concernant la possibilité de conclusion de l’acte de mariage pour les Marocains résidant à l’étranger sans présence de deux témoins musulmans si cela s’avère impossible, l’octroi de la tutelle légale des enfants à la mère chargée de la garde et la considération du travail de l’épouse au sein du foyer comme une contribution au développement des biens acquis durant la relation matrimoniale.

Il s’agit aussi, a-t-il poursuivi, de l’obligation de la Nafaqa au profit de l’épouse dès l’établissement de l’acte de mariage, de l’exclusion du foyer conjugal de l’héritage, de la priorisation des créances des deux conjoints résultant de la communauté des biens par rapport aux autres dettes en vertu de leur association et du maintien de la garde de la mère divorcée sur ses enfants, même en cas de remariage.

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