Rétro-verso : Barrage El Kansera, une histoire captivante au fil de l’eau

El Kansera est bien plus qu’un barrage. Témoin des défis et des prouesses hydrauliques du Maroc, il incarne un rare équilibre entre modernité et lutte contre la raréfaction des ressources. Retour sur son histoire captivante à souhait.

Dans le creux des collines marnocalcaires du Gharb, un monument discret mais essentiel se dresse depuis presque un siècle : le barrage El Kansera. Construit entre 1927 et 1935 sur l’Oued Beht, ce dernier affluent important du Sebou avant son embrasure dans l’Atlantique, il est bien plus qu’un simple ouvrage d’ingénierie. Témoin silencieux des mutations hydriques du Maroc, il porte les espoirs et les angoisses d’une nation en quête d’équilibre entre nature et modernité.
 
L’histoire du barrage commence dans une époque où les ambitions de modernisation étaient freinées par les caprices de la géologie et les rudesses des moyens techniques. Fondé sur des terrains marnocalcaires, El Kansera fut un véritable défi pour les ingénieurs de l’époque. Ces couches de roches friables, rétives aux lourdes contraintes, mirent à rude épreuve les ouvriers qui, pendant huit longues années, modelèrent l’ouvrage. Les difficultés de fondation furent telles que l’on pourrait dire que ce barrage est né dans la douleur, fruit d’une obstination presque surhumaine face à des éléments hostiles.
 
Quand les eaux de l’Oued Beht furent enfin domptées en 1935, El Kansera devint le premier barrage d’accumulation du Maroc. Il apportait avec lui la promesse d’un avenir plus stable, où les crues dévastatrices laisseraient place à une irrigation régulière et une production d’énergie propre.
 

Une vocation régionale

 

Dès son inauguration, El Kansera fut un acteur majeur de la région de Sidi Slimane. Irrigant près de 25.000 hectares, il transforma les plaines arides en terres fertiles, élevant l’agriculture locale à un niveau d’efficience sans précédent. La petite usine hydroélectrique située à ses pieds produisait alors 15.000 kWh par an, insufflant un souffle de modernité dans les foyers environnants.
 
Mais ce n’était qu’un début. En 1968, face à la double menace de l’envasement progressif et de la demande croissante en eau, le barrage fut surélevé de six mètres. Cette opération audacieuse permit de faire passer la capacité de retenue de 227 à 297 millions de mètres cubes et d’élargir la superficie irriguée de 3.700 hectares supplémentaires. La production électrique tripla, atteignant 33 millions de kWh par an. Cependant, cette surélévation ne fut pas de tout repos. Incapables d’élargir les fondations, les ingénieurs eurent recours à des techniques de précontrainte innovantes, reliant le nouveau couronnement à la base du barrage par des tirants d’acier soumis à une tension époustouflante de 240 tonnes chacun.
 
Cette prouesse technique fut rapidement testée en 1969, lorsque le barrage affronta simultanément une crue exceptionnelle et un tremblement de terre. Il sortit indemne, preuve que l’ingénierie humaine pouvait rivaliser avec la colère de la nature.

 

Le poids du temps et de la conjoncture

 

Aujourd’hui, El Kansera continue de jouer son rôle. Mais le Maroc, comme beaucoup de nations, est confronté à un stress hydrique grandissant. Les précipitations moyennes de 620 mm par an, jadis suffisantes, semblent bien maigres face à une demande exponentielle en eau pour l’agriculture, l’industrie et les besoins domestiques.
 
L’envasement du barrage, aggravé par les sécheresses récurrentes et l’érosion des sols, réduit progressivement sa capacité. Les récoltes qu’il irrigue ne suffisent plus à nourrir les ambitions de la région. Son histoire, marquée par des succès éclatants, devient également une parabole des limites d’une ressource finie.
 
El Kansera, avec ses 68 mètres de hauteur et ses 170 mètres de crête, est plus qu’un barrage : il est un rappel. Il raconte une histoire où l’ingéniosité humaine et la générosité de la nature se croisent. Mais il nous invite aussi à repenser notre rapport à l’eau, à cesser de la considérer comme une ressource infinie et à adopter des solutions plus durables.
 
Alors que la pression sur les ressources hydriques augmente, El Kansera demeure un symbole d’espoir, mais aussi un avertissement. Pour que son histoire perdure, pour que ses eaux continuent d’irriguer et d’éclairer, il faudra innover, s’adapter et réfléchir aux leçons qu’il nous offre. Une belle histoire, certes, mais aussi une histoire inachevée, à écrire ensemble.

 
 

Intemporalité : El Kansera et Oued Beht, une continuité historique…

Le barrage El Kansera, érigé entre 1927 et 1935 sur l’Oued Beht, n’est pas seulement une prouesse d’ingénierie moderne. Il s’inscrit dans une continuité historique fascinante qui met en lumière l’importance agricole et culturelle de cette rivière. Récemment, des recherches archéologiques menées sur les berges de l’Oued Beht ont permis de découvrir le plus ancien et vaste complexe agricole jamais connu au Maroc, révélant des systèmes d’irrigation sophistiqués datant de plus de 3000 ans.

 

Ce lien entre passé et présent met en évidence la continuité d’une vocation agricole dans cette région. Depuis l’antiquité, l’Oued Beht a nourri des civilisations grâce à son bassin fertile. Le barrage El Kansera, avec sa capacité de retenue de 297 millions de mètres cubes, perpétue cet héritage en irriguant près de 25.000 hectares de terres agricoles dans les environs de Sidi Slimane. Cette région est ainsi devenue un véritable grenier à blé pour le Maroc, et l’ouvrage continue d’assurer une production durable face aux défis climatiques modernes.

 

Les recherches publiées sur le complexe agricole antique montrent que les systèmes d’irrigation reposaient déjà sur des techniques avancées, telles que des canaux et des réservoirs d’eau. Ces mêmes principes se retrouvent aujourd’hui dans le fonctionnement du barrage, qui régule les crues de l’Oued Beht tout en alimentant les réseaux d’eau pour l’irrigation et la consommation humaine. Cette continuité technologique illustre la capacité des sociétés marocaines, anciennes et contemporaines, à tirer parti des ressources hydriques pour un développement durable.

 

En 1968, la surélévation du barrage de six mètres a permis d’augmenter son volume de stockage et d’améliorer l’irrigation et la production d’énergie. Ce projet ambitieux rappelle la détermination des anciens habitants de la région, qui avaient déjà développé des infrastructures complexes pour maîtriser l’eau et optimiser l’agriculture. Aujourd’hui, le barrage El Kansera symbolise la continuité de cette relation intime entre l’Homme et l’eau.

 

Toutefois, dans un contexte de stress hydrique grandissant, l’héritage de l’Oued Beht pose une question fondamentale : comment concilier la préservation de cet écosystème historique avec les besoins actuels ? Alors que le complexe agricole antique nous rappelle la nécessité d’une gestion adaptée de l’eau, le barrage El Kansera offre des leçons modernes sur la manière d’innover tout en respectant l’environnement. Il appartient à cette génération et aux suivantes de trouver l’équilibre entre exploitation et sauvegarde, pour que l’Oued Beht reste, comme depuis des millénaires, une source de vie et de prospérité.

Fait marquant : La surélévation du barrage, un tournant sous l’égide Royale

En 1968, le barrage El Kansera a fait l’objet d’une surélévation audacieuse de six mètres. Cette intervention visait à répondre à des enjeux stratégiques pour le Maroc, notamment l’augmentation de la capacité de retenue du barrage, qui passa de 227 à 297 millions de mètres cubes. L’objectif était clair : compenser l’envasement progressif, accroître les surfaces irriguées, et doubler la production électrique, passant à 33 millions de kWh annuels.

 

Ce projet, réalisé à une époque où le Maroc cherchait à s’imposer comme un modèle de modernité et de gestion des ressources hydriques, était accompagné d’échos importants dans les cercles politiques et médiatiques. Le défunt Hassan II, à travers Ses discours, a exprimé Son soutien fervent à cette entreprise qu’Il considérait comme un pas de plus vers l’autonomie agricole du pays. L’élévation de l’ouvrage n’était pas seulement perçue comme un acte technique, mais comme un symbole de la capacité du Maroc à relever les défis de l’eau et à préparer un avenir durable.

 

Les difficultés techniques étaient pourtant nombreuses. L’impossibilité d’élargir la structure existante à cause des terrains fragiles et des fondations complexes a conduit à une solution novatrice : l’ajout de 77 tirants précontraints, capable de supporter une tension de 240 tonnes chacun. Ce choix audacieux a permis au barrage de résister avec succès à une crue majeure en février 1969, ainsi qu’à un tremblement de terre. Ces épreuves ont consacré l’ingéniosité de l’ouvrage tout en renforçant la confiance dans les capacités d’ingénierie nationales.

 

Aujourd’hui encore, le barrage El Kansera demeure un symbole de la continuité entre tradition et modernité, inscrivant son histoire dans une perspective où l’eau, ressource précieuse, reste au cœur des priorités nationales.

Savoir-faire : Un pilier stratégique de la gestion hydrique

À tout point de vue, le barrage El Kansera illustre l’ingéniosité du Maroc dans la gestion de ses ressources hydriques. Cet ouvrage, situé sur l’Oued Beht, a été conçu pour répondre à des besoins multiples : irrigation, protection contre les crues et production hydroélectrique. Avec sa capacité de retenue portée à 297 millions de mètres cubes, il incarne un symbole de modernité technique et de vision stratégique. Toutefois, ce monument historique de l’ingénierie se trouve aujourd’hui confronté à un défi de taille : le stress hydrique croissant.

 

La tutelle alerte régulièrement sur la raréfaction des ressources en eau. En effet, le Maroc connaît une baisse alarmante de ses précipitations moyennes, couplée à une demande en eau qui ne cesse de croître. Selon la tutelle, cette situation met en péril non seulement l’approvisionnement en eau potable, mais aussi les secteurs agricoles et industriels qui dépendent directement des barrages comme celui d’El Kansera.

 

Le rôle de ce barrage dépasse ainsi son objectif initial. Il est désormais un maillon essentiel dans la stratégie nationale d’adaptation au stress hydrique. Les autorités rappellent que l’optimisation de l’utilisation de l’eau, la lutte contre l’envasement des retenues et la modernisation des infrastructures sont des priorités absolues. Grâce aux travaux de surélévation réalisés en 1968, le barrage avait pu anticiper certaines de ces problématiques, augmentant sa capacité d’irrigation et renforçant sa résistance face aux aléas climatiques.

 

Cependant, l’avenir du barrage, comme celui des autres ouvrages hydrauliques du Royaume, dépendra de la mise en œuvre efficace de politiques intégrées. Des initiatives telles que la rationalisation de l’usage agricole de l’eau et le recours accru aux technologies de dessalement sont désormais envisagées pour alléger la pression sur les réserves existantes.

Alors que le pays se mobilise face à ces enjeux, le barrage reste une leçon de résilience, rappelant l’importance d’allier savoir-faire technique et vision politique pour assurer un avenir durable.
 

Flash-back : Des sons de cloche autour de la construction du barrage El Kansera

La construction du barrage El Kansera, entamée en 1927 et finalisée en 1935, ne s’est pas contentée d’être un exploit d’ingénierie. Elle a également marqué l’histoire par l’utilisation pionnière de techniques modernes, qui ont fait l’objet de mentions spécialisées mais rares dans la presse nationale de l’époque.

 

Soletanche Bachy, une entreprise de travaux souterrains, a documenté cet ouvrage comme étant le site du premier voile d’injection d’étanchéité foré au diamant. Ce procédé, inédit au Maroc en 1927, a permis de résoudre les défis d’étanchéité posés par les terrains marnocalcaires complexes sur lesquels le barrage reposait. Cette avancée technologique a renforcé la structure et a démontré la capacité des ingénieurs de l’époque à repousser les limites du possible.

 

Les archives techniques enrichissent ce récit. En effet, des plans détaillés et des projets d’exécution datant de 1930 sont conservés et permettent de mesurer l’ampleur du défi relevé. Ces documents, disponibles sur le portail Architrave de l’Haute École Spécialisée de Genève, illustrent les étapes critiques de la construction et mettent en lumière l’importance des calculs précis pour assurer la sécurité d’un tel ouvrage.

 

Bien que la couverture médiatique marocaine des années 1920 et 1930 reste laconique sur le sujet, ces sources spécialisées apportent des éclairages précieux sur les enjeux et les innovations associés à l’édification du barrage El Kansera. Elles rappellent que cet ouvrage est bien plus qu’un simple barrage : il constitue un témoignage durable des prouesses humaines et techniques de son époque.

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