Droit de grève : Des amendements décisifs attendus pour affiner le cadre légal

Le projet de loi sur le droit de grève sera prochainement amendé par les syndicats et le patronat à la Chambre des Conseillers. Des amendements majeurs seront à l’ordre du jour des discussions, afin d’aboutir à un texte qui garantit à la fois les droits des employés et les intérêts des entreprises. Détails.

L e projet de loi organique n° 97.15 définissant les conditions et les modalités d’exercice du droit de grève vient de franchir un cap historique. Ce texte, attendu depuis soixante ans, a été adopté, mardi, par la Chambre des Représentants, avec 124 voix favorables, 41 voix défavorables et aucune abstention. 

Ce projet, amendé par les groupes parlementaires et le gouvernement, est la version révisée d’un texte déposé en 2016 par le gouvernement Benkirane, qui avait d’ailleurs été rejeté par les formations syndicales. L’adoption de ce texte après un long parcours de dialogue permet, enfin, d’encadrer l’exercice du droit de grève, conformément à la Constitution de 2011.

En effet, le texte poursuit sa trajectoire législative à la Chambre des Conseillers, où il devrait faire l’objet de discussions intenses entre les syndicats et le patronat. Cette seconde étape à l’Hémicycle entraînera sans doute un lot d’amendements qui seront défendus par les syndicats, avant que le texte ne soit promulgué et publié au Bulletin Officiel.

L’achèvement de cette phase marquera une avancée majeure dans la consécration des droits des travailleurs et la protection des intérêts de l’entreprise et de l’appareil de production marocain, comme l’a souligné à plusieurs reprises le ministre de l’Inclusion économique, Younes Sekkouri.
 

L’UGTM entend perfectionner le projet de loi
Plus qu’un simple texte organique, ce projet de loi s’inscrit dans le cadre des efforts qui visent à garantir un environnement favorable à l’investissement, à la création et à la préservation de l’emploi, selon Abdellatif Moustakim, chef du groupe de l’Union générale des travailleurs du Maroc (UGTM). “On ne pourrait en aucun cas améliorer la destination Maroc pour les grandes entreprises et favoriser l’intégration professionnelle de nos compétences sans une loi permettant d’organiser l’exercice de la grève en tant que droit constitutionnel”, a-t-il lancé. 

L’acteur syndical a affirmé, à cet égard, que son groupe proposera un ensemble d’amendements au texte organique tel qu’il a été adopté à la première Chambre du Parlement, en vue d’en affiner la portée et d’assurer son impact positif sur le marché de l’emploi. Bien qu’il n’ait pas révélé les détails des amendements de son groupe, Abdellatif Moustakim a souligné que ceux-ci feront l’objet de discussions au Parlement dans le but d’aboutir à un texte qui sert l’intérêt général. Le projet de loi organique, tel qu’il sera soumis à la deuxième Chambre de l’Hémicycle, se divise en quatre chapitres et comprend 35 articles, ainsi qu’un préambule qui n’existait pas dans le texte précédent. Le premier chapitre, composé de neuf articles, pose les bases du texte en définissant juridiquement la grève et son cadre législatif. Le deuxième chapitre, constitué de treize articles, détaille les conditions et procédures d’organisation d’une grève, y compris les préavis et les obligations relatives à la continuité des services vitaux. Le troisième chapitre, avec onze articles, aborde les mesures disciplinaires et les garanties d’exécution, incluant les sanctions en cas de non-respect du cadre légal. Enfin, le quatrième chapitre, plus succinct avec deux articles, fixe les délais d’application et la date d’entrée en vigueur du texte.

La version adoptée apporte plusieurs nouveautés, notamment concernant les catégories professionnelles qui peuvent faire grève. Contrairement à l’ancienne mouture qui limite ce droit aux fonctionnaires et salariés des secteurs public et privé, le nouveau texte entend faire bénéficier ce droit aux professions libérales, faisant ainsi sortir cette catégorie de grévistes de l’illégalité, selon les termes du ministre de l’Inclusion économique, de la Petite entreprise, de l’Emploi et des Compétence, Younes Sekkouri. 
 

Qui initie la grève ?
La question de «qui a le droit d’appeler à la grève et sous quelles conditions ?» a été au cœur des débats au Parlement, ce qui a donné lieu à un changement majeur dans ce sens. Désormais, les formations syndicales représentées peuvent initier la grève, au même titre que celles les plus représentées, mettant fin à ce monopole qui n’a pas lieu d’être, a rappelé Sekkouri. 

Allant plus loin, ce projet prévoit également la possibilité de grève en l’absence de syndicat, afin d’aligner le texte avec les aspirations des jeunes, quelle que soit leur affiliation politique ou syndicale. Toutefois, cet amendement n’est pas définitif et fera certainement l’objet de débats intenses à la Chambre des Conseillers, où les formations syndicales défendront probablement leur droit exclusif à initier la grève en tant qu’acteurs légitimes de ce droit. 
 

Fin des pratiques abusives de certains employeurs
Par ailleurs, le projet de loi sur le droit de grève intervient pour enrayer les pratiques abusives de certains employeurs en cas d’exercice d’une forme de grève par leurs employés. Ainsi, le texte prévoit que la grève ne doit pas être un motif de licenciement ou d’une mesure disciplinaire ou abusive, quelle qu’en soit la nature, dès que le salarié exerce son droit conformément à la loi, tel qu’il a été souligné par Sekkouri.

De plus, ce texte interdit aux employeurs de recruter de nouveaux salariés ou même des stagiaires, même temporairement, alors qu’une grève est en cours. Cette mesure vise à combler les lacunes de la précédente version du projet de loi, qui interdisait uniquement le recrutement de nouveaux employés durant les grèves. En effet, certains employeurs avaient recours au recrutement de stagiaires pour contrer les mouvements de grève et en limiter l’impact, selon les propos du ministre. Ainsi, ce nouvel amendement, qui interdit non seulement le recrutement de salariés mais aussi celui «d’autres personnes», a pour objectif de «donner à la grève toutes les chances de succès». Les révisions portent aussi sur les sanctions liées au droit de grève, notamment en cas d’obstruction. La nouvelle version du texte abandonne les peines de prison et les sanctions pénales sévères. À la place, des amendes financières sont prévues, à condition qu’elles soient suffisamment élevées pour dissuader les comportements abusifs. Ce volet pourrait encore être modifié à la Chambre des Conseillers, selon Sekkouri. 

Cela dit, les amendements apportés au texte à la Chambre des Représentants ne sont pas définitifs. Ils pourront être améliorés à la deuxième Chambre où les syndicats et le patronat ont certainement leur mot à dire concernant ce projet majeur. 

Grèves politiques : Le projet de loi tranche
Le gouvernement a levé l’interdiction de la grève à des fins politiques, une disposition qui avait suscité des controverses dans l’ancienne mouture, dans la mesure où elle créait une ambiguïté pour les travailleurs et restreignait leur liberté de grève, d’après les syndicats. Cette restriction était problématique, car les grèves sont souvent une réponse à des politiques jugées répressives, selon les syndicats. La nouvelle formulation dudit article est la suivante : «Tout appel à la grève contraire à cette loi est considéré illégal». L’article 12, qui interdisait les grèves tournantes, a également été abrogé. Il sera désormais dédié à la définition des motifs et les délais à respecter pour l’appel à la grève dans les secteurs public et privé, marquant une étape majeure dans la consécration du droit de grève, conformément à la Constitution.

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