Longtemps différée, la réforme des retraites sera bientôt débattue. Des sacrifices seront exigés pour sauver les Caisses défaillantes. Reste à savoir qui en paiera le prix. Décryptage.
On était censé parvenir à une feuille de route dès 2023 selon le calendrier initial, sachant que les discussions ont commencé en octobre 2022, avant de s’arrêter brusquement pour plusieurs raisons. Puis, le gouvernement s’est engagé dans l’accord social du 29 avril 2024 à faire voter la réforme avant la fin de 2024. Il n’en est rien. L’Exécutif a eu besoin de plus de temps pour faire un audit plus minutieux de l’état actuel de Caisses de retraites. La première étude, issue d’un Cabinet de conseil, ne faisait pas consensus. Aussi, le nombre incalculable des pommes de discorde avec les syndicats dissuade le gouvernement de se précipiter dans une discussion à la hâte qui aurait finalement conduit à l’impasse avec les syndicats. Ceux-ci ne veulent absolument pas entendre parler de sacrifices. Par conséquent, la priorité a été accordée à d’autres dossiers plus prioritaires au dialogue social, tels que le projet de loi sur le droit de grève qui est toujours contesté par les syndicats, bien qu’il ait fait l’objet d’une longue consultation et voté à la Chambre des Représentants. C’est dire à quel point ce genre de réformes qui touchent aux acquis sociaux est si pénible à aborder.
Toutes les Caisses sont menacées de faillite, à commencer par la CMR dont les réserves pourraient s’épuiser dès 2028 avec un déficit de 8 milliards de dirhams, tandis que la CNSS se porte mieux pour une durée de vie prolongée jusqu’en 2038. Certes, l’intégration des travailleurs non-salariés et des ex-ramedistes a amélioré la cotisation mais le risque est vif, bien que la Caisse ait enregistré un excédent en 2023 (3,7 MMDH).
Ce n’est pas l’unique souci du gouvernement qui propose également la hausse des cotisations. L’équation se montre très complexe. Reste à savoir si tout le monde passera à la caisse ou si cela sera limité à l’échelon patronal. Des syndicalistes exigent en contrepartie une hausse des pensions, surtout au secteur privé qui ne peut dépasser le plafond de 70% du salaire perçu. La majorité des salariés du privé sont en dessous de 8000 dirhams. Force est de constater que la moyenne des pensions de la CNSS ne dépasse pas 2168 dirhams contre 9900 dirhams chez les fonctionnaires. L’écart est si abyssal que le rééquilibrage s’impose. Le gouvernement parie sur le régime complémentaire pour booster les pensions des retraités du privé qui auront à supporter tous seuls les cotisations. La volonté de geler la revalorisation des pensions, souvent citée parmi le paquet de la réforme, complique les choses. En tout cas, il faut revaloriser les pensions du privé, plaide Youssef Guerraoui Filali, qui explique que cela peut se faire si on aboutit à un système unique dans le cadre d’une réforme globale.
Chez les syndicats, la prudence reste de mise. Personne ne veut brûler ses cartes précocement et toutes les centrales préfèrent attendre ce que va proposer formellement l’Exécutif avant de trancher. Mais, jusqu’à présent, nous sommes loin d’un front syndical uni puisque les positions des uns et des autres ne sont pas totalement alignées. Les discussions s’annoncent orageuses tellement les syndicats refusent de sauver les Caisses sur le dos des travailleurs.
Absolument, il faut tenir compte des critères de pénibilités étant donné qu’il faut prendre en considération les métiers pénibles où il est difficile de travailler jusqu’à 65 ans. On peut se permettre quelques exceptions à condition de laisser le choix de partir plus tôt (à 62 ans) ou de rester jusqu’à 65. L’essentiel, c’est qu’il est impératif de généraliser l’âge de 65 ans qui doit être la règle. Il en va de l’équilibre de notre système par répartition. Actuellement, il faut reconnaître que les pensions dans le secteur privé demeurent trop faibles et marginales pour certains cas. Du coup, les pensions de la CNSS doivent inéluctablement et significativement être revalorisées. Cela dépend d’une réforme globale du système de retraite en allant vers un système unique à deux pôles. Autrement, cela coûtera plus cher à l’Etat.
La hausse des cotisations est-elle inévitable ?
Dans un premier lieu, je pense qu’il va falloir commencer par la hausse des cotisations patronales, ce qui signifie la hausse de dépenses pour l’Etat en ce qui concerne les fonctionnaires. Il y aura également une hausse des charges pour les patrons d’entreprises. Cependant, ce sera plus compliqué pour les salariés dont le salaire net serait affecté. Au secteur public, le salaire net est considéré comme un acquis pour les fonctionnaires Du coup, la hausse de leurs cotisations est difficilement concevable. Or, dans le secteur privé, tout dépend de la mention de la qualification du salaire net au contrat de travail.
A-t-on la garantie que le système unique à deux pôles permet la durabilité des caisses ?
La fusion de l’ensemble des Caisses est de nature à améliorer la gouvernance du système pour peu que le tableau de bord soit plus maîtrisable. Aujourd’hui, nous avons des caisses éparpillées entre le régime général, les caisses complémentaires, le pôle privé et le pôle public. Ce schéma ne permet pas d’avoir un mode de gouvernance pérenne puisqu’on a du mal à paramétrer le système et d’avoir des objectifs et des stratégies de gestion harmonieuses. Par conséquent, l’unification du système donne l’avantage d’harmoniser sa gestion pour être en état de penser sa pérennité.
Selon l’exposé initial de l’Exécutif, tous les régimes actuels sont menacés mais à des degrés différents. Le régime de pensions civiles est le plus menacé puisque la Caisse Marocaine des Retraites souffre d’un déficit de 8 MMDH et risque ainsi d’épuiser ses réserves d’ici 2028. Par contre, la CNSS dispose d’une durée de vie plus longue avec un déficit de 375 MDH.
Toutefois, la Caisse est menacée de faillite dès 2038, en dépit de ses réserves estimées à 61 MMDH. La situation la plus confortable est celle du Régime Collectif d’Allocation de Retraite (RCAR), géré par la Caisse de Dépôt et de Gestion (CDG), fort de ses 135 MMDH de réserves qui lui permettent de continuer à verser les pensions jusqu’en 2052.
En plus des failles financières liées à plusieurs facteurs, dont le chômage et le vieillissement de la population, le système actuel accuse plusieurs lacunes dont un décalage flagrant entre le secteur privé et le secteur public. Il en résulte un fossé abyssal qui sépare le public et le privé.
Pour sauver le système par répartition, le gouvernement veut introduire une dose de capitalisation en rendant obligatoire le système complémentaire. C’est une des recommandations du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) qui est favorable à un régime complémentaire dit “contributif”, en plus d’un régime individuel d’assurance privé. Cela dit, tous les salariés, qu’ils soient employés ou fonctionnaires, doivent avoir en plus de leur retraite essentielle une pension complémentaire. Le montant des cotisations, rappelons-le, augmente en fonction de l’âge de souscription. Le CESE préconise également un minimum vieillesse qui ne soit pas inférieur au seuil de pauvreté en faveur des personnes dépourvues jusque là de pensions. Une sorte de retraite minimale. Selon Youssef Guerraoui Filali, l’intégration de la part complémentaire est une des solutions envisageables. “N’oublions pas que les Caisses complémentaires telles que CIMR sont performantes. Je crois que leur intégration dans un système unique à deux pôles de retraite permettra de compenser les déficits de la CMR et de la CNSS”, souligne-t-il.