Riaya 2024-2025 : L’État souffle du chaud sur nos régions froides [INTÉGRAL]

Avec des températures atteignant -8 °C, les régions montagneuses marocaines subissent un froid extrême. L’opération Riaya mobilise des moyens inédits pour atténuer ces conditions critiques.

Les Marocains les appellent «Liali», c’est-à-dire les 40 nuits les plus froides de l’année. Elles s’éternisent généralement du 25 décembre jusqu’au deuxième jour de février, imposant au passage des conditions de vie pénibles, surtout pour les populations de montagnes. Durant la semaine en cours, le Maroc a ainsi connu une vague de froid annoncée à travers un communiqué de la Direction Générale de la Météorologie (DGM). «Des températures minimales oscillant entre -08 et -02 °C et maximales entre 00 et 06 °C seront enregistrées, durant cette période, dans les provinces d’Ifrane, Boulemane, Sefrou, Azilal, Beni Mellal, Khénifra, Al Haouz, Figuig, Chichaoua, Tinghir, Ouarzazate, Midelt et Taroudant», a souligné la DGM dans un bulletin d’alerte de niveau de vigilance orange, diffusé il y a quelques jours. «Il y a eu quelques précipitations de neige, mais ce n’est pas très important. Ce qui affecte le plus les gens actuellement, c’est plutôt l’intense froid», nous confie un habitant de la Commune d’Itzer (Province de Midelt).
 
Riaya 2024-2025
Pour atténuer les effets du froid, les autorités ont mis en œuvre diverses mesures, notamment l’opération « Riaya 2024-2025 », que le ministère de la Santé et de la Protection sociale a lancé en application des Hautes Instructions de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, que Dieu L’assiste, «visant à fournir les soins nécessaires aux populations des zones touchées par la vague de froid, et dans le cadre des efforts destinés à garantir la continuité des services et leur proximité des habitants de ces régions». Cette opération, lancée dès le 15 novembre 2024 et se prolongeant jusqu’au 30 mars 2025, cible la population des régions montagneuses et éloignées dans 31 provinces réparties sur 8 régions, dont 4 provinces dans la région de Tanger-Tétouan-Al Hoceima. «Riaya 2024-2025 vise à assurer une réponse adéquate aux besoins de santé des populations, en fournissant des services de santé de proximité, notamment les soins de santé primaires, ainsi que les soins curatifs et les services de sensibilisation au niveau des centres de santé», poursuit la même source. 
 
Mobilisation tous azimuts
Depuis le lancement de l’édition 2024-2025, l’opération Riaya s’est déclinée dans plusieurs régions et provinces du Royaume. C’est le cas notamment de la province de Khénifra où la vague de froid concerne 49 douars au niveau des communes rurales d’El Kebab, Sidi Yahya, Ait Saadelli, Ait Ishaq, Tighsaline, Kerrouchen, Aguelmam-Azegza et Oum Rabia. Dès le mois de novembre 2024, les autorités locales ont ainsi lancé les premières activités de mobilisation proactive des moyens et des partenaires concernés. Un total de 26 points d’atterrissage d’hélicoptères ont été préparés au niveau de 9 communes territoriales, alors qu’une liste de 44 établissements scolaires avec 5000 lits et des sanitaires a été établie. Sur place, la Direction régionale de l’Entraide nationale a été chargée d’aménager trois établissements pour accueillir et abriter les cas urgents au niveau d’El Kebab, M’rirt et Khénifra, tandis que les besoins en bois de chauffage des familles ciblées ont été fixés à 640 tonnes.
 
Caravanes médicales
Il y a quelques jours, une caravane médicale pluridisciplinaire a été organisée dans le cadre de Riaya 2024-2025, au profit de 621 pensionnaires de la prison locale d’Ouarzazate. Une autre caravane médicale, mobilisant 17 médecins spécialisés, a pu bénéficier à plus de 500 habitants du douar Achelouj, dans la commune d’Anjil relevant de la province de Boulemane, donnant lieu à 903 consultations médicales, dont 561 en médecine spécialisée et 342 en médecine générale. Dans la Province de Sefrou, les autorités locales assurent avoir couvert 100% des douars reculés et exposés à la vague de froid, en particulier dans les montagnes de Bouiblane qui sont visitées deux fois par saison. Un autre exemple de mobilisation contre les effets du froid s’illustre dans la Région de Fès-Meknès, où la campagne Riaya cible 121.733 personnes dans six provinces montagneuses en mobilisant 32 médecins spécialistes, 64 généralistes et 491 infirmiers, à travers un dispositif qui englobe 92 établissements de santé, 23 unités médicales mobiles et 27 ambulances.

3 questions à Redouan Choukr’Allah, expert en eau et en agriculture durable «Si le froid est au rendez-vous, les précipitations ont été très faibles, ce qui induit énormément d’inquiétudes»
Quel impact pourrait avoir cette vague de froid sur le secteur agricole au niveau national ?
 

Le froid hivernal est généralement une bonne nouvelle pour l’arboriculture, surtout lorsqu’on enregistre un minimum de pluie. Or, il convient de préciser que si le froid est au rendez-vous, les précipitations ont été très faibles ces derniers mois, ce qui induit énormément d’inquiétudes. On pourrait presque dire qu’il n’y a pas d’agriculture cette année puisque nous voyons s’enchaîner une septième année de sécheresse. Les agriculteurs qui ont fait un semis tôt ont tout perdu et ceux qui ont fait un semis tardif ne voient pas encore de levée sur le terrain. Même chose pour l’élevage qui souffre du manque de couvert végétal, ce qui impose de recourir à des denrées importées pour le bétail à des prix qui sont souvent excessifs et qui ne prennent pas en compte la vulnérabilité des éleveurs dont beaucoup font déjà face à plusieurs difficultés liées notamment au froid.
 

Quelle est, selon vous, la solution pour atténuer cette problématique ?
 

Le constat est malheureusement très bien connu depuis plusieurs années. Face à l’enclavement, aux risques sanitaires liés au froid, à la sècheresse ou encore à l’augmentation des prix, les éleveurs se retrouvent dans un cercle vicieux et multidimensionnel dans lequel les solutions classiques ou à court terme ne sont plus suffisantes. La solution devrait être tout aussi multidimensionnelle pour pouvoir répondre à l’ensemble des problèmes, et ce, à moyen et long termes. Il est plus que temps d’innover et de produire des solutions nouvelles pour remédier à des conditions climatiques qui ne doivent plus être considérées comme exceptionnelles.

  Au vu de l’impact sur le couvert végétal, des prix de l’alimentation importée et de l’état actuel du cheptel, pensez-vous qu’il faille annuler l’Aïd Al-Adha 2025 ?

Je pense que l’annulation aurait déjà dû se faire l’année dernière. Pour cette année, je pense qu’il conviendrait effectivement de préparer les populations de sorte à limiter, voire à annuler, l’Aïd Al-Adha 2025. Cela a déjà été fait par le passé par Feu SM Hassan II, et les conditions qui imposent ce genre de solutions radicales sont actuellement toutes réunies. Autrement, les conséquences sur le cheptel et sur la filière de l’élevage pourraient être très graves.

Phénomène : Lorsque la Sibérie soufflait le chaud et le froid jusqu’au Maroc…
«Lorsqu’on parle d’intense froid, c’est toujours relatif à l’endroit sujet du phénomène. Dans notre pays, les derniers records en termes de températures minimales avaient été enregistrés durant l’année 2005», nous expliquait (dans une précédente interview) Khalid El Rhaz, ingénieur météorologue et chef du service climat et chargements climatiques à la Direction Générale de la Météorologie. «À l’époque, les chutes des températures étaient dues à un couloir de vent provenant de la région sibérienne. Ce couloir, qui s’était établi, avait à l’époque traversé toute l’Europe centrale et la Méditerranée, et avait également touché le Maroc. Ce phénomène avait donné lieu à un froid exceptionnel et plusieurs records de températures minimales, notamment sur les plaines atlantiques Nord : du jamais-vu depuis les années 50. Cela dit, cette configuration-là ne s’est plus jamais reproduite, mais cela ne veut pas dire que nos régions n’ont pas connu par la suite d’autres vagues de froid d’origines différentes», précise la même source.
 

Coordination : Les professionnels de la Santé mobilisés contre les effets du froid
Si l’ensemble des parties prenantes institutionnelles est concerné par la mise en œuvre de la campagne Riaya 2024-2025, le chef de file de l’initiative est le ministère de la Santé et de la Protection sociale. Pour la saison en cours, l’objectif est de renforcer les activités des unités médicales mobiles au niveau des points de rassemblement des populations-cibles, tout en assurant la prise en charge par le biais de campagnes médicales spécialisées et des hôpitaux de référence, ainsi que la prise en charge des cas d’urgence. Au niveau national, l’opération a également pour objectif de garantir la disponibilité des ressources humaines, des équipements, des médicaments et des produits de santé dans 591 centres de santé, et d’organiser 3.552 visites aux unités médicales mobiles dans les zones éloignées et dans les points de rassemblement de la population-cible, en plus de 196 caravanes médicales spécialisées et campagnes médicales spécialisées afin de fournir des soins de santé aux patients concernés. Des professionnels de la Santé (médecins, pharmaciens, infirmiers, administrateurs et techniciens), travaillant dans les établissements de soins de santé primaires des zones rurales des provinces ciblées, ont été engagés dans les caravanes médicales. En plus des moyens logistiques, des équipements médicaux et des stocks de médicaments qui ont été mis à disposition, des moyens de transport conséquents ont été mobilisés, incluant 52 camions mobiles, 164 unités sanitaires mobiles réparties dans les provinces concernées et 324 ambulances. 

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