La prochaine ouverture d’un second passage frontalier entre le Maroc et la Mauritanie s’inscrit dans une stratégie à double objectif : d’une part promouvoir les échanges commerciaux entre les deux pays, d’autre part affaiblir le Polisario en grignotant progressivement la zone tampon.
En effet, cette nouvelle route reliant les villes d’Es-Smara et de Bir Moghreïn en Mauritanie, via Amgala et Tifariti – deux localités situées derrière le mur de défense – revêt un double intérêt. Sur le plan économique, elle rapprochera le Maroc des marchés sahéliens et stimulera ainsi le commerce avec les pays de la région. Sur le plan stratégique, elle contribuera à réduire la zone tampon et entraver la libre circulation des milices séparatistes.
Bien que relativement exiguë par endroits, la zone tampon située derrière le mur de défense a, pendant près de trois décennies, depuis la signature du cessez-le-feu en 1991, permis une circulation quasi libre des groupes séparatistes sur un territoire représentant 20% du Sahara marocain. Cette zone s’étend le long des frontières algériennes à l’Est, mauritaniennes au Sud-Est et au Sud, jusqu’à l’océan Atlantique.
Cette situation offrait un levier de pression considérable au Front Polisario, qui en usait régulièrement contre le Maroc, notamment à El-Guerguerat. Entre le mur de défense et la frontière mauritanienne s’étendait une zone démilitarisée de quelques kilomètres, surnommée « Kandahar » par les routiers. Un no man’s land où les éléments du Polisario se livraient au racket des transporteurs et imposaient des blocages fréquents pour entraver les échanges commerciaux et exercer un chantage sur le Maroc.
Cela a perduré jusqu’en octobre 2020, lorsque, en prévision d’une réunion du Conseil de Sécurité à la fin du mois, le Polisario a annoncé le blocage « définitif » de ce passage, qui constitue la seule artère commerciale terrestre reliant le Maroc au reste du continent africain. L’intervention des Forces Armées Royales (FAR), le 13 novembre de la même année, pour libérer les lieux a, par la même occasion, permis d’étendre le mur de défense, sécurisant ainsi durablement l’endroit et réduisant par conséquent la zone tampon.
Depuis cette date, les séparatistes ont unilatéralement rompu l’accord de cessez-le-feu et tentent, de temps à autre, des intrusions rapidement neutralisées par les drones marocains, ce qui a permis de sanctuariser la zone tampon. En parallèle, les FAR ont mené ponctuellement des travaux d’aménagement le long du mur de défense, notamment dans la province d’Assa-Zag, où elles ont avancé leurs positions jusqu’à réduire la distance avec la frontière algérienne à seulement trois kilomètres, rendant ainsi toute tentative d’infiltration impossible.
Les événements s’accélèrent le 20 décembre 2024 avec la visite à Rabat du président mauritanien Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, reçu par Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Cette rencontre inaugure une période de rapprochement prometteuse entre les deux pays voisins. “Ce renforcement des liens permettra à cette relation bilatérale de s’accélérer et d’être bien plus fructueuse qu’elle ne l’est actuellement, tant sur le plan de la sécurité que sur le plan culturel, mais surtout sur le plan économique et commercial”, analyse Mohamed Badine El Yattioui, Professeur d’Études Stratégiques au Collège de Défense (NDC) des Emirats Arabes Unis à Abou Dhabi.
Les fruits de cette rencontre se sont manifestés dès les jours suivants avec la signature, à Rabat puis à Nouakchott, de l’accord d’interconnexion électrique visant à créer un corridor énergétique reliant l’Afrique de l’Ouest à l’Europe en traversant les deux pays. Ensuite, avec l’instauration de visas à entrée multiple pour les camionneurs marocains par les autorités mauritaniennes, facilitant ainsi leur passage des frontières et leur transit vers le reste de l’Afrique.
La dernière brique de cette alliance en construction est l’ouverture de ce second passage frontalier, entre Es-Smara et Bir Moghreïn. Selon le ministère de l’Équipement, l’axe routier (RN17 et RN17B), d’une longueur de 93 km, a atteint plus de 95% de réalisation et a mobilisé un montant global de 49,72 millions de dirhams.
Le quatrième et dernier tronçon du projet, actuellement en phase d’achèvement, consiste en la construction du corps de chaussée de la route nationale n°17 reliant Es-Smara à la frontière mauritanienne sur 53 km, mobilisant un montant global de plus de 28,23 millions de dirhams. Le ministère a précisé que l’avancement des travaux de cet axe a atteint plus de 88%.
Dans une circulaire datant du 11 février, le ministre mauritanien de l’Intérieur, Mohamed Ahmed Ould Mohamed Lemine, a officialisé la réorganisation des points de passage frontaliers, fixant leur nombre à 82. Parmi ces passages figure ce nouvel axe terrestre reliant le Maroc à la Mauritanie. En s’accordant sur l’ouverture de cette voie, les deux pays s’engagent automatiquement à la sécuriser et, par conséquent, à écarter toute menace émanant du Polisario.
Si le Nord de la Mauritanie, difficilement contrôlable en raison de sa vaste étendue, était jusqu’à récemment une zone propice à l’infiltration d’éléments séparatistes cherchant à effectuer des attaques contre le territoire marocain, sa dynamisation économique encouragera les deux partenaires à mieux surveiller cette zone. La zone d’opération du Front Polisario se retrouvera par conséquent réduite comme peau de chagrin, confinée à une mince enclave entre Mahbès et Tifariti, sur une distance d’à peine 200 km, étroitement surveillée par les FAR.
Cela signifie-t-il pour autant que la Mauritanie pourrait, à l’avenir, retirer sa reconnaissance de la pseudo-RASD ? Rien n’est moins sûr. Le 20 février, le porte-parole du gouvernement mauritanien, Hussein Madou, a réaffirmé la position de son pays, fondée sur une « neutralité positive » dans le dossier du Sahara. “Il serait souhaitable que la Mauritanie s’engage dans cette voie. Cependant, il faut rester réaliste : ces dynamiques sont complexes. Même si le président Ghazouani souhaite emprunter cette direction, il devra composer avec les équilibres internes et externes du pays”, conclut Mohamed Badine El Yattioui.
Quelle est, selon vous, l’importance de ce second passage frontalier ?
Peut-on espérer un retrait mauritanien de la reconnaissance du Polisario ?
L’Initiative Atlantique, annoncée par le Souverain le 6 novembre 2023 à l’occasion du 48ème anniversaire de la Marche Verte, vise à offrir un débouché maritime aux pays enclavés du Sahel, en facilitant leur accès au commerce international à travers le futur port de Dakhla Atlantique. Ce corridor stratégique repose sur un réseau routier qui devrait connecter le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad au port saharien, en passant par la Mauritanie, qui en constitue la clé de voûte.
Même logique pour le gazoduc Afrique-Atlantique, un projet phare lancé en 2016, destiné à traverser 13 pays africains et à créer un marché gazier régional intégré. Non seulement la Mauritanie est un passage obligé de cette infrastructure énergétique, mais la récente mise en exploitation du gisement mauritano-sénégalais de Grand Tortue Ahmeyim (GTA), fin 2024, confère un avantage stratégique supplémentaire. Ce gazoduc pourrait ainsi être alimenté par deux sources majeures : le Nigeria et ce nouveau gisement offshore, renforçant ainsi l’indépendance énergétique de la région et son attractivité pour les investisseurs.
La première phase consiste en des études techniques pour établir une ligne de 350 km entre Dakhla et Nouadhibou, points de raccordement des réseaux nationaux. Cette initiative s’inscrit dans une vision plus large d’intégration énergétique régionale, renforçant la fiabilité des réseaux et facilitant les échanges d’énergie entre l’Europe et l’Afrique de l’Ouest. Elle témoigne de la volonté des deux nations de jouer un rôle central en tant que hubs énergétiques continentaux, favorisant ainsi la coopération Sud-Sud et le développement durable.