Les données sont devenues un véritable capital, à la fois pour les entreprises et pour les citoyens. Elles renferment des informations sensibles qui influencent les décisions économiques, administratives et personnelles. Pourtant, leur gestion est encore largement centralisée dans les mains de multinationales étrangères, ce qui pose un problème de dépendance et de confidentialité. Actuellement, une grande partie des données des Marocains est stockée par des acteurs internationaux comme Google (Alphabet) avec ses services Gmail, Google Drive et Google Cloud, Meta (Facebook, Instagram, WhatsApp) qui collecte d’importantes données sociales et personnelles, Microsoft avec Outlook, OneDrive et Azure Cloud, ainsi que Amazon Web Services (AWS), qui héberge des données d’entreprises marocaines et d’institutions. D’autres acteurs comme Apple (iCloud) pour les utilisateurs d’iPhone et TikTok (Bytedance) pour les contenus et interactions numériques des jeunes, sont également impliqués. Certains hébergeurs européens comme OVH sont aussi utilisés par des entreprises marocaines. Cette dépendance soulève des préoccupations liées à la souveraineté numérique et à la sécurité des données, car ces entreprises sont soumises aux lois de leurs pays d’origine, notamment le Cloud Act américain et le RGPD européen, qui influencent directement la gestion et l’accès aux données stockées hors du Maroc.
Le Maroc, soucieux de préserver son indépendance numérique, pourrait tirer parti de cette situation en structurant un cadre local de gouvernance des données, reposant sur des experts indépendants chargés d’en assurer la protection et l’intégrité.
L’institutionnalisation de dataires permettrait d’instaurer un système de gestion des données plus éthique et sécurisé. Ces professionnels garantiraient la confidentialité des informations personnelles et professionnelles, en assurant une traçabilité des usages et en limitant les risques de fuite ou d’exploitation abusive. À l’image des notaires, ils joueraient un rôle de tiers de confiance, capable de certifier des transactions numériques, de veiller à l’intégrité des contrats et de sécuriser la transmission des données en cas de décès ou de litige. Une telle initiative renforcerait la confiance des entreprises et des citoyens dans la gestion de leurs données, tout en évitant un contrôle excessif par des entités étrangères ou des plateformes privées.
L’émergence de cette nouvelle profession nécessiterait la mise en place d’une formation spécifique, combinant des compétences en informatique, en droit numérique, en cybersécurité et en économie des données. Les universités et grandes écoles marocaines pourraient jouer un rôle clé en proposant des cursus dédiés, intégrant des certifications délivrées par des institutions spécialisées comme la CNDP ou l’ANRT. Par ailleurs, un cadre réglementaire adapté devrait accompagner cette transformation, en adaptant la loi existante sur la protection des données personnelles pour garantir un cadre éthique et opérationnel à ces nouveaux acteurs.
Le modèle économique des dataires pourrait s’appuyer sur un système de certification et d’audit des données, permettant aux entreprises et aux administrations de bénéficier de leurs services pour assurer la conformité et la sécurité de leurs informations. Des partenariats avec les banques, les assurances et les grandes institutions financières pourraient également être envisagés, renforçant ainsi la valeur ajoutée de cette profession. Pour accélérer l’adoption de ce modèle, l’État pourrait mettre en place des incitations fiscales pour encourager les entreprises marocaines à collaborer avec ces experts et privilégier des solutions locales pour la gestion de leurs données.
Le Maroc a tout à gagner à devenir un précurseur dans la mise en place d’un tel dispositif. À une époque où la souveraineté numérique devient un enjeu central, développer un écosystème de dataires permettrait non seulement d’assurer une protection efficace des données nationales, mais aussi de positionner le pays comme un acteur clé dans la gouvernance des données en Afrique et dans le monde arabe. En instaurant ce cadre, le Maroc pourrait non seulement se prémunir contre les risques liés à la centralisation des données dans des mains étrangères, mais également renforcer la confiance numérique des citoyens et des entreprises, en leur garantissant une gestion éthique et sécurisée de leurs informations.
La mise en place de dataires au Maroc ne serait pas seulement une avancée en matière de cybersécurité et de protection des données, mais également une opportunité économique et stratégique. En s’appuyant sur un cadre réglementaire clair, des formations adaptées et une collaboration entre le secteur public et privé, cette initiative pourrait structurer un véritable marché des services numériques de confiance. À l’heure où les données deviennent un enjeu de pouvoir et d’indépendance, il est essentiel pour le Maroc de prendre les devants et d’imaginer un modèle de gouvernance où les citoyens et les entreprises reprennent le contrôle de leurs informations, dans un cadre sécurisé et souverain.