Interview avec Naïma Moutchou : « Nous pourrions accompagner l’ambition du Maroc d’obtenir un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies »

De son parcours personnel à la diplomatie franco-marocaine, Naïma Moutchou, Vice-présidente de l’Assemblée nationale française, plaide pour un soutien clair de la France au Maroc, y compris sur la question du Sahara et un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies.

-Madame Naïma Moutchou, nous sommes ravis de vous accueillir. Pour commencer, pourriez-vous nous parler des moments clés de votre parcours qui vous ont inspirée à vous engager en politique et qui ont abouti à votre élection à l’Assemblée nationale ? Quels sont les événements qui ont façonné votre engagement ?

« Une chose n’est pas juste parce qu’elle est loi, mais elle doit être loi parce qu’elle est juste. » Cette inspiration de Montesquieu m’a profondément marquée. Elle dit tout de ce qui m’a conduite au droit, puis à la politique.

Je suis née dans une petite ville de la banlieue parisienne, de parents marocains, originaires d’un village berbère de la région de Ouarzazate. Mon père était agent d’entretien à l’hôpital, ma mère femme de ménage. Ils n’étaient pas lettrés, mais ils portaient en eux une immense intelligence de la vie : celle de l’honneur, du travail bien fait, de la parole donnée. Leur dignité silencieuse a été ma première école. Je les ai vu se lever tôt, s’épuiser pour nous offrir ce qu’ils n’avaient pas reçu.

Très jeune, j’ai compris que le droit pouvait être une arme contre l’injustice. Devenir avocate, ce n’était pas un rêve d’enfant, c’était une volonté : faire entendre une voix différente dans le tumulte. Pendant dix ans, j’ai plaidé pour des victimes, des invisibles, des histoires qu’on efface. Mais à force de défendre, j’ai voulu décider : faire la loi, pas seulement la commenter, porter à l’Assemblée nationale cette parole venue d’en bas, sans folklore ni ressentiment, mais avec exigence.

Mon parcours n’a rien d’un privilège. Il n’est pas fait de raccourcis, mais d’obstination. J’ai tout construit seule, par le mérite, l’effort, la ténacité. Je n’avais ni héritage ni réseaux, mais j’avais l’éducation de mes parents si résilients et courageux. Aujourd’hui, vice-présidente de l’Assemblée nationale, je garde les pieds ancrés dans cette terre dont je viens, et le regard tourné vers ce que je peux transmettre à mon tour.

-Votre parcours est marqué par vos origines marocaines. Dans une Assemblée nationale qui se veut le reflet de la société française, comment percevez-vous votre rôle dans la représentation de cette diversité, et quels sont les défis et les opportunités qui en découlent ?

Je n’ai jamais eu à choisir entre la France et le Maroc. Je suis française, pleinement, profondément. Et je suis fille du Maroc, par le sang, par les souvenirs, par les valeurs que mes parents m’ont transmises. Cette double appartenance n’est pas une hésitation, c’est une richesse. Elle me permet de voir plus loin et de comprendre plus profondément. Je suis, contrairement à l’atmosphère du moment, tout à fait à l’aise avec mon identité.

Mon rôle à l’Assemblée nationale, ce n’est pas d’incarner une identité ou une origine. C’est d’incarner une promesse : celle que la République doit tenir à tous ses enfants. Ce que je représente, c’est cette France diverse, issue des quartiers, des campagnes ou des villages, qui demande simplement qu’on lui ouvre la porte, qu’on la regarde comme une chance et pas comme un problème.

La diversité, ce n’est pas un slogan. C’est une réalité humaine qui oblige. A mes yeux, il ne s’agit pas de mettre en scène des parcours mais de faire en sorte qu’ils ne soient plus l’exception. Oui, il y a des défis : les stéréotypes, les préjugés, le plafond de verre. Mais il y a surtout une opportunité historique : celle de réconcilier la République avec toutes ses composantes et de bâtir un récit commun, à égalité de dignité.

-Dans ce contexte, alors que les relations entre la France et le Maroc sont d’une importance capitale, comment percevez-vous le rôle spécifique de l’Assemblée nationale dans la construction et le renforcement de ces relations bilatérales, notamment à travers le travail législatif et les échanges parlementaires ?

La relation entre la France et le Maroc est ancienne, profonde, parfois complexe, mais toujours essentielle. Elle va bien au-delà des gouvernements et des conjonctures. C’est une relation de peuples, de familles, de mémoire partagée.

Et c’est justement là que le Parlement a un rôle à jouer. Je suis convaincue, et l’expérience me l’a démontré, que l’Assemblée nationale peut être un trait d’union. Elle a cette liberté de ton, cette capacité à bâtir des liens directs entre élus, à créer un dialogue franc, durable, entre représentants des deux pays.

À travers les groupes d’amitié, les visites bilatérales, les travaux conjoints, nous pouvons faire avancer des coopérations concrètes, par exemple sur l’éducation, la formation, la jeunesse, l’environnement, la culture. Ce sont ces projets du quotidien qui solidifient une relation d’État à État. J’ai le souvenir, pendant la période du Covid, que les ponts n’avaient pas été rompus avec nos homologues marocains et que nous avions maintenu un canal même minimum de communication. C’est une force !

Je crois d’autant plus à cette diplomatie parlementaire parce qu’elle est humaine, parce qu’elle est moins soumise aux postures. Et parce que les parlementaires, en France comme au Maroc, ont en commun cette proximité avec le terrain, cette écoute directe de leurs concitoyens. C’est par là que peut s’écrire une nouvelle page des relations franco-marocaines.

-La communauté d’origine marocaine en France est une composante importante de notre société. Y a-t-il des projets de loi sur lesquels vous avez récemment travaillé, ou que vous envisagez de porter à l’avenir, qui concernent spécifiquement les droits et les préoccupations des citoyens d’origine marocaine en France ?

La communauté d’origine marocaine fait partie intégrante de l’histoire française. C’est une communauté de labeur, de dignité, de transmission. Elle a bâti des quartiers et des villes, nourri l’économie et enrichi la culture du pays. Elle a élevé des générations de citoyens, souvent dans la discrétion, parfois dans l’adversité. Cette histoire mérite non seulement d’être reconnue mais aussi d’être valorisée. Je l’ai vécue, je l’ai traversée, je sais ce que ça coute et ce que ça représente.

Mon engagement est donc de garantir que l’origine ne soit ni un frein, ni une assignation, mais un trait parmi d’autres dans une trajectoire libre. Je veux que cette communauté cesse d’être regardée par certains comme une difficulté ou une menace, et qu’elle devienne une fierté nationale, une élite cultivée, responsable, actrice de la vie de son pays. Il ne s’agit plus de multiplier les symboles ou les exceptions, mais de cultiver pour tous des parcours de réussite ! C’est une nécessité pour la cohésion nationale et une réparation pour des générations trop souvent tenues à l’écart.

Voilà pourquoi je me bats contre le racisme, la stigmatisation, les discriminations religieuses. J’ai moi-même reçu, il y a quelques jours, par courrier à l’Assemblée nationale, un message raciste d’une violence inouïe dans lequel j’étais réduite à l’état de « sale arabe », « complice d’égorgements d’enfants », « volant le pain des Français » et devant « dégager vite ». J’ai déposé plainte bien sûr car il ne faut rien laisser passer. Malheureusement, ce n’est pas la première fois que je suis confrontée à de telles attaques haineuses.

Je n’en fais pas un étendard mais je refuse de le banaliser, je refuse que les gens comme moi, issus de l’immigration, ayant un nom à consonnance étrangère, aient à choisir entre effacement et dignité. Ce n’est pas le patronyme ou la religion qui définissent la place de chacun dans la République. C’est le sentiment d’appartenance : là est le défi. Je suis fière de qui je suis, d’où je viens et de ce que j’essaie de porter pour mon pays.

Il y a le pendant de ce combat : je lutte tout aussi ardemment contre aussi contre ceux qui instrumentalisent les blessures. Certains jouent ici avec les ressentiments, s’érigent en porte-voix des quartiers sans jamais agir pour les libérer. Ils enferment les franco-marocains, les réduisent au statut de victimes permanentes. Je refuse cette récupération politicienne. Je l’ai vécu et je la combats.

Ceux qui veulent stigmatiser pour développer leur petit commerce électoraliste m’auront toujours sur leur chemin. J’ai trois enfants et c’est un puissant moteur pour agir et changer les choses ! Mais pour ce faire, j’en appelle aussi à la responsabilité de chacun car, comme citoyens français, si nous avons des droits, nous sommes aussi redevables de devoirs envers notre pays.

-La position de la France sur la question du Sahara marocain est un sujet de débat. Quelle est votre analyse de la position actuelle de la France, et comment envisagez-vous son évolution future, compte tenu des enjeux régionaux et internationaux ?

La France a pris, en été 2024, un tournant diplomatique majeur que je salue avec force et clarté. Dans une lettre adressée à Sa Majesté le Roi Mohammed VI, à l’occasion de la Fête du Trône, le Président de la République a affirmé que « le présent et l’avenir du Sahara s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine ». Il a, également, qualifié le plan d’autonomie proposé par le Maroc en 2007 de « seule base » crédible pour une solution politique. Cette reconnaissance officielle était attendue. Elle vient aligner la position française sur la réalité du terrain, sur l’histoire et sur l’intérêt stratégique des deux nations.

Car il faut le rappeler : le Sahara est marocain. Historiquement, juridiquement, humainement. Cette région a toujours fait partie intégrante de l’identité marocaine, bien avant la colonisation, et le Maroc n’a jamais cessé d’en revendiquer la souveraineté avec constance et responsabilité.

Cette évolution de la position française est aussi une réponse à un contexte géopolitique tendu. Elle réaffirme l’importance du partenariat stratégique entre Paris et Rabat, dans un moment où les équilibres régionaux sont fragiles et où le Maroc demeure un pôle de stabilité, de modération et de coopération dans le monde arabo-musulman comme en Afrique de l’Ouest.

En tant que Vice-présidente de l’Assemblée nationale, je me suis positionnée en faveur de cette reconnaissance, il y a bien longtemps déjà, car elle va dans le sens de l’Histoire, du droit et de la paix. Elle est aussi cohérente avec l’approche de nombreux partenaires européens, qui ont compris que la stabilité du Maghreb passe par une reconnaissance claire de la souveraineté marocaine sur ses provinces du Sud. Je me suis efforcée, à mon niveau, d’en faire la pédagogie auprès des canaux diplomatiques et politiques de mon pays. Je suis satisfaite des conclusions qui en ont été tirées.

L’évolution future, selon moi, doit aller vers la consolidation de cette position, dans les faits comme dans les actes. Cela implique un engagement français plus lisible au sein des instances internationales, notamment à l’ONU et à l’Union européenne, pour soutenir activement le plan d’autonomie comme solution de compromis. Cela suppose aussi d’intensifier les coopérations économiques, sécuritaires et culturelles avec les provinces du Sud, en intégrant pleinement ces territoires à nos partenariats bilatéraux.

Je crois qu’une parole politique forte doit être suivie d’un agenda concret. Et je souhaite que la France, aux côtés de ses partenaires européens, contribue à faire du Sahara un espace de stabilité, de développement et de paix durable, sous souveraineté marocaine.

-Dans le cadre de votre travail à l’Assemblée nationale, quelles actions concrètes pourraient être entreprises pour renforcer le soutien de la France à la position du Maroc sur cette question, et comment envisagez-vous de mobiliser vos collègues parlementaires à cet égard ?

L’Assemblée nationale a un rôle fondamental à jouer dans la consolidation de cette reconnaissance diplomatique. La lettre du Président de la République a donné une orientation claire. Il nous revient, en tant que parlementaires, d’accompagner cette parole politique par des actes, dans une logique de continuité institutionnelle et de coopération stratégique.

Concrètement, cela passe d’abord par un travail de pédagogie auprès de mes collègues. Sur ce sujet, il y a parfois de l’approximation, parfois de l’hésitation, et souvent un manque de connaissance du terrain. Il est de notre responsabilité de rappeler les fondements historiques de la souveraineté marocaine sur le Sahara, les efforts diplomatiques constants déployés par le Royaume, et le caractère crédible, pragmatique et pacifique du plan d’autonomie.

Je souhaite également renforcer le rôle du groupe d’amitié France–Maroc, en l’ouvrant à davantage, pour faire vivre ce lien au-delà des sensibilités partisanes. Nous devons multiplier les missions parlementaires sur place, organiser des auditions, et favoriser des projets de coopération directe entre les collectivités locales françaises et les provinces du Sud marocain. Le prochain Forum parlementaire entre les deux pays, qui pourraient se tenir cette année au Maroc, est une occasion à ne pas rater.

Enfin, je crois à la diplomatie parlementaire active. À travers des résolutions, des échanges interparlementaires, ou des positions assumées dans les forums européens et internationaux, les députés peuvent être des relais puissants. Notre responsabilité est d’ancrer cette reconnaissance dans la durée, et de la traduire en projets, en échanges, en engagements réciproques.

-La France dispose d’un réseau diplomatique étendu. Quels sont les leviers diplomatiques, selon vous, que la France pourrait actionner au niveau européen et international pour soutenir la position du Maroc sur la question du Sahara, et comment l’Assemblée nationale peut-elle contribuer à cet effort ?

La France a une voix qui porte sur la scène internationale. Elle est membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, puissance influente au sein de l’Union européenne, et partenaire stratégique de nombreux pays du Sud. Elle a donc les moyens d’agir et la responsabilité de le faire avec justesse sur un sujet aussi structurant que le Sahara.

Le premier levier est évidemment diplomatique : il s’agit d’inscrire durablement, dans les enceintes multilatérales, la reconnaissance du plan d’autonomie marocain comme seule solution réaliste, pacifique et de compromis. Cela suppose de mobiliser nos partenaires européens pour avancer vers une position commune plus cohérente. Plusieurs États l’ont déjà fait. La France doit être un moteur de ce mouvement.

Le deuxième levier est économique. Soutenir la position du Maroc, c’est aussi accompagner le développement des provinces du Sud, à travers des investissements ciblés, des coopérations décentralisées, des projets conjoints dans les domaines de l’énergie, de l’eau, de la formation, ou de l’innovation. C’est par l’ancrage concret que la reconnaissance politique prend tout son sens.

A mon sens le « partenariat d’exception renforcé » entre nos deux pays est le cadre stratégique incontournable pour aborder ces sujets. La perspective d’une visite d’Etat de Sa Majesté le Roi Mohamed VI en France en 2025, à l’occasion du 70ème anniversaire de la Déclaration de La Celle-Saint-Cloud, offrira l’opportunité historique de concrétiser ces engagements.

Enfin, il y a le levier parlementaire. L’Assemblée nationale, à travers la diplomatie d’influence qu’elle peut mener, a un rôle précieux à jouer. Elle peut tisser des alliances avec d’autres parlements, porter des résolutions symboliques, organiser des déplacements, ou inviter des responsables marocains pour porter une parole commune. Ces gestes, parfois en coulisses, peuvent peser lourd dans l’équilibre international.

Je crois à cette diplomatie de conviction. Dans cette perspective, nous pourrions également accompagner plus ouvertement, à moyen terme, une ambition légitime portée par le Maroc : celle d’obtenir un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies, dans le cadre de la réforme en cours de ses instances.

Le Maroc est, aujourd’hui, l’un des acteurs africains les plus engagés dans les opérations de maintien de la paix, la lutte contre le terrorisme et la médiation diplomatique. Sa voix est écoutée, respectée, et son rôle régional est reconnu. Une telle évolution, soutenue par la France, contribuerait à rééquilibrer la gouvernance mondiale en donnant une représentation plus juste au continent africain, tout en renforçant un axe de stabilité entre l’Europe et l’Afrique.

– La coopération franco-marocaine couvre de nombreux domaines. Quels sont, selon vous, les dossiers prioritaires qui devraient être au cœur de cette coopération, notamment dans les secteurs économique, culturel et sécuritaire, et comment envisagez-vous de contribuer à leur avancement ?

La particularité de la relation entre la France et le Maroc est qu’elle est à la fois ancienne et très actuelle parce qu’elle doit constamment se réinventer pour rester à la hauteur des enjeux du temps présent ! Il y a donc beaucoup de travail en perspective, ce qui est réjouissant.

Sur le plan économique, la priorité est de bâtir des partenariats tournés vers l’innovation, les énergies renouvelables, la souveraineté alimentaire et les filières d’excellence. Le Maroc est aujourd’hui un acteur central du développement du continent africain, et la France a tout intérêt à consolider sa présence à ses côtés, dans une logique d’équilibre et de respect mutuel.

Sur le plan sécuritaire, la coopération est déjà exemplaire, notamment en matière de renseignement et de lutte contre le terrorisme. Mais elle doit s’élargir aux nouveaux fronts que sont la cybersécurité, les réseaux criminels transnationaux, et les politiques migratoires concertées. Dans un monde particulièrement instable, et où les cartes sont rebattues, le Maroc est un partenaire de confiance et de responsabilité.

La culture, enfin, est un levier trop souvent sous-exploité. C’est elle qui façonne les imaginaires, qui crée les passerelles entre les peuples, qui rend la coopération durable. Nous devons renforcer les échanges universitaires, les coproductions artistiques, les traductions, la francophonie vécue et non subie. Il y a ici un espace de diplomatie douce, qui est aussi un espace d’influence.

En tant que Vice-présidente de l’Assemblée nationale, je continuerai à faire vivre ce lien de manière concrète : par le dialogue parlementaire, les groupes d’amitié, les coopérations locales et les projets partagés. Car ce lien ne se décrète pas : il se cultive, dans la fidélité et dans la vérité.

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