Une vision française structurée et ambitieuse
Le rapport Villani articule la stratégie française autour de quatre axes majeurs :
Recherche et formation : 5 300 chercheurs, 268 équipes IA, 81 écoles d’ingénieurs, 138 cours universitaires, 18 mastères spécialisés. Écosystème économique : 270 start-up IA, 80 PME/ETI, croissance annuelle de +30 % depuis 2010. Soutien public massif : 400 millions d’euros par an en recherche IA, création de supercalculateurs, Instituts 3IA. Gouvernance éthique et démocratique : création d’une instance indépendante pour l’éthique de l’IA.
Le Maroc face à ses défis et à ses responsabilités
Le Maroc dispose d’atouts solides : excellence en mathématiques, écosystèmes universitaires dynamiques, appétence entrepreneuriale. Des initiatives comme Maroc Digital 2030 ou IA Maroc montrent une volonté d’inscrire le pays dans la dynamique mondiale. Mais l’écosystème reste fragmenté.
Enjeux à relever :
Structuration nationale encore incomplète (pas d’équivalent des 3IA ou d’instance éthique dédiée). Manque de masse critique en formation spécialisée (masters, doctorats, double cursus…). Investissements limités en R&D et infrastructures. Risque de dépendance technologique vis-à-vis des géants étrangers. Faible implication du secteur privé dans la stratégie nationale IA, alors qu’il devrait jouer un rôle moteur dans le financement, l’expérimentation et la formation.
Au Maroc, cela signifie que le secteur privé doit participer activement à l’effort national pour le développement de l’IA, non seulement en adoptant des technologies, mais en contribuant directement à la formation et à la montée en compétence. Il pourrait être envisagé de réserver un pourcentage symbolique et progressif de la masse salariale des entreprises au soutien d’un fonds national dédié à la formation, à la recherche appliquée et aux projets IA à impact. Cela permettrait à la fois d’impliquer les entreprises et de structurer une économie de la connaissance inclusive et souveraine.
Une IA africaine : enracinée, plurielle, souveraine
Comme souligné dans notre article co-écrit avec Jérôme Ribeiro, l’Afrique ne peut pas se contenter d’adapter des solutions importées. Elle doit inventer sa propre IA, enracinée dans ses langues, ses contextes éducatifs, ses priorités sociales. Il s’agit moins de rattraper que de réorienter. L’IA n’est pas une fin en soi, c’est un levier de dignité augmentée, d’autonomisation, d’inclusion.
Ce que le Maroc (et l’Afrique) peut/doit construire :
Des pôles régionaux d’IA ancrés dans les réalités locales. Une IA multilingue, inclusive, respectueuse des langues nationales (arabe, amazighe, swahili…). Une souveraineté numérique réelle, par la maîtrise des données, des modèles, et des usages. Une gouvernance éthique ouverte, interdisciplinaire, accessible aux citoyens.
Le Maroc et plusieurs pays africains sont d’ailleurs activement engagés dans le programme éthique de l’UNESCO sur l’intelligence artificielle, qui vise à encadrer le développement de l’IA dans le respect des droits humains, de la diversité culturelle et de la justice sociale. Cet engagement multilatéral constitue un socle solide pour construire une IA enracinée dans nos valeurs africaines et universelles.
Contre le risque du colonialisme algorithmique
À défaut de compréhension partagée et de maîtrise locale des enjeux technologiques, le danger est grand de devenir de simples consommateurs d’une IA conçue ailleurs, selon d’autres logiques, sans dialogue ni adaptation.
Il faut :
Former non seulement à utiliser l’IA, mais à la concevoir, la questionner, la modéliser. Déployer l’IA dans des contextes fragiles avec empathie, créativité et justice. Éviter la fracture algorithmique entre ceux qui comprennent et ceux qui subissent.
Nous ne devons pas courir après une IA hors sol — nous devons écrire notre propre récit numérique, fidèle à nos histoires, à nos jeunesses, à notre intelligence collective. C’est à ce prix que l’intelligence artificielle deviendra, pour nous aussi, un instrument de souveraineté, de transmission, et de justice sociale.