Le gouvernement et les partenaires sociaux ont repris le dialogue social, après la bataille acharnée du droit de grève. Un face-à-face qui s’annonce tendu compte tenu des dossiers épineux à l’ordre du jour. Décryptage.
A voir les embrassades et les sourires, on dirait que tout se passe bien entre Aziz Akhannouch et les syndicalistes. Ceux-ci ne veulent guère partir bredouilles et sont venus avec l’intention d’arracher le maximum d’acquis de l’Exécutif, qui voit la liste des revendications s’allonger au fil du temps.
Pour sa part, le Patronat n’est pas prêt à faire la moindre concession aux syndicalistes après avoir avalé la loi sur le droit de grève qui, lâche une source patronale, n’a pas été digérée par plusieurs hauts responsables de la CGEM qui la jugent trop favorable aux salariés. Certains n’ont pas encore oublié “la mascarade” des syndicats récalcitrants qui ont décrété la grève générale qui s’est avérée un échec.
L’Exécutif tiraillé !
Le début du round d’avril s’annonce serein, peut-être n’est-ce que l’accalmie qui précède la tempête ! Tiraillé entre des syndicats coriaces et un Patronat exigeant, l’Exécutif se voit devant une mission ardue : concilier des positions inconciliables sur les nombreux sujets à l’ordre du jour.
En gros, le gouvernement est appelé à parachever la mise en œuvre de l’accord social d’avril 2024 et de faire preuve de volontarisme face au nouveau cahier de doléances. La liste est longue.
Du côté syndical, la barre est placée très haut. La hausse des salaires est à nouveau exigée. L’Union Marocaine du Travail (UMT) et l’Union Générale des Travailleurs du Maroc (UGTM) ont réclamé une nouvelle hausse générale des salaires au moment où le gouvernement n’a pas encore achevé l’application de la revalorisation décidée un an plus tôt. L’accord du 29 avril 2024, rappelons-le, prévoit une hausse générale de 1000 dirhams pour les fonctionnaires, versée en deux tranches de 500 dirhams, la première en juillet 2024 tandis que la deuxième est prévue pour juillet prochain. 1 million de fonctionnaires sont concernés.
Entre-temps, l’UMT demande une nouvelle réforme de l’Impôt sur le revenu sous prétexte que le niveau d’imposition des salariés reste encore élevé malgré la réforme du barème de l’IR dans la Loi des Finances 2025 qui a exonéré tous les salaires en dessous de 6000 dirhams avec des marges importantes de 175 à 400 dirhams en fonction des tranches pour le reste salariés. Pourtant, ce n’est pas assez aux yeux des syndicats qui arguent de la cherté de la vie et de l’inflation persistante pour exiger un nouveau coup de pouce au pouvoir d’achat. La CDT, pour sa part, insiste sur l’importance de niveler le salaire minimum entre les secteurs agricole et industriel. Pour l’instant, le gouvernement juge qu’il a tenu ses engagements en augmentant de 10% le SMAG et le SMIG.
Aussi, l’Exécutif est prié d’engager les dialogues sectoriels au moment où plusieurs catégories perdent patience, à l’instar des collectivités territoriales, l’Éducation nationale, le corps de l’Inspection du Travail, la Santé… Là, le ministre de tutelle, Younes Sekkouri, a tenté de rassurer les syndicats à l’issue des pourparlers en promettant, dans une déclaration à la presse, des solutions rapides.
Face au gouvernement, les syndicats ont quasi unanimement plaidé pour le respect des libertés syndicales au moment où la loi relative à l’organisation des syndicats n’a pas encore vu le jour, étant sans cesse reportée. Le Secrétaire Général de l’UGTM, Enaam Mayara, estime qu’il est temps de la déterrer.
Retraites, la discussion tant redoutée !
S’il y a un sujet qui risque de dégénérer en pomme de discorde, ce serait la réforme des retraites que le gouvernement tente de reporter le maximum possible. À un an et demi de la fin de son mandat, l’Exécutif se voit finalement obligé d’ouvrir ce vieux marronnier tel que prévu dans l’accord du 29 avril 2024. Aziz Akhannouch s’est permis de s’affranchir à maintes reprises du calendrier initial pour gagner du temps. En principe, la réforme était censée être négociée et votée au Parlement avant la fin de 2024. Nous y sommes toujours, tellement la réforme est difficile à aborder avec les partenaires sociaux.
Des choix cornéliens
Jusqu’à présent, le gouvernement n’a présenté aucun plan formel. Younes Sekkouri a expliqué qu’il n’existe sur la table qu’une méthodologie de travail. Pour autant, cette méthodologie n’a pas été rigoureusement suivie du moment que la commission mixte chargée de canaliser les discussions avec les partenaires sociaux ne s’est pas réunie depuis deux ans. Maintenant, l’Exécutif s’engage à la ressusciter, après avoir différé sans cesse ce dossier ultra-sensible. Force est de reconnaître que les syndicats ne sont pas disposés à accepter les sacrifices que propose le gouvernement. Bien qu’il n’y ait pas de diagnostic définitif sur l’état des caisses de retraite. Sauf l’étude d’un Cabinet de Conseil dévoilée en 2022, tout laisse croire que la réforme serait difficile pour les salariés d’autant plus qu’on parle d’un très probable relèvement de l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans. Ce que les syndicats rejettent catégoriquement. Pour ces derniers, il est hors de question de sauver le système de la faillite sur le dos des salariés. De son côté, l’UGTM s’est montrée, par le passé, plus flexible, tout en ayant toujours des réserves. Enaam Mayara avait, en 2023, dit qu’il serait ouvert au dialogue à condition d’introduire des critères de pénibilité qui permettent à plusieurs métiers difficiles de partir plus tôt.
En gros, tout reste à refaire. L’idée de départ n’a guère rassemblé. La recette proposée consiste à revoir le système de fond en comble pour en faire un système unique à deux pôles (privé et public) avec un régime complémentaire obligatoire. Reste maintenant à savoir si les cotisations salariales et patronales seront augmentées. L’incertitude plane sur les pensions que les syndicats veulent revaloriser considérablement, surtout dans le secteur privé où le niveau des pensions est largement inférieur par rapport au public.
La hausse des cotisations est-elle inévitable ?
A-t-on la garantie que le système unique à deux pôles permet la durabilité des caisses ?
Le Patronat avait jugé à l’époque qu’il fallait caresser dans le sens du poil pour sortir cette loi tant attendue. Maintenant, les yeux sont fixés sur la réforme du Code du Travail. A en croire les premières indiscrétions que «L’Opinion» a recueillies, la CGEM ne veut rien céder sur ce dossier érigé désormais en priorité. C’est, d’ailleurs, le premier sujet évoqué par le patron des patrons, Chakib Alj, à sa sortie de la réunion avec le gouvernement. “Notre vision c’est un Code de Travail équilibré qui va permettre aux entreprises d’employer beaucoup plus et aussi d’avoir une productivité, compte tenu de la concurrence mondiale”, a-t-il déclaré, ajoutant qu’il reste “des choses à faire pour parfaire tout l’écosystème et créer plus d’emplois”.
Cette déclaration n’est qu’un euphémisme par rapport à ce que pense réellement le staff de la CGEM, au-delà du langage politique. Pour ne pas tourner autour du pot, lequel réclame une flexibilisation du Code de Travail pour que, pense-t-il, les entreprises gagnent en compétitivité. Mais cette vision risque d’être perçue par les syndicats comme une volonté de précarisation du salariat et une facilitation du licenciement au sein des entreprises.
En gros, le Patronat veut adapter le Code du Travail, qui est resté rigide depuis 2004, à l’ère numérique. Les questions en suspens sont à l’ordre du jour, telles que les contrats d’intérim dont le Patronat veut augmenter la durée. D’autres points devraient être au cœur des discussions comme les CDD, les conditions de licenciement, le télétravail… Le ministre de tutelle, Younes Sekkroui, a d’ores et déjà entamé les pourparlers, les négociations sérieuses ne font que commencer.
En plus des failles financières liées à plusieurs facteurs, dont le chômage et le vieillissement de la population, le système actuel accuse plusieurs lacunes dont un décalage flagrant entre le secteur privé et le secteur public. Il en résulte un fossé abyssal qui sépare les deux secteurs.