À mesure que l’intelligence artificielle générative transforme le monde du travail, une inquiétude majeure émerge : celle d’une génération Z désabusée, diplômée mais déclassée, qui remet en question l’utilité même de son parcours universitaire. Nés entre 1997 et 2012, ces jeunes adultes entrent dans la vie active avec une lucidité brutale : leurs compétences sont souvent dépassées dès leur obtention du diplôme. Ils dénoncent une formation coûteuse, longue, déconnectée des réalités professionnelles, et perçoivent l’IA comme une force de remplacement plutôt que comme un levier d’émancipation. Le sentiment d’inadéquation est profond, amplifié par des statistiques préoccupantes.
49 % des demandeurs d’emploi de la génération Z estiment que leurs diplômes sont déjà obsolètes à cause de l’IA (Indeed, 2025) 37 % des employeurs préfèrent embaucher une IA plutôt qu’un jeune diplômé (Hult Business School, 2025) 94 % des jeunes diplômés regrettent leur diplôme universitaire ; 43 % se sentent condamnés à l’échec 77 % déclarent avoir appris davantage en 6 mois de travail qu’en 4 ans d’études 47 % des jeunes affirment que les conseils de carrière de ChatGPT sont meilleurs que ceux de leur manager 44 % considèrent que l’école ne leur a pas transmis les compétences nécessaires au monde numérique (Dell Technologies, 2023)
Face à cela, deux attentes émergent clairement : maîtriser l’IA – comprendre ses usages, ses limites, ses risques, et l’intégrer à la pratique professionnelle ; et cultiver les compétences humaines – jugement, créativité, empathie, collaboration. Car ce sont précisément ces aptitudes que l’IA ne remplace pas. Les jeunes ne rejettent pas l’apprentissage, ils rejettent l’inadéquation. Leur désillusion est un signal fort : il faut réconcilier l’éducation avec les mutations profondes du travail.
Il devient impératif de réformer les contenus pour y intégrer les fondamentaux numériques et les usages de l’IA dès le secondaire ; d’adapter la pédagogie autour de la résolution de problèmes, l’apprentissage expérientiel, la simulation augmentée ; de créer des passerelles agiles entre écoles, entreprises, startups et acteurs technologiques pour garantir une formation contextualisée ; et de redonner du sens à l’éducation en valorisant les dimensions sociales, éthiques et stratégiques du savoir, au-delà de sa seule valeur instrumentale.
L’IA ne rend pas les jeunes inutiles, elle rend l’ancien système inopérant. L’enjeu n’est pas d’opposer la technologie à l’humain, mais de refonder un pacte éducatif adapté à l’époque. La génération Z n’est ni perdue ni inadaptée : elle est lucide. Elle attend qu’on lui propose une vision, une pédagogie et des outils à la hauteur des défis qu’elle perçoit déjà.
Comme je l’ai développé dans mon article « Diriger sans apprendre, apprendre sans école ? L’IA générative bouscule les fondements des écoles de management », il ne s’agit plus de transmettre un savoir figé, mais de développer une compétence transversale, ancrée dans le réel, capable de naviguer dans des contextes mouvants. Ce que l’IA ne remplace pas, ce sont le jugement, la nuance, l’intelligence relationnelle, la capacité à inspirer.
Nous devons donc repenser en profondeur la pédagogie : créer des environnements d’apprentissage simulés et augmentés, favoriser l’expérimentation, le mentorat croisé, et intégrer l’IA non pas comme un outil en plus, mais comme une trame invisible de tous les apprentissages. Ce chantier concerne tous les acteurs : universités, entreprises, décideurs publics. Il appelle à une action collective ambitieuse, une nouvelle alliance entre technologie, humanité et responsabilité. Répondre au désarroi de la génération Z, c’est aussi lui redonner confiance en l’avenir – non pas en lui promettant de l’adapter au monde, mais en lui donnant les moyens d’en devenir acteur.