Le blackout qui a frappé l’Espagne, le Portugal et certaines régions du Sud-Ouest de la France a suscité l’inquiétude de nombreux Marocains, qui s’interrogent sur la capacité du Royaume à gérer une telle crise. Fort d’une architecture électrique robuste, tant au niveau du réseau de transport que des capacités de production de secours, le Maroc semble relativement à l’abri. Mais la vigilance reste de mise. Décryptage.
À 12h33 précises, sans le moindre signe avant-coureur, la tension chute brutalement dans le réseau électrique espagnol. En l’espace de cinq secondes à peine, ce sont près de 15 gigawatts qui s’évaporent, soit l’équivalent de plus de la moitié de la consommation nationale, provoquant une cascade de déconnexions automatiques. Très vite, l’interconnexion avec le réseau français cède, et les systèmes de sécurité déclenchent des coupures préventives sur tout le territoire pour éviter un effondrement total. Le Portugal, fortement dépendant de l’Espagne pour ses échanges énergétiques, est lui aussi entraîné dans la tourmente.
Dans les villes, la scène rappelle les grands thrillers américains, avec des métros qui s’arrêtent brusquement à Lisbonne, des feux de circulation qui cessent de fonctionner à Madrid, et des terminaux bancaires hors service dans tout l’Alentejo. Dans certains hôpitaux, le personnel médical passe en mode urgence, le ronronnement sourd des générateurs de secours devenant le seul rempart contre une interruption dramatique des soins. Dans les gares, les voyageurs restent bloqués, sans information. À Perpignan, dans le Sud de la France, les habitants voient leurs appareils s’éteindre, témoins indirects d’un événement pourtant centré au Sud des Pyrénées. C’est dire que pendant plusieurs heures, les habitants des trois pays ont vécu dans le chaos.
Intervention marocaine à point nommé
Dans ce contexte chaotique, le Maroc a joué un rôle central dans l’atténuation de l’une des plus graves pannes d’électricité de l’Histoire récente de l’Espagne. Dans un geste illustrant la profondeur de la coopération énergétique entre les deux rives de la Méditerranée et grâce à l’interconnexion électrique entre les deux pays, opérationnelle depuis plusieurs années, Rabat a pu apporter une aide précieuse à son voisin du Nord. L’interconnexion électrique entre les deux pays, connue sous le nom de projet REMO, a permis le rétablissement progressif de la stabilité du réseau espagnol. Grâce à cette liaison d’une capacité d’échange de 1.400 mégawatts, l’Espagne a pu immédiatement importer de l’électricité en provenance du Maroc, ce qui a considérablement accéléré la reprise du service, apprend-on de source autorisée. Les autorités espagnoles se sont appuyées à la fois sur les flux d’électricité en provenance du Maroc et de la France pour compenser le déficit soudain. Cette synergie énergétique a permis de rétablir le courant dans une grande partie du territoire espagnol en seulement quelques heures, entraînant un effet papillon en Portugal et en France. Des propos confirmés par le Premier ministre espagnol, Pedro Sánchez, qui a salué la réactivité de Rabat et Paris, notant que les centrales à gaz et hydroélectriques avaient été réactivées à l’échelle nationale, permettant un retour tous azimuts à la normale.
Et si le Maroc vivait le même scénario ?
Au Maroc, dès les premières heures du blackout, certains opérateurs ont connu des interruptions sur leurs réseaux mobiles et Internet, et plusieurs aéroports ont signalé des perturbations, notamment dans les systèmes d’enregistrement et de délivrance des cartes d’embarquement, faisant planer l’inquiétude chez de nombreux citoyens. Si les départements chargés du secteur n’ont pas réagi pour calmer les esprits, Amine Bennouna, expert en énergie et en infrastructures électriques, rassure que le réseau national n’est synchronisé ni avec le réseau espagnol ni avec celui européen. «Le moyen d’interconnexion n’étant pas synchrone, le risque de contagion était pour ainsi dire nul», a-t-il indiqué. Le lien électrique entre les deux rives du détroit de Gibraltar repose sur une technologie de conversion à courant continu. À chaque extrémité, des redresseurs et des onduleurs transforment l’électricité pour l’adapter au réseau local, un peu comme un filtre de sécurité qui bloque tout incident. En cas de perturbation côté européen, ce système agit comme un coupe-circuit, empêchant toute contamination.
Mais si un tel blackout survenait au Maroc, sans possibilité d’importer depuis l’Espagne, «la première étape de redémarrage est de disposer de courant pour alimenter les centrales thermiques», simplifie pour nous Driss Benhima, ancien DG de l’Office National de l’Électricité (ONEE). Une procédure de secours est prévue à cet effet, avec un petit groupe électrogène manuel situé à Bin El-Ouidane. Celui-ci permet d’activer un générateur plus puissant, nécessaire pour mettre en route les vannes hydrauliques et les systèmes d’excitation des turbines. Une fois le flux d’eau libéré, l’électricité produite peut suffire à redémarrer une première centrale thermique. Ce processus de réalimentation progressive du pays peut prendre environ deux heures, à condition que les chaudières des centrales à charbon soient encore chaudes. Sinon, un démarrage «à froid» pourrait s’étaler sur une douzaine d’heures, avertit Benhima.
Cela dit, sur le plan structurel, le Maroc reste moins exposé aux effets domino que les pays européens, très dépendants d’un vaste réseau électrique interconnecté. Le Royaume maintient en grande partie son équilibre production/consommation en interne. Toutefois, dans un scénario de panne majeure, certaines zones comme Casablanca, Rabat ou Tanger, très urbanisées et dépendantes des TIC, pourraient être plus vulnérables.
Existe-t-il des scénarios de crise ou des tests de simulation à l’échelle nationale ?
Y a-t-il une stratégie nationale pour garantir l’autonomie énergétique des infrastructures vitales (hôpitaux, aéroports, data centers, etc.) ?