Procédure pénale : Les questions qui fâchent les avocats et qui menacent la réforme ! [INTÉGRAL]

Bien qu’ayant renforcé le droit de la défense, la réforme de la Procédure pénale continue de courroucer les avocats qui la jugent loin d’être à la mesure requise. Paradoxe ou crainte justifiée ? Décryptage.

C’est une véritable besogne que se voient confier les députés de la commission de la Justice à la Chambre des Représentants. Ceux-ci tâchent tant bien que mal de se taper les 330 pages de la réforme du Code de procédure pénale.  Un texte d’une extrême complexité et tellement important qu’il scellera le sort de toute personne qui aura affaire avec la Justice pénale dans les prétoires. Au fur et à mesure que les discussions avancent, le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, redécouvre le goût des plaidoiries, un exercice cher auquel il a dû renoncer après son aventure gouvernementale.
 
Les députés appelés à trancher
 
Jusqu’à présent, le ministre tente de faire passer son texte, dont il est convaincu du bien-fondé. Maintenant, les députés s’apprêtent à déposer leurs amendements. La séance est prévue ce mercredi.
 
Entre-temps, les avocats, notamment ceux de l’Association des Barreaux du Maroc, passent leur temps à plaider leur “contre-réforme”. Certains parmi eux estiment que le texte actuel est une aberration, d’autres y voient un tournant autoritaire, ce qui peut paraître paradoxal pour les non-initiés, vu que la réforme est censée assouplir la procédure pénale et humaniser la Justice. Enregistrement des interrogatoires, réduction du recours à la détention préventive, introduction de la médiation… Autant de nouveautés censées réjouir les avocats.  Or, il n’en est rien.
 
Le diable se cache dans les détails
 
Plantons le décor. La procédure pénale commence dès que l’on franchit le perron d’un commissariat et s’achève au verdict. La réforme, comme l’indique son préambule, est une garantie supplémentaire pour le procès équitable. Les avocats contestent cette aspiration sous prétexte que le texte ne promeut pas assez le droit de la défense, à commencer par la garde à vue, dont le régime a subi des changements substantiels. 
 
Les poids lourds de l’Association des Barreaux du Maroc (ABAM), qui se sont succédé au Parlement, trouvent que le projet de loi est truffé d’obstacles. Ils ne comprennent pas pourquoi l’avocat a toujours besoin de l’autorisation du Parquet pour contacter son client.
 
La réforme autorise l’intervention de l’avocat dès la première heure sous réserve de différer son arrivée à la demande du Parquet. Une disposition qui ne passe pas aux yeux des robes noires qui revendiquent qu’elles soient autorisées à intervenir immédiatement après l’arrestation du suspect, sans restriction. Le fait que la durée de la visite soit limitée à 30 minutes n’est pas aussi compris. Idem pour l’interrogatoire de Police, auquel l’avocat ne peut assister sauf s’il s’agit d’un mineur ou d’une personne en situation de handicap.
 
C’est une atteinte au droit de la défense, aux yeux de l’ancien Bâtonnier Abderrahim Jamaï. Dans un mémorandum consulté par «L’Opinion», cet avocat, considéré comme un des ténors du barreau, estime que l’avocat doit assister son client tout au long de l’enquête préliminaire, y compris la garde à vue, qui, selon lui, doit être entièrement filmée. Ce qui n’est pas le cas dans le projet de loi qui ne permet d’enregistrer que la lecture et la signature du procès-verbal pour les infractions passibles de plus de 5 ans de réclusion. “C’est une restriction qui réduit la portée probatoire de l’enregistrement et fragilise les garanties procédurales”, déplore Rabii Chekkouri, avocat au barreau de Rabat, convaincu qu’un enregistrement intégral de la garde à vue renforcerait la transparence.
 
Dans la tête de Ouahbi
 
Lorsqu’il a été interrogé à ce sujet pendant la discussion de la procédure pénale en commission, le ministre de la Justice, Abdellatif Ouahbi, a argué de contraintes procédurales, estimant qu’il est pratiquement ardu d’enregistrer l’entièreté de la garde à vue. Dans son raisonnement, il faut faire preuve d’un minimum de bonne foi à l’égard des officiers de police.
 
Ça ne suffit pas, rétorquent les robes noires, pour protéger le suspect contre le risque des aveux forcés. “Le suspect risque d’être déjà cuisiné”, lâche avec ironie un avocat qui requiert l’anonymat.
 
De son côté, Abderrahim Jamaï juge qu’il est du droit de l’avocat d’assister son client pendant les interrogatoires et regrette qu’il n’ait pas le droit de consulter les procès-verbaux avant leur signature. L’avocat appelle aussi à ce que la défense puisse avoir accès aux éléments du dossier pendant l’enquête préliminaire avant la comparution devant le Juge d’instruction. Là, l’ancien bâtonnier pense que l’avocat peut apporter les éléments probants pendant l’enquête préliminaire s’il a, par exemple, le droit de convoquer un témoin, à l’instar de ce qui se fait dans d’autres pays.
 
Sur ce point, le Conseil National des Droits de l’Homme a tranché en faveur des avocats sans valider tout leur réquisitoire. Dans son avis sur la procédure pénale, le CNDH a appelé à généraliser l’enregistrement audiovisuel à l’ensemble des infractions avec la possibilité pour l’avocat d’avoir une copie des enregistrements.
 
Par ailleurs, Me Jamaï s’indigne également que l’avocat soit privé d’accès au dossier même après le début de l’instruction judiciaire. En fait, l’article 139 n’oblige pas le Juge d’instruction à transmettre les éléments du dossier, y compris le PV de police, à l’avocat de la défense pendant les 15 jours suivant le début de ses auditions. 
 
En gros, les avocats revendiquent que la défense soit pleinement associée à toutes les étapes de l’enquête, de l’arrestation jusqu’à la fin de l’instruction judiciaire, pour pouvoir peser face à l’accusation publique.
 
En réalité, ils cherchent plus d’instruments pour contrer la version de la police judiciaire qui pèse lourd dans les procès, parfois au détriment du prévenu.
 
PV de la police judiciaire : Toujours la vérité incontestable ?
 
Là, la question des pièces à conviction revient au cœur des controverses. Les avocats se plaignent depuis longtemps de la primauté des procès-verbaux de la Police judiciaire qui, regrettent-ils, demeurent “La vérité” pour la Justice. On a beau apporter les preuves qu’on veut, le juge reste toujours les yeux rivés sur le PV initial”, lâche-t-on du côté de l’ABAM. Omar Benjelloun, avocat au Barreau de Rabat, résume cette inquiétude. “Plus de 90% des affaires sont jugées sur la base d’un PV de police qui demeure incontestable pour la Justice”, a-t-il expliqué au micro de Medi1. 
 
Cela dit, le PV est perçu par les avocats comme la fin de l’histoire puisque ça détermine le sort du prévenu.  L’article 290 du texte de la réforme contient un changement sémantique inquiétant à leurs yeux. Actuellement, les PV de police font foi jusqu’à preuve du contraire. Le texte en fait un constat sur lequel il faut s’adosser impérativement. C’est en tout cas ce qu’en retiennent les robes noires, qui veulent, au contraire, mettre les PV au même niveau que les autres éléments de preuve.
 
Une autre nouveauté terrifie les avocats. Les «khalifas» (vice-caïds) auront le statut de police judiciaire, ce qui fait que leurs constats auront l’autorité d’un procès-verbal. Omar Benjelloun redoute que les PV ne soient pas attaquables devant la justice.
 
Le Juge d’instruction rapetissé ?
 
Outre cela, la phase de l’instruction judiciaire, telle que conçue par la réforme, ne fait pas aussi l’unanimité. Le recours au juge d’instruction est désormais facultatif dans les affaires criminelles, en vertu de l’article 83. Cela dit, on peut passer de la garde à vue au procès sans enquête judiciaire en se contentant de l’enquête policière. Les avocats, notamment Me Jamaï, trouvent que c’est un cadeau supplémentaire au Parquet alors que la tutelle y voit une façon d’accélérer la justice. Ce dont convient le Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE).
 
En vérité, la tutelle a réduit le recours au juge d’instruction par manque de magistrats. Un vrai défi qui pèse lourd sur l’appareil judiciaire depuis très longtemps. Le Royaume, rappelons-le, ne compte que 4190 magistrats, dont 1087 procureurs. Ce sous-effectif empêche l’institution du juge de la liberté et de la détention que les avocats revendiquent afin de mieux maîtriser la détention préventive. Un vœu pieux pour l’instant. Abdellatif Ouahbi, bien qu’il juge ce débat salutaire, estime avoir donné assez de garanties aux avocats pour contester la détention provisoire.
 
 
1500
 

Trois questions à Rabii Chekkouri : “ La durée de la garde à vue compte moins que les garanties réelle d’une enquête loyale ”
De nombreux avocats plaident pour que la garde à vue ne dépasse pas 24 heures sans prolongation. Quel est le plafond souhaitable ?

 

La question de la durée de la garde à vue reste un point de discussion central dans les milieux juridiques. De nombreux avocats estiment que 24 heures devraient constituer un plafond raisonnable sans prolongation, sauf nécessité exceptionnelle. Leur position s’appuie sur le principe que la privation de liberté, même brève, doit rester strictement encadrée, proportionnée et justifiée par des nécessités concrètes de l’enquête. D’autres praticiens rappellent cependant que la complexité de certaines affaires, notamment en matière criminelle ou de criminalité organisée, peut exiger des délais plus étendus, dès lors qu’elles restent encadrées par le parquet et soumises à son contrôle.
 
Dans tous les cas, la question ne se résume pas à une durée, mais à un équilibre : garantir les droits fondamentaux tout en permettant à l’enquête de se dérouler dans des conditions loyales. Cet équilibre repose moins sur la durée que sur les garanties effectives d’un encadrement rigoureux, notamment d’une assistance effective de l’avocat et, de plus en plus, d’une traçabilité fiable des auditions.
 

Concernant les preuves d’innocence, doivent-elles être prises en compte dans le dossier, nonobstant la façon dont elles sont obtenues ?

 

La preuve de la culpabilité repose exclusivement sur l’autorité de poursuite, qu’il s’agisse du parquet ou du juge d’instruction. La personne poursuivie n’a pas à démontrer son innocence. Ce principe découle directement de la présomption d’innocence, qui impose que toute incertitude bénéficie à l’accusé. Dès lors, lorsqu’une preuve tend à établir l’innocence, elle doit être examinée avec rigueur, même si elle a été obtenue de manière irrégulière. Refuser de l’intégrer au débat judiciaire reviendrait à fragiliser les droits de la défense et à fausser l’équilibre du procès pénal.
 

Faut-il que le Ministère Public soit habilité à demander au juges de requalifier le crime en délit tel que prévu dans l’article 49 ?

 

L’article 49 du projet de réforme du Code de procédure pénale propose d’autoriser le Ministère Public à demander aux juges de requalifier certains crimes en délits. Cela renvoie à une technique appelée correctionnalisation. La correctionnalisation consiste à transformer une infraction criminelle en une infraction délictuelle, par exemple en supprimant une circonstance aggravante ou un élément matériel, pour que l’affaire soit jugée par le tribunal de première instance, au lieu de la Chambre criminelle près la Cour d’appel. Cette technique peut avoir des avantages : désengorger les Chambres criminelles, accélérer le traitement des dossiers, et garantir des procès plus simples et plus rapides pour certaines affaires. Mais elle pose un vrai problème d’équité. En effet, cette pratique n’est pas uniforme. Dans une juridiction, un accusé peut bénéficier d’une correctionnalisation, alors que dans une autre, une personne poursuivie pour des faits similaires sera renvoyée devant la Chambre criminelle. Cela crée une inégalité devant la Justice, en contradiction avec le principe d’égalité des justiciables. Il est certain que cette pratique peut améliorer le fonctionnement des juridictions. Mais elle doit être strictement encadrée, exceptionnelle, et toujours contrôlée par le juge du siège, seul garant de la bonne qualification des faits. À défaut, elle risque de transformer un outil de souplesse en source d’injustice.
 

Communication : Un apanage du Parquet ou une garantie de transparence ?
Pour la première fois au Maroc, il sera possible aux autorités judiciaires de communiquer sur les affaires judiciaires au grand public tel que prévu par l’article 15. Le Parquet peut désormais dévoiler les tenants et aboutissants d’une affaire par la voie d’un porte-parole désigné à cet effet. De quoi inquiéter les avocats qui craignent que cette disposition leur ôte le droit de parler publiquement. Certains parlent même d’un monopole de parole accordé au Ministère Public. Ce qui n’est pas encore le cas. Le ministre de la Justice a tenu à nuancer ce débat lors d’une interview précédemment accordée à «L’Opinion». “Le droit de communication accordé au Ministère Public ne cherche pas à limiter ou à restreindre la défense”, a-t-il assuré, rappelant que le fait de conférer au Ministère Public le droit de communiquer va dans le sens de renforcer la transparence et la crédibilité de la Justice. En gros, le Parquet a été doté du pouvoir de la parole pour limiter le risque des rumeurs et des fake-news.
 
Ceci n’empêche que la défense ou les autres parties concernées peuvent s’exprimer librement et faire valoir leurs positions. “Nous reconnaissons pleinement le rôle crucial de la défense dans l’explication des positions des accusés et dans la réponse aux accusations portées contre eux”, a insisté le ministre. 
 

À propos

Check Also

CAN (f) futsal Maroc 25 : Motsepe présidera la Finale de ce soir

Le président de la CAF préside ce soir la finale de la CAN (f) futsal …

Laisser un commentaire