Le Maroc a su gagner la confiance des Etats du Sahel, après un long parcours de rapprochement. Une alliance qui n’a rien à voir avec les rivalités régionales. Décryptage.
Depuis l’audience Royale, les analyses fusent de toutes parts pour tenter d’élucider le mystère de cette symbiose entre Rabat et les trois mousquetaires du Sahel. «Les politiques, c’est comme les récoltes, il leur faut leur temps», disait feu Hassan II à un journaliste français au début des années 90. Une maxime que le Royaume applique à la lettre avec ses partenaires sahéliens qui lui font confiance. On s’en est aperçu lors de l’épisode des otages français que le régime burkinabè a libérés, en décembre dernier, grâce à l’entremise du Souverain.
Ce rapprochement est le fruit d’une vingtaine d’années de dialogue et de partenariat et s’est même raffermi davantage après l’arrivée des nouveaux régimes militaires en 2021 sur fond d’une convergence de vues sur l’avenir de la région. En pleine transition, les pays du Sahel sont en quête de nouveaux partenaires après avoir consommé définitivement leur divorce avec la France et rompu à la fois avec l’Algérie et la CEDEAO.
De Bamako à Niamey, en passant par Ouagadougou, le Maroc trouve grâce aux yeux des jeunes militaires au pouvoir. Le Royaume fait figure de partenaire crédible, digne de confiance qui leur propose des perspectives prometteuses. L’accès à l’Atlantique en est le parfait exemple. Les trois pays convoitent ce fameux corridor maritime qui servira à la fois de moyen de désenclavement et de débouché commercial. “Il ne s’agit ni d’un rapprochement de circonstance ni d’une alliance durable, mais d’une initiative inclusive qui, dans une vision stratégique à moyen et long termes, est articulée autour de l’intégration régionale et du développement partagé”, explique Abdessalam Saâd Jaldi, spécialiste des Relations internationales au Policy Center for the New South, rappelant que le plan Royal vise à transformer la façade atlantique africaine en un espace de prospérité collective, en donnant aux pays sahéliens enclavés un accès à l’économie mondiale via les ports de Dakhla, Tanger Med et Casablanca.
“Contrairement aux alliances conjoncturelles ou à visée géopolitique, cette initiative promeut une coopération mutuellement bénéfique où chaque acteur trouve un intérêt concret, sans hiérarchie ni domination”, poursuit notre interlocuteur. Selon lui, cette entente cordiale a vocation de stabiliser la région, minée par des années d’instabilité chronique et la succession infinie des mutineries.
Cette symbiose n’est pas fortuite. C’est le fruit d’une politique mûrement réfléchie et, surtout, d’une perception pragmatique de la mutation de l’Afrique. Le Royaume a pertinemment compris que les pays du Sahel cherchent des alliés, des partenaires et non des tuteurs. Après avoir chassé les Français et tourné résolument la page des tutelles étrangères, les trois pays aspirent plus que jamais à être traités en pays souverains.
Ils ont également apprécié l’attitude du Royaume, qui s’est tenu à l’écart des postures moralisatrices après les changements de régime, par respect à leur souveraineté. Le Maroc, à l’inverse de l’Europe et des pays encore prisonniers d’une vision archaïque de l’Afrique, a su parler aux Etats sahéliens et reconnaître leur soif d’être traités d’égal à égal. Le contraire de ce que fait l’Algérie, qui s’est fait éjecter de la région justement parce qu’elle se comportait comme en territoire conquis. Les généraux à Alger ont de tout temps cru que c’était leur “back yard”, un jugement qui leur a finalement coûté cher.
Pourtant, certains analystes étrangers ne peuvent s’empêcher de faire un lien avec l’Algérie, contre laquelle serait dirigée cette alliance en pleine gestation. La tentation est si forte ! Dès qu’il s’agit du Sahel, on ne peut, hélas, plus raisonner au-delà de la rivalité maroco-algérienne comme si ce rapprochement n’a d’autre dessein que d’isoler l’Algérie. Alors qu’elle l’est déjà.
Le régime algérien s’est isolé lui-même en se fâchant bêtement avec les trois pays avec qui le contact est rompu depuis le rappel des ambassadeurs suite à l’incident du drone malien abattu, en avril dernier, par l’Armée algérienne près de la frontière.
Ce ne fut que la goutte qui a débordé le vase pour Bamako qui se plaignait depuis longtemps de l’ingérence de l’Algérie, accusée de complicité avec les séparatistes touaregs. Par solidarité, Niamey et Ouagadougou ont coupé les liens. Alger erre dans son propre voisinage.
Les Algériens subissent donc le même sort que les Français qui, chose étrange, se sont vus reprocher la même attitude “paternaliste” que les pays africains révulsent plus que jamais. Le régime algérien considérait le Sahel comme une chasse gardée. C’est pour cela qu’il s’est fait chasser. Le Maroc n’y est pour rien.
“Le Maroc n’a pas conçu l’initiative atlantique dans le but d’isoler l’Algérie au Sahel”, tranche Abdesslam Saâd Jaldi. “Le problème d’Alger réside dans le fait qu’il ne dispose pas des moyens nécessaires pour concrétiser ses ambitions économiques au Sahel et en Afrique subsaharienne”, souligne l’expert, qui pense que les principaux projets africains portés par Alger, notamment les zones franches et le gazoduc avec le Nigeria, manquent de vision stratégique.
L’échec de la stratégie algérienne a échoué parce qu’elle n’avait d’autre but que de contrecarrer le Maroc. Selon M. Jaldi, l’Algérie n’a pas les moyens de ses ambitions. Son gazoduc transsaharien est freiné par des faiblesses structurelles puisqu’il vise principalement à approvisionner l’Europe, alors que le gazoduc Maroc-Nigeria ambitionne d’intégrer tous les pays d’Afrique de l’Ouest.
Aussi, poursuit M. Jaldi, l’économie algérienne est si centralisée qu’elle rend quasiment impossible l’implantation des entrepreneurs algériens hors de leur territoire. “D’autre part, les entreprises algériennes qui souhaitent s’implanter à l’étranger doivent d’abord obtenir l’accord de la Banque d’Algérie, détentrice exclusive des devises entrant dans le pays. Or, cet assentiment est rarement accordé, la Banque centrale n’autorisant les sorties de devises que pour financer des importations jugées indispensables”, poursuit notre interlocuteur.
Le Maroc joue pleinement la carte de son soft power, d’autant plus qu’il reste un investisseur majeur dans les trois pays du Sahel dans les secteurs de la banque, la télécommunication, le BTP, les engrais, l’agroalimentaire et l’énergie. Avec 800 millions de dollars, le Royaume demeure le premier investisseur africain en Afrique subsaharienne, notamment à l’Ouest. Résultat d’une diplomatie économique déployée discrètement depuis plus de 25 ans.
Quelles seraient les implications de ce rapprochement dans la région ?
La crise des relations algéro-nigériennes risque-t-elle de compromettre le projet du gazoduc transsaharien ?