Agriculture : Ces ravageurs qui grignotent notre souveraineté alimentaire [INTÉGRAL]

Les pertes causées par les ravageurs pèsent sur les rendements et les revenus agricoles. Le Maroc engage des efforts pour les contenir durablement.

Depuis juin 2017, et à l’initiative d’une association chinoise, le monde célèbre la Journée mondiale des ravageurs avec pour objectif de sensibiliser à l’importance de la lutte antiparasitaire et à ses avantages pour la santé publique, l’agriculture et l’environnement. Si parmi les ravageurs se trouve un certain nombre de vertébrés (rongeurs en tête de liste), les espèces principales qui appartiennent à cette catégorie sont des insectes qui causent des dégâts aux cultures. Au Maroc, les ravageurs agricoles continuent de menacer la production, malgré les efforts de lutte déployés. Parmi les plus redoutables figure la fameuse Tuta absoluta, mineuse de la tomate et hantise des producteurs. A elle seule, cette espèce peut entraîner des pertes allant jusqu’à 35% des récoltes. Originaire d’Amérique du Sud, cette chenille a également fini par développer une résistance à plusieurs insecticides, rendant sa gestion plus complexe. 
 
Méthodes intégrées
Pour faire face à ces menaces, le Maroc mise de plus en plus sur des méthodes dites « intégrées ». Cette approche combine plusieurs techniques : piégeage, surveillance, rotations culturales et usage ciblé de traitements. Une méthode qui ambitionne de mettre en œuvre des actions qui ciblent chaque maillon du cercle vicieux qui est à l’origine de la prolifération des ravageurs et des dégâts importants qu’ils peuvent ainsi causer à l’économie et aux producteurs. Une des illustrations de cette approche passe par un réseau national de piégeage qui permet de suivre l’évolution des populations de mouches des fruits. Lorsqu’un seuil critique est dépassé, certaines actions prédéfinies sont mises en œuvre. En parallèle, la lutte se fait également à travers la «technique de l’insecte stérile». Exemple de la région d’Agadir, où une usine pilote produit des millions de mâles de mouche méditerranéenne des fruits (Ceratitis capitata) rendus stériles, relâchés ensuite dans la nature pour freiner la reproduction des populations sauvages. 
 
Contrôle biologique
L’autre piste prometteuse de lutte contre les ravageurs qui est également explorée par le Royaume est le «biocontrôle». L’idée est de s’appuyer sur les ennemis naturels des ravageurs, ou sur des micro-organismes spécifiques, pour les éliminer sans nuire à l’environnement. Des essais sont menés avec des bactéries (Bacillus thuringiensis, notamment) ou des insectes auxiliaires comme la punaise Calpop (Macrolophus pygmaeus), qui est un prédateur naturel de la mineuse de la tomate. Dans certaines exploitations-pilotes, les producteurs sont encouragés à planter des «bandes fleuries» ou des haies pour attirer ces auxiliaires. Ces techniques restent encore peu répandues, en raison de leur coût ou du manque de formation, mais elles ouvrent la voie à une agriculture plus résiliente et plus fondée sur la nature. Des institutions comme l’INRA jouent à cet égard un rôle important en mettant en place des plateformes de démonstration qui testent et mettent en avant ces techniques de contrôle biologique des ravageurs.
 
Changement climatique
Au vu de l’importance de son secteur agricole dans l’économie nationale et le développement local, la lutte intégrée contre les ravageurs est un enjeu de sécurité et de souveraineté alimentaire. Les bouleversements causés par les impacts des changements climatiques compliquent cependant la donne. Des hivers plus doux favorisent la survie des ravageurs, et des sécheresses prolongées affaiblissent les plantes, les rendant plus vulnérables. Les scientifiques, aussi bien au Maroc qu’ailleurs, constatent par ailleurs que de nouveaux ravageurs apparaissent dans des zones où ils étaient auparavant absents. Pour anticiper ces évolutions, les chercheurs marocains recommandent d’adapter les itinéraires techniques : choisir des variétés plus résistantes, allonger les rotations, diversifier les cultures. Des formations sont organisées dans plusieurs régions pour sensibiliser les agriculteurs aux méthodes alternatives. Mais la généralisation de ces pratiques prendra du temps. La lutte contre les ravageurs s’annonce comme un travail de fond, autant qu’un défi immédiat.
 
Omar ASSIF

3 questions à Dr Ahmed Taheri : « Les coûts liés aux ravageurs et espèces exotiques envahissantes au Maroc sont encore sousévalués »
Quelle différence faites-vous entre ravageurs, espèces invasives et espèces exotiques envahissantes, notamment dans le contexte agricole marocain ?

Ces notions recouvrent des réalités distinctes, bien qu’elles puissent se recouper. Un ravageur est un animal nuisible aux cultures ou aux stocks agricoles, comme certains insectes, acariens ou nématodes, causant des pertes économiques directes. À côté d’eux, on distingue les agents pathogènes (champignons, bactéries, virus), responsables de maladies végétales, mais qui ne sont pas classés comme ravageurs au sens strict. Une espèce invasive est une espèce, animale, végétale ou microbienne, dont la prolifération rapide perturbe fortement les écosystèmes, la biodiversité, les services écologiques, voire la santé humaine. Lorsqu’elle est introduite hors de son aire naturelle et devient nuisible, on parle d’espèce exotique envahissante. Au Maroc, certains ravageurs agricoles comme la mineuse de la tomate ou le charançon rouge du palmier sont à la fois exotiques et envahissants, mais tous les ravageurs ne sont pas exotiques, et toutes les espèces invasives ne concernent pas directement l’agriculture. 
 

À partir de vos travaux, quelles sont les estimations les plus crédibles du coût économique ou écologique des ravageurs et espèces envahissantes au Maroc ?

Les coûts liés aux ravageurs et espèces exotiques envahissantes au Maroc sont encore sous-évalués, bien que les pertes observées soient importantes. Des espèces comme la mouche méditerranéenne des fruits ou la drosophile à ailes tachetées provoquent chaque année des pertes agricoles et nécessitent des traitements coûteux. Ces coûts comprennent aussi la surveillance phytosanitaire, les restrictions commerciales et les campagnes de lutte. Sur le plan écologique, des espèces comme le crabe bleu, la gambusie, la fourmi d’Argentine ou la morelle jaune perturbent les habitats, concurrencent les espèces locales et déséquilibrent les écosystèmes. Faute de données consolidées, il est difficile d’estimer précisément l’ampleur des impacts. Un cadre national de suivi est donc indispensable. Nous travaillons actuellement à une estimation rigoureuse des coûts, qui sera prochainement publiée.
 

Quelles recommandations prioritaires formuleriez-vous pour améliorer la gestion des ravageurs dans un contexte de changement climatique ?

Le changement climatique accroît la pression des ravageurs : il élargit leurs aires de répartition, accélère leurs cycles biologiques, et rend les plantes plus vulnérables face aux attaques, en affaiblissant leurs mécanismes de défense. Il devient prioritaire de renforcer les systèmes de surveillance et d’élaborer des modèles prédictifs intégrant les variables climatiques. Il faut aussi généraliser la gestion intégrée des bioagresseurs (IPM) : lutte biologique, pratiques agroécologiques, rotations, et réduction des intrants chimiques. Enfin, il convient de soutenir la recherche appliquée, renforcer les capacités d’intervention rapide, améliorer la coordination interinstitutionnelle, et sensibiliser les agriculteurs aux solutions durables.

International : La sécurité alimentaire mondiale mise à mal par les ravageurs
À l’échelle mondiale, les ravageurs détruisent chaque année jusqu’à 40% des cultures vivrières, selon la FAO. Le coût économique global est estimé à 220 milliards de dollars par an. Les ravageurs agricoles affectent bien plus que les cultures : selon la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), ils comptent parmi les cinq principaux facteurs directs de perte de biodiversité à l’échelle mondiale. Dans un article publié dans Nature Sustainability (2021), des chercheurs estiment qu’en Afrique subsaharienne, la productivité agricole serait 20 à 25% plus élevée sans la pression parasitaire. L’impact est d’autant plus grave que 80% des petits exploitants ne disposent d’aucun accès aux systèmes d’alerte ou de lutte biologique. Le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) appelle pour sa part à renforcer la biosurveillance et la coopération transfrontalière, rappelant que «la prévention coûte dix fois moins que la réaction».

Cochenille du cactus : Le ravageur qui n’en finit pas de décimer des cactus marocains
La cochenille du cactus est un exemple parlant des dégâts qu’un ravageur peut causer à une filière agricole. Apparue au Maroc en 2014, cette espèce qui porte le doux nom scientifique de Dactylopius opuntiae, a décimé en quelques années des milliers d’hectares de figuiers de Barbarie. Ce ravageur, minuscule insecte originaire d’Amérique, a d’abord été signalé dans la région de Sidi Bennour, avant de se propager rapidement aux régions de Doukkala, du Haouz, puis au Souss. En 2022, plus de 15.000 hectares étaient détruits ou gravement atteints, selon le ministère de l’Agriculture. La cochenille s’installe sur les raquettes du cactus, affaiblit la plante jusqu’à la dessécher, et échappe aux traitements classiques. Son mode de dissémination (par le vent, les vêtements ou les véhicules) rend sa progression difficile à contenir. Face à l’ampleur du fléau, l’État a interdit les transports de matériel végétal et financé des opérations d’arrachage massif dans les zones touchées. Pour reconstituer les vergers, l’Institut National de Recherche Agronomique (INRA) a identifié sept variétés résistantes, aujourd’hui multipliées dans les stations régionales. Mais les dégâts sont durables : perte de revenus et effondrement local d’une économie qui dépendait du cactus, sans oublier la perte de variétés de cactus dont les fruits étaient très appréciés des Marocains. Cette crise, encore en cours, reste l’un des exemples les plus frappants de la destruction silencieuse que peut exercer un ravageur sur un territoire.

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