Assises nationales de l’IA : Ces outils qui menacent l’avenir des Industries culturelles !

Comment préserver la richesse créative nationale à l’heure des algorithmes ? C’est la question-clé soulevée lors des Assises nationales de l’Intelligence Artificielle, où artistes, producteurs et experts des Industries Culturelles et Créatives (ICC) ont tiré la sonnette d’alarme. Si l’IA ouvre des horizons vertigineux – traduction en amazigh, avatars interactifs, studios automatisés -, elle bouscule aussi les fondements du travail artistique et interpelle sur la souveraineté culturelle. Entre nécessité de réguler, urgence de former et volonté de créer des modèles d’IA enracinés dans le référentiel marocain, les intervenants appellent à une stratégie nationale ambitieuse pour ne pas subir la révolution numérique, mais en faire un levier d’émancipation créative et économique.

Organisée dans le cadre des Assises nationales de l’Intelligence Artificielle, une table ronde a réuni, le 1er juillet 2025, des figures majeures des Industries Culturelles et Créatives (ICC) marocaines. Objectif : explorer les interactions entre IA et culture dans un contexte de mutation rapide. Alors que l’Intelligence Artificielle redessine les modes de production et de diffusion des contenus, les acteurs du secteur s’accordent sur la nécessité d’anticiper les bouleversements à venir, tout en revendiquant une approche souveraine et inclusive.

Hicham Abkari, directeur des Arts au sein du ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication (MJCC), a rappelé les origines critiques du concept d' »industrie culturelle », apparu dans les années 1940 avec Adorno et Horkheimer. Longtemps perçue sous un prisme romantique, la culture s’est aujourd’hui imposée comme secteur économique de plein droit. À l’échelle marocaine, les ICC englobent désormais des domaines allant du cinéma à l’audiovisuel, en passant par la musique, les arts vivants, le design, le gaming, et même l’événementiel depuis la crise du Covid-19.

Dans ce paysage en recomposition, le Maroc ambitionne de mesurer de façon plus fine l’impact des ICC sur son PIB. Selon des estimations croisées avec l’UNESCO, leur contribution pourrait être importante si l’artisanat et les formes informelles de création étaient pleinement intégrés. Un enjeu d’autant plus crucial que plus de 77% de l’activité culturelle opère encore hors du cadre formel.

Pour Fihr Kettani, directeur du Studio des Arts Vivants et président de la Fédération des Industries Culturelles et Créatives (FICC) à la CGEM, l’IA représente une opportunité historique, à condition d’être anticipée et maîtrisée. Elle transforme déjà tous les maillons de la chaîne : de la création à la diffusion, jusqu’à l’accès aux œuvres. Traduction automatique, synthèse et reconnaissance vocales, avatars interactifs… autant d’outils qui permettent d’offrir aux publics marocains une culture plus accessible, multilingue et adaptée aux spécificités territoriales.

Des solutions locales existent : l’application Catchman V2, développée par un acteur marocain, permet de traduire l’amazigh vers plusieurs langues. SmartSight AI équipe déjà des institutions culturelles avec des chatbots multilingues. Autant d’exemples qui illustrent une capacité nationale d’innovation, susceptible de favoriser la valorisation du patrimoine culturel marocain.
 

Créativité augmentée ou menace pour les artistes ?
 
L’intervention de Yasmina Ben Hassen, à la tête d’une agence de production audiovisuelle, a illustré l’impact concret de l’IA sur la transformation des métiers : storyboards automatisés, spots vidéo réalisés en une journée, avatars de présentateurs… Si l’efficacité s’en trouve renforcée, la mutation est brutale. À l’instar de la « destruction créatrice » évoquée par Schumpeter, les compétences traditionnelles sont déstabilisées. L’émergence du métier de prompt engineer en est le parfait exemple.

Cette métamorphose n’est pas sans inquiétudes. Pour Hicham Daoudi, fondateur d’Art Holding Morocco, il est essentiel de rappeler que l’IA reste un outil, non une entité omnisciente. L’exemple d’images erronées de tableaux marocains générées par des IA formées à l’étranger souligne l’importance de construire des modèles locaux, nourris de nos propres références.

La question de la souveraineté a traversé les débats. Au-delà de l’accès, il s’agit de contrôler les narratifs. Les biais présents dans les IA occidentales – stéréotypes raciaux, représentations caricaturales – renforcent la fracture numérique Nord-Sud. Produire des IA marocaines ou africaines devient un enjeu de souveraineté symbolique et économique.

En matière de droits d’auteur, la table ronde a rappelé la nécessité de réglementer l’usage des IA génératives. Qui détient les droits sur une création produite par IA ? Quelles protections pour les artistes ? Comment assurer la juste rémunération de ceux dont les œuvres nourrissent les modèles ? Des défis encore non résolus.
 

Structuration, fiscalité, financement : Les freins à lever
 
Pour que l’IA bénéficie pleinement aux ICC marocaines, encore faut-il un cadre adapté. Plusieurs intervenants ont pointé les lacunes de la réglementation actuelle. Bien que des textes existent (loi 68.7 sur le statut de l’artiste, abattement fiscal de 50% sur l’IR, droit de suite), leur application reste limitée.

La méconnaissance de ces dispositifs par les artistes eux-mêmes, l’opacité de certaines procédures, et la lenteur législative fragilisent la structuration du secteur. Le poids du travail informel et l’absence de mesure précise de la valeur économique des ICC rendent aussi difficile leur financement. Décrits comme intangibles, les actifs culturels peinent à convaincre les banquiers.

Pourtant, selon la FICC, les ICC regroupent aujourd’hui plus de 170.000 emplois. Leur contribution potentielle au PIB pourrait doubler à l’horizon 2030. Encore faut-il un véritable effort de stratégie nationale, articulant objectifs, parties prenantes, logistique et outils de suivi.

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