Dynamique démographique : Ces mutations qui ralentissent le développement du Royaume

Alors que le Maroc franchit une nouvelle étape de sa transition démographique, plusieurs experts appellent à des réformes audacieuses en matière d’égalité de genre, de soutien à la parentalité et d’adaptation des politiques publiques, afin de transformer cette mutation profonde en levier de développement durable.

Le Maroc connaît depuis plusieurs décennies de profondes mutations démographiques qui redéfinissent peu à peu les fondements de sa société. La transition démographique engagée dans les années 1960 a entraîné une baisse rapide du taux de fécondité, passé de plus de 7 enfants par femme à moins de 1,97 aujourd’hui. Cette évolution s’accompagne d’un vieillissement progressif de la population, d’un allongement de l’espérance de vie, d’une urbanisation croissante et de transformations notables dans la structure des ménages. Ces bouleversements démographiques posent des défis majeurs en matière de développement humain, d’accès aux services, de planification territoriale, mais aussi d’inclusion sociale et économique, en particulier pour les jeunes et les femmes. C’est dans ce contexte que, à l’occasion de la Journée mondiale de la population, célébrée le 11 juillet, plusieurs responsables et experts se sont réunis à Rabat lors d’un événement organisé par le Fonds des Nations Unies pour la Population (FNUAP) au Maroc, pour discuter de ces transformations et des réponses à y apporter.

La représentante du FNUAP au Maroc, Marielle Sander, a souligné dans ce sens la nécessité d’adopter des mesures audacieuses et immédiates afin d’accompagner ces mutations. Elle a insisté sur l’urgence de combler l’écart entre les sexes sur le marché du travail, notant que la participation des femmes y reste inférieure à 17%. Pour y remédier, elle appelle à investir massivement dans l’éducation et à promouvoir l’égalité des chances entre les sexes, en particulier dans un contexte de baisse continue du taux de fécondité.

Elle a également plaidé pour une reconfiguration du modèle économique et familial afin de permettre une parentalité plus partagée et flexible. Selon elle, il est temps de remettre en question les rôles traditionnels au sein de la famille, en valorisant notamment l’implication des hommes et des pères, et en diffusant le concept de «parentalité partagée». Le fait de faire porter aux femmes seules la responsabilité des enfants, des personnes âgées et des tâches ménagères constitue un fardeau injuste qui pèse sur toute la société, a-t-elle rappelé.

Dans cette optique, Sander a souligné le rôle crucial du secteur privé dans le soutien à cette transition démographique, à travers des mesures concrètes telles que les congés de paternité payés, les horaires de travail flexibles, le soutien aux crèches ou encore la couverture santé universelle. Ces initiatives sont, selon elle, de véritables investissements dans le bien-être collectif et la durabilité sociale.
 

Aubaine démographique
De son côté, Mohamed Fassi Fihri, directeur du Centre d’études et de recherches démographiques (CERED), a mis en avant que le Maroc dispose actuellement d’un potentiel démographique favorable, qualifié d’«aubaine démographique», en raison d’une augmentation de la population active, notamment les personnes âgées de 15 à 60 ans, une tendance qui devrait se poursuivre jusqu’en 2030. Il a recommandé de tirer parti de cette fenêtre démographique en investissant dans les secteurs clés tels que la santé, l’éducation et l’emploi, tout en encourageant l’épargne et l’investissement à travers des politiques économiques ciblées.

Fassi Fihri a par ailleurs souligné que le Maroc est en voie d’achever sa transition démographique, évoluant vers un modèle similaire à celui des pays avancés, marqué par un ralentissement de la croissance démographique, une baisse marquée de la fécondité et une espérance de vie en hausse. Il a rappelé que le taux de fécondité est passé de 7,2 enfants par femme en 1960 à environ 1,97 aujourd’hui, un niveau inférieur au seuil de renouvellement des générations. Ce changement s’explique par plusieurs facteurs : recul de l’âge au mariage (25 ans contre 17 ans en 1960), généralisation de la contraception (71% d’utilisation contre 8% en 1960), amélioration de la santé infantile, élévation du niveau d’instruction des femmes et évolution des valeurs familiales.

La transition démographique du Maroc s’accompagne d’une profonde transformation de la structure par âge de la population, puisque le poids des enfants de moins de 15 ans passera de 26% en 2024 à 21% à l’horizon 2030, et la population âgée de 60 ans et plus progressera de 5,1 à 6,1 millions pour représenter 15% de la population contre 13% actuellement, a-t-il ajouté.

Le Haut-Commissaire au Plan, Chakib Benmoussa, a quant à lui mis en garde contre les discours alarmistes ou idéologiques autour des questions démographiques. Il a plaidé pour une approche raisonnée et fondée sur des données fiables. S’appuyant sur les premiers résultats du Recensement général de la population et de l’habitat (RGPH), il a mis en lumière les disparités structurelles entre milieux sociaux et territoires, malgré les avancées notables en matière d’éducation des filles et de réduction de la pauvreté. Benmoussa a averti que le recul du nombre d’enfants dans les tranches d’âge les plus jeunes aura des conséquences majeures sur la planification des politiques publiques. Il a notamment évoqué la nécessité d’adapter les infrastructures scolaires, en particulier en milieu rural, pour garantir le droit à une éducation de qualité malgré la baisse démographique. Il a également souligné les défis posés par l’urbanisation croissante, notamment en matière de logement, de transport, de services publics et de conditions de vie. Dans ce sens, il a affirmé que la question de la fécondité, passée de 5,5 enfants par femme en 1982 à 2,2 en 2025, ne peut être dissociée des conditions économiques et sociales. Il a ainsi plaidé pour des politiques publiques intégrées, agissant à la fois sur les normes sociales, les conditions professionnelles et la répartition des rôles au sein de la famille. Sur le plan statistique, il a insisté sur la nécessité de disposer de données précises et actualisées, rappelant que le HCP mène actuellement une enquête sur la famille et prévoit de lancer une étude sur le budget-temps d’ici la fin de l’année, afin d’affiner la compréhension des mutations sociales en cours.

Benmoussa a enfin plaidé pour l’expérimentation préalable des politiques publiques, jugeant nécessaire de tester, à petite échelle, les «politiques de demain» pour en évaluer la pertinence, l’efficacité et l’impact dans les contextes réels. Pour lui, cette approche s’inscrit pleinement dans la logique du nouveau modèle de développement qui appelle à inscrire les transformations structurelles dans la durée.
 

Rime TAYBOUTA

Rapport : Des millions de personnes privées du nombre désiré d’enfants
Lors de cet événement, le Fonds des Nations Unies pour la Population (UNFPA) a présenté le rapport sur l’état de la population mondiale 2025 qui s’appuie sur des travaux de recherche universitaire et sur de nouvelles données issues d’une enquête UNFPA/ YouGov réalisée dans 14 pays, dont le Maroc.

Intitulé «La véritable crise de la fécondité : La quête du libre arbitre en matière de procréation dans un monde en mutation», ce rapport met en lumière une réalité préoccupante : des millions de personnes à travers le monde ne sont pas en mesure d’avoir le nombre d’enfants qu’elles souhaitent, non par rejet de la parentalité, mais en raison d’obstacles économiques et sociaux.

Il révèle qu’au Maroc, 33% des personnes âgées de plus de 50 ans déclarent en effet avoir eu moins d’enfants que désiré, et près de la moitié (47%) disent que c’est pour des raisons de contraintes financières.

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