Taza, nichée entre le Moyen Atlas et le Pré-Rif, le long de la vallée d’Innanouen, possède une histoire aussi dense que ses reliefs. Carrefour stratégique depuis l’Antiquité, la ville mêle vestiges antiques, traditions orales fascinantes et un potentiel naturel exceptionnel. Tandis que le Maroc se prépare à accueillir la Coupe du Monde 2030 et accélère sa transition énergétique, Taza, longtemps reléguée à la marge, veut revenir dans le jeu. Entre mémoire enfouie, ressources naturelles et atouts stratégiques, la ville cherche une nouvelle place sur l’échiquier national.
A la pointe d’un plateau étroit sur un éperon rocheux, surplombée de maisons traditionnelles, de mosquées prestigieuses et entourée de remparts consolidés, la cité antique de Taza a traversé l’histoire du Maroc. « Tizi » en amazighe signifie passage. Et c’est bien ce qu’est Taza : un couloir, une charnière. Son emplacement stratégique en fait un passage de haute priorité, dès l’époque Romaine, où cette ligne servait de frontière entre la côte et les bordures désertiques, délimitant les « Limes » venant de Tripoli, traversant Volubilis jusqu’à Rabat. La découverte en 1916 d’une pièce de bronze datant du Bas-Empire romain, ainsi qu’une médaille à l’effigie de Tibère, témoignent de cette présence.
De nombreuses légendes circulent à Taza concernant ses origines. Parmi les récits populaires, l’un évoque une mystérieuse ‘ville de cuivre’ (1), la Medinet en Nehas, prétendument édifiée à l’époque vandale, aujourd’hui engloutie sous les eaux de la piscine municipale. Certains récits oraux évoquent des fouilles nocturnes et des trésors trouvés, une frontière floue entre mythe local et mémoire collective. D’autres témoignages plus documentés évoquent des mines d’or et d’argent contrôlés par un Sultan au nom de Djouane et les plus rêveurs parlent d’une femme européenne nommée Taja.
Surplombant la ville et à moitié engloutie par la végétation et par le passage du temps, une muraille de pierre entoure les formes du terrain, rappelant les fortifications de l’époque romano-berbère. Les motifs en forme de palmes sur le mortier des joints sont courants dans l’architecture berbère. Les fouilles archéologiques ont mis à jour des stations préhistoriques, notamment des grottes Kifane Bel Ghomari, sur les pentes, qui longent le plateau de Taza haut.
Au début de l’invasion arabe, Taza aurait été parmi les sept villes les plus importantes de l’Afrique du Nord, dont le nom commençait par un T, aux côtés de Tanger, Tétouan, Taroudant, Tunis, Ténès et Tlemcen. Et dans la tradition juive du Maroc, Taza, Ceuta et Safi faisaient partie des sept villes antiques attribuées à Sem, fils de Noë.
(1) Abou Bakr Al-Bakhasissi, Éclats sur Ibn Tujjînash al-Nazi, 1972, Maison du Livre Casablanca
La population de Taza est historiquement diverse : Amazighs (Miknassa, Riata, Tsoul, Branes, Haouara), Arabes, rejointe par des commerçants de Fès installés à Taza pour leurs affaires, ainsi qu’une communauté juive très ancienne dans le quartier du Mellah. Le couloir Tazi de l’Innaouen ayant toujours été une voie de communication importante, longeant les tribus riveraines Beni Ouaraïne, Tsoul, Haïaïna, entouré des montagnes des Riata et des monts des Branes. Les remparts enclosent un terrain d’une cinquantaine d’hectares, délimité par la tour ronde Borj El Melouloub (Tour Sarrasine), le Bastion Saâdien et par les portes Bab er Rih, Bab Jamâa, Bab Titi, Bab el Quebour, Bab Zitouna, Bab Sidi Mosbah et Bab Chaoui accompagnés de plusieurs murailles de différentes époques.
Selon les chroniqueurs, à l’avènement des Omméïades, le chérif Idriss ben Abdallah Idriss Ier (788-803) reçut le soutien des tribus Riata et les Miknassa, qui lui apportèrent leur soutien en fondant un Ribat à Taza, pour garder la nouvelle terre d’Islam. A sa mort en 828, ses douze fils se partagèrent le royaume et l’aîné Mohammed Idriss II prit le territoire de Fez tandis que son frère Daoud eu Taza et les territoires des Tsoul, des Haouara, des Riata et des Miknassa.
Par la suite, constatant l’affaiblissement de l’état idrisside, la tribu des Miknassa s’est alliée à la dynastie fatémide qui triomphait des Omméïades, avant de s’affaiblir à son tour au fil de plusieurs alliances et affrontements successifs. En 1070-1071, Youssef Ben Tachefine, Almoravide originaire des tribus berbères sahariennes, s’empara de Fès puis du territoire de Tsoul et de Riata (2) , entraînant la chute de la tribu miknassienne limitée depuis aux agglomérations de Meknassa Foukania et Menkassa Tahtania.
Après le déclin des Miknassa, la région entra dans une période d’instabilité jusqu’à l’arrivée des Almohades vers 1132 avec Abd El Moumen premier souverain, qui fit de Taza une véritable ville fortifiée, en 1135, renforçant les anciens remparts et les murailles.
Plusieurs luttes de pouvoir entre les Almohades et les Mérinides se succédèrent sur la région de Taza, avant que le Mérinide Abou Yahia Ibn Abd el Hakk s’empare de Taza en 1249 après l’avoir assiégée durant quatre mois. Une fois l’ordre rétabli autour de Taza, le Sultan confia la ville à son frère Abou Youssef Yacoub et rentra à Fès.
Sous les Mérinides, Taza connut un âge d’or architectural et spirituel durant deux siècles. La mosquée Jamâa el Kebir, fondée à l’époque almohade, est alors restaurée et agrandie autour de 1294 par le sultan Mérinide Abou Yacoub, avec quatorze travées sur neuf nefs, des rangées de piliers massifs et un lustre en bronze dans la nef centrale, gravé d’inscriptions coraniques et poétiques, chef d’œuvre de la bonzerie hispano-mauresque ainsi que la Medrassa de Taza. Le sultan Merinide Abou Rebia Slimane mort en 1310 y est enterré. D’autres mosquées historiques peuvent être citées, comme la mosquée Al Andalous, la mosquée Sidi Mesbah et les mosquées Sidi Azzouz, Sidi Ben Atia et Sidi Bel Ftouh.
Un palais fut édifié près de la mosquée en 1297, mais détruit vers 1383 lors des incursions des Abdelwadides sous Abou Hammou. Le déclin des Mérinides commença vers 1358, et les Portugais s’emparèrent de Ceuta autour de l’an 1415. Alors que les Turcs détrônaient les Abdelouadites à Tlemcen en 1517, les Cheurfa Saadiens de Tafilalet entamaient la conquête du Maroc.
A partir de 1659, l’avènement des Alaouites unifia le Maroc et Moulay Rachid proclamé Sultan en 1664 désigna Taza comme capitale provisoire et y installa sa cour en 1665 avec son palais localisé à Dar Al Makhzen dans le Méchouar. C’est d’ailleurs à Taza que Moulay reçut en 1666 le marchand français Roland Fréjus, porteur d’une lettre de Louis XIV. En 1672, Moulay Ismaïl, proclamé Sultan suite au décès de Moulay Rachid, continua à veiller sur la région de Taza et à la maintenir en sécurité et dans la prospérité.
L’espagnol Domingo Badia Y Leblich rapporte de sa traversée de Taza en 1805 le récit d’une ville florissante entretenant de bonnes relations commerciales avec Fez et Tlemcen. Mais l’insécurité paralysait la ville vers moitié du XIXème siècle, d’après le témoignage de l’Allemand Gerard Rohlfs et le nombre d’habitants était en baisse.
En 1902, l’agitateur Bou Hemara, de son vrai nom Jilali Ben Driss El Youcefi Zerhouni, prêchait l’insurrection en parcourant la vallée d’Innaouen à dos d’ânesse, tentant de fédérer les tribus ennemies pour conclure des alliances. Durant ce temps, les Français étendaient leur action au Maroc, et le traité de Fès, signé le 30 mars 1912, instaura le protectorat français, d’où une occupation française de Taza entre 1914 et 1956.
Taza appartient à la région Fès-Meknès, avec une importante richesse naturelle et une position géographique stratégique, entre les zones du Pré-Rif et du Moyen Atlas, et une situation hydrique privilégiée, avec le barrage Bab Louta et une partie du barrage Idriss Premier.
La province de Taza offre une diversité écologique remarquable, avec une superficie forestière de 409.400 ha, abritant la cédraie de Tazekka, le chêne-liège, le chêne vert et le thuya. Le Parc National de Tazekka, d’une superficie de 680 hectares, est né en 1950 pour protéger les ressources naturelles existantes, de plusieurs centaines d’espèces de plantes, plus d’une trentaine d’espèces de mammifères et plus d’une cinquantaine d’espèces d’oiseaux.
Taza, que Norbert Casteret (3) surnommait la « Capitale des cavernes » abrite la grotte Friouato de 305 mètres de profondeur, l’un des six plus grands gouffres du monde. La route sinueuse traverse un paysage de cascades et de forêts où se nichent les grottes emblématiques de la région, dont la célèbre Friouato, l’une des cavernes les plus profondes d’Afrique du Nord, explorée pour la première fois en 1935 par les spéléologues français Elisabeth et Norbert Casteret.
D’autres grottes se trouvent dans les environs, comme Bouslama avant de venir se ressourcer à Ras el-Maa. Comme en témoigne une habituée des lieux : « Ce havre de paix est très prisé des Twaza venus s’y reposer et y déguster des plats succulents tels que tagines, Sikouk ou la très délicieuse Khebza Lebza ». Ou en allant à Oued Amlil ou Meknassa, arrêts gastronomiques incontournables pour les amoureux des grillades.
(3) François Bonjean, Alain Lavaud, Le Maroc: courrier postal, 1912-1956 – A. Retnani · 2004
Le recensement général de la population de l’habitat réalisé en 2024 révèle pour Taza une population globale de 499 755 personnes réparties à 211 673 en milieu urbain et 288 082 en milieu rural. Le taux d’analphabétisme des 10 ans et plus est de 34,5% à l’ensemble, avec 43,5% pour le milieu rural et 22,5% pour le milieu urbain. Le taux de chômage s’élève pour l’ensemble à 29,9% à Taza tandis que le taux de pauvreté est de 14,4%.
En effet, malgré positionnement en tant que pôle régional situé entre Fès, Nador et Oujda, l’économie locale reste dominée par l’agriculture, tandis que le secteur industriel reste modeste. Bien qu’ayant un potentiel écologique et minier conséquent, Taza reste en marge des dynamiques économiques régionales.
La région Fès-Meknès est une région minière importante au Maroc, avec une structure géologique qui favorise les concentrations élevées en substances minérales comme le zinc, l’argent, le plomb, le barytine, le manganèse, l’antimoine et le talc, ainsi que les gisements de l’argile Ghassoul, et 74 carrières sont localisées à Taza.
L’artisanat à Taza génère un chiffre d’affaires relativement modeste, (131 millions de Dhs en 2012 contre 2671 à Fès et 604 à Meknès) et son patrimoine immatériel ne s’est pas encore imposé au rang de celui de Fès et Meknès. Cependant, ce secteur artisanal a un levier de développement du tissu économique et social et la promotion touristique de la ville et la pérennisation de savoir-faire menacés de disparition. Ajouté à cela le patrimoine artistique local, par exemple les troupes folkloriques Tbourida, Ahydouss, Fantasia et Lâlaoui.
Un parc éolien de 150 MW a été mis en service à 12 km de Taza en 2010 par l’ONEE (Office National de l’Electricité et de l’Eau Potable) dans le cadre d’un projet éolien de 1000 MW à Taza. Avec une production de 540 Gwh/an, le chantier a été confié à EDF Energies Nouvelles Maroc, pour un coût de 2,56 Mds de dirhams. La deuxième phase du parc éolien de Taza voit l’intégration du japonais Mitsui avec un investissement de 2,5 milliards de dirhams. Le vingt-et-unième Protocole d’Accord signé devant le roi Mohammed VI et Emmanuel Macron était relatif à l’extension de la deuxième phase du parc éolien de Taza pour une capacité de 63 MW.
Le 15 janvier 2025, le gouverneur de la région Fès-Meknès Moaz Jama’i, présidant à Taza une réunion en présence d’investisseurs financiers et commerciaux de la région, a souligné le potentiel agricole, naturel, touristique et économique de Taza, ainsi que son fort capital humain et sa disponibilité en eau. Il a rappelé que les grands évènements sportifs qu’accueillera prochainement la ville de Fès auront un impact positif sur les provinces voisines, dont Taza et que les directives royales encouragent les investissements dans la région.
Entre passé glorieux et défis contemporains, Taza avance lentement, mais sûrement, vers une redéfinition de son rôle dans le Maroc d’aujourd’hui et de demain.