Prix du café : Des tasses au goût amer de l’inflation ! [INTÉGRAL]

En 2024, le prix du café a flambé, enregistrant des hausses pouvant atteindre 150 %, selon le type et la qualité. Un choc qui pèse lourd sur les trésoreries des cafés et restaurants de quartier, sans oublier les bourses de nombreux ménages.

« Il y a moins d’un an, nous achetions le café à 90 dirhams le kilo. Aujourd’hui, il faut compter entre 130 et 150 dirhams », se désole Ahmed, barista depuis presque toute sa vie d’adulte dans un petit café de quartier. Une flambée qui ne date pas d’hier du fait que depuis 2021, le cours du café suit une tendance résolument haussière. En cause, une série d’aléas climatiques, gelées et sécheresses, frappant les grands pays producteurs comme le Brésil et le Vietnam, auxquels s’ajoutent la spéculation et l’explosion des coûts logistiques, aggravés par les tensions au Moyen-Orient.
 
« Pour les grandes enseignes qui facturent une vingtaine de dirhams la tasse, ces fluctuations passent presque inaperçues. Mais pour un café de quartier, où les marges sont déjà minimes, les conséquences peuvent être fatales », confie Ahmed, installé au quartier populaire de Aïn Chock, à Casablanca. Et si certains observateurs espèrent un redressement rapide, les signaux du marché restent incertains. En août, le café Robusta affichait encore une légère hausse, avoisinant 4.900 dollars la tonne, soit +0,6 % sur les contrats de septembre. Les échéances plus lointaines suivaient la même tendance, signe d’une tension persistante sur les marchés à terme. Entre janvier 2024 et janvier 2025, le Robusta a bondi de 84 % et l’Arabica de près de 75 %, portés par une offre mondiale réduite, des conditions climatiques défavorables et une demande soutenue. La hausse actuelle, certes plus modérée, illustre néanmoins la difficulté du marché à retrouver un véritable équilibre après la flambée de 2024. Une confirmation, s’il en fallait, que le café demeure une matière première hautement sous pression dans le commerce mondial.
 

Gaffe au pouvoir d’achat des Marocains
 
L’Observatoire marocain de protection du consommateur a ainsi exprimé sa « profonde inquiétude » face aux répercussions de cette hausse sur le pouvoir d’achat des citoyens, particulièrement dans le contexte économique actuel. Dans un communiqué, il a exhorté les autorités compétentes, en particulier le ministère du Commerce et de l’Industrie, à intervenir d’urgence pour encadrer les prix du café sur le marché national et prévenir toute dérive spéculative. L’idée serait de renforcer les mécanismes de contrôle, instaurer davantage de transparence dans la fixation des prix et protéger les consommateurs contre les pratiques commerciales abusives.
 
« Pour l’instant, c’est surtout dans les rayons des supermarchés que l’inflation se fait ressentir. Dans les cafés et restaurants, nous essayons de temporiser », confie Noureddine El Harrak, président de la Fédération nationale des propriétaires de cafés et restaurants (FNPCRM). En effet, dans les rayons, la flambée saute à l’œil. Un paquet de 200 g, vendu 25 dirhams il y a un an, coûte aujourd’hui entre 35 et 39 dirhams, selon les enseignes. Face à ces écarts, les associations de protection des consommateurs n’excluent pas de recourir à des actions juridiques ou médiatiques si des cas de spéculation venaient à être constatés.Pour mieux suivre l’évolution du marché, l’Observatoire a même mis en place des canaux de communication afin de recueillir les plaintes et signalements des citoyens. Il a également saisi le ministère du Commerce et de l’Industrie ainsi que d’autres organismes compétents pour obtenir des rapports actualisés et pousser à l’adoption de mesures correctives.
 
De son côté, le gouvernement tente d’amortir le choc par la voie douanière. Dès 2023, la Loi de finances a réduit les droits d’importation sur le café vert non torréfié, de 10 % à 2,5 %. Une mesure qui a permis d’atténuer en partie la flambée des cours et de soutenir la production nationale. « La mesure fiscale de la Loi des Finances n° 50-22 pour l’année budgétaire 2023 a été salutaire pour le consommateur et également pour le tissu industriel national, du fait du renforcement des investissements dans plusieurs entreprises industrielles de torréfaction et de conditionnement générant, par là même, des milliers d’emplois supplémentaires », selon Président de l’Association Marocaine des Industriels du Thé et du Café (AMITC), Mohamed Astaib, affirmant que cette mesure a en effet permis d’amortir, dans une grande mesure, l’impact du renchérissement de cette denrée sur le marché national.Mais elle demeure insuffisante pour neutraliser l’instabilité persistante du marché mondial du café.
 

Le suivi s’impose !
 
La Fédération nationale des propriétaires de cafés et restaurants appelle ainsi les autorités à dresser un état des lieux précis du marché afin de pouvoir engager des mesures ciblées et efficaces. Son président, Noureddine El Harrak, estime que « si les hausses sont réellement dues aux seuls aléas climatiques, il faudrait s’adapter, par exemple en révisant les grilles douanières ou en explorant d’autres options adaptées ». Une position qui rejoint celle de l’Observatoire marocain de protection du consommateur, lequel plaide pour la publication de rapports périodiques afin de mieux cerner l’ampleur du phénomène et alerter sur les risques liés à d’éventuelles dérives.
 
Concernant les intermédiaires et spéculateurs qui faussent le jeu de l’offre et de la demande, l’Observatoire appelle à la constitution de dossiers juridiques contre les contrevenants impliqués dans des pratiques abusives ou monopolistiques, en vue de les signaler aux instances judiciaires compétentes.
 
Reste que le début de l’année 2025 s’annonce encore très incertain. Les analystes du marché mondial s’accordent toutefois à prévoir une accalmie en 2026, avec des cours moins volatils. Cette perspective s’appuie sur les prévisions d’une production plus abondante au Brésil et d’un début d’hiver austral sans gelées pour l’instant.
 
 

3 questions à Noureddine El Harrak, président de la FNPCRM : « Il est crucial de dresser un état des lieux pour identifier l’origine du problème »
Comment évaluez-vous l’évolution du marché du café au niveau national ?

–    Depuis le début de 2024, le prix du café a augmenté à quatre reprises, soit une hausse d’environ 150 % par rapport à 2023, selon la qualité et le type de produit. L’entrée de gamme, qui coûtait auparavant 50 dirhams le kilo, dépasse aujourd’hui les 100 dirhams. Cette hausse s’explique en partie par les aléas climatiques et les perturbations du Canal de Suez, mais au Maroc, elle dépasse largement les tendances observées sur le marché international. Alors que les cours mondiaux ont augmenté de 10 à 30 %, la flambée nationale est bien plus importante, perceptible notamment au niveau des paquets de 200 g achetés par les particuliers. Il est donc crucial de dresser un état des lieux pour identifier l’origine du problème. Certaines hausses proviennent-elles des distributeurs, des grilles douanières, ou simplement de facteurs conjoncturels ? Déterminer les causes permettra d’apporter des réponses adaptées.

  Les clients doivent-ils s’attendre à une augmentation de leurs consommations ?

–    Pour le moment, la majorité des cafés et restaurants s’abstient d’augmenter les prix des consommations afin de préserver le pouvoir d’achat des citoyens. Quelques cafés de quartier ont pu ajouter un ou deux dirhams à la tasse, mais leurs marges restent très serrées. Pour maintenir cette situation, un soutien de l’État est nécessaire. Pour les professionnels, ce n’est pas seulement le prix du café qui a augmenté, mais celui d’un ensemble de produits essentiels au fonctionnement des enseignes.

  Quelles sont les attentes des professionnels pour poursuivre leurs activités malgré la conjoncture ?

–    Nous avons engagé des discussions avec tous les départements de tutelle, non seulement pour amortir le choc des crises conjoncturelles, mais aussi pour envisager une restructuration globale du secteur. Le secteur souffre depuis longtemps d’un vide juridique et d’un manque de réglementation. Le ministre du Commerce s’est montré favorable à la mise en place d’un projet de loi  à améliorer et à examiner. Les discussions actuelles portent notamment sur les autorisations d’exercice et, avec le ministère de l’Intérieur, sur la législation relative à l’exploitation du domaine public. L’essentiel pour les professionnels est que cette loi voie le jour, accompagnée de facilités fiscales similaires à celles prévues pour d’autres secteurs clés de l’économie nationale.

​Marché international : Qui sont ces géants du café ?
En 2024, la production mondiale de café reste concentrée dans quelques pays clés, avec une répartition entre Arabica et Robusta. L’Arabica, représentant 60 à 70 % de l’offre mondiale, se distingue par ses arômes complexes et sa culture en altitude, tandis que le Robusta, plus résistant et corsé, domine les productions industrielles et solubles. Le Brésil conserve sa position de leader, avec 45,4 millions de sacs d’Arabica et 21 millions de Robusta, grâce à des conditions climatiques favorables, une mécanisation avancée et des infrastructures logistiques solides. Le Vietnam, producteur de Robusta avec 29 millions de sacs, joue un rôle central sur le marché des cafés industriels. La Colombie et l’Éthiopie, avec respectivement 13 et 8,2 millions de sacs, misent sur la qualité et les pratiques traditionnelles, exportant surtout vers l’Europe et les États-Unis.
 
La géopolitique influence le marché. L’instabilité en Amérique latine, la dépendance de l’Occident aux importations et les ambitions chinoises en Afrique et au Yunnan modifient les flux commerciaux. Les producteurs africains restent vulnérables à la volatilité des prix et aux exigences de durabilité imposées par l’UE. Parallèlement, la montée du Vietnam sur le Robusta et ses accords commerciaux avec l’UE et les États-Unis rééquilibrent le marché mondial. Sécheresses, hausse des coûts de production et spéculation accentuent les tensions sur les prix, confirmant le café comme une matière première stratégique et sensible.
 

​Marché national : On fait mieux qu’avant !
En 2024, le Maroc a importé 54.508 tonnes de café vert destinées à la torréfaction, contre 44.140 tonnes en 2023, soit une progression de 23,6 %. Après la torréfaction, la consommation nationale de café prêt à consommer est estimée entre 38.000 et 40.000 tonnes, soit environ 800 à 900 grammes par habitant, un niveau inférieur à celui de certains pays voisins comme la Tunisie, où la consommation atteint 1,5 kg par habitant. Parallèlement, le Royaume a importé 3.426 tonnes de café déjà torréfié en 2024, contre 2 790 tonnes l’année précédente, témoignant d’une demande croissante pour des produits de café haut de gamme. Les principaux fournisseurs de café vert restent le Brésil, la Colombie, le Costa Rica, le Vietnam, l’Indonésie, l’Ouganda, la Côte d’Ivoire, la Tanzanie et la Guinée.La réduction des droits d’importation sur le café vert non torréfié, introduite en 2023, a permis de limiter l’impact de la hausse mondiale des prix tout en dynamisant le tissu industriel national et en générant des milliers d’emplois. Cependant, les torréfacteurs font face à plusieurs défis, tels que la volatilité des cours internationaux, la concurrence des importations de café torréfié et la nécessité de s’adapter aux préférences des consommateurs pour des produits de qualité supérieure.
 

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