Malgré une baisse d’environ 30% du cheptel, qui compte désormais entre 3 et 3,2 millions de têtes de bovins, le lait échappe à l’inflation grâce aux importations, tandis que la viande rouge continue de voir son prix grimper.
En 2016, le Maroc disposait de 3,4 millions de têtes de bovins, une base censée assurer l’autosuffisance en lait et en viande. Pourtant, l’importation massive de lait en poudre en provenance d’Europe a profondément perturbé la filière. De nombreuses coopératives agricoles ont été contraintes de fermer, et de nombreux éleveurs ont quitté le secteur après avoir vendu leurs vaches à bas prix, faute de débouchés locaux, explique Ahmed Boukrizia, président de la Fédération des producteurs de viandes, de lait et de produits agricoles. “Cette décision, combinée à l’absence de protection du produit national, a eu des conséquences durables, aujourd’hui, les prix du lait restent relativement stables, tandis que ceux de la viande rouge ne cessent de grimper. Cette situation illustre clairement que notre cheptel national n’est pas suffisant pour répondre aux besoins du pays, et que le marché dépend toujours largement des importations”.
En 2023, le Maroc a importé 34.650 tonnes de poudre de lait écrémé, représentant une valeur de 1,14 milliard de dirhams. Cette quantité équivaut à environ 346,5 millions de litres de lait. Les experts soulignent que cette dépendance accrue aux importations pourrait fragiliser la production locale de lait et affecter la rentabilité des éleveurs marocains. Le gouvernement marocain a pris des mesures pour alléger le coût des produits laitiers pour le consommateur. Importée de différents pays, le prix de la poudre de lait connaît une hausse spectaculaire. En Europe, il a frôlé les 5.000 euros la tonne au printemps avant de se stabiliser autour de 2.500 euros. Tandis que le prix du beurre est passé de plus de 7.000 à 4.000 euros la tonne.
“La stabilité du prix du lait résulte principalement de la collaboration continue entre l’État et les acteurs du secteur laitier, représentés par la Fédération. Chacun agit sur les facteurs relevant de sa compétence”, relève Rachid Khattate, président de la Fédération interprofessionnelle «Maroc Lait».
Au Maroc, ces produits sont soumis à des droits d’importation et à la TVA, ce qui augmente mécaniquement leur coût. La mesure vise donc à réduire la pression sur le marché national et à économiser le lait frais, principalement destiné à la production de lait pasteurisé, tout en utilisant la poudre pour la fabrication de dérivés comme les yaourts ou le lait reconstitué.
La législation marocaine encadre strictement l’usage de la poudre de lait. Elle ne peut être intégrée au lait frais pasteurisé qu’en cas de crise. Un traceur, introduit après des soupçons d’utilisation abusive, permet de vérifier si le lait vendu comme frais ne contient pas de poudre.
“En 2024, le secteur a importé 18.000 génisses pour reconstituer le cheptel, ainsi que des aliments pour le bétail, des semences bovines et la poudre de lait. L’objectif était de réduire ces importations d’ici 2030 en intensifiant la collecte locale et en développant les zones à fort potentiel laitier”, souligne Rachid Khattate, ajoutant que “le centre d’insémination artificielle d’Aïn Jemaa, que nous sommes en train de reprendre, vise à couvrir plus de 50% des besoins nationaux en semence bovine d’ici 2027. En parallèle, les opérateurs renforcent leurs compétences afin de produire localement des aliments de bétail, rationalisant la consommation d’eau et répondant précisément aux besoins nutritionnels des troupeaux”.
Pour les éleveurs, l’impact est indirect. La mesure permet aux usines de mieux gérer l’approvisionnement et de réduire la pression sur le marché, mais elle pourrait aussi conduire, à terme, à une hausse du prix du lait à la production. Aujourd’hui fixé autour de 5 DH/l, ce prix reste insuffisant pour que les éleveurs reconstituent leur cheptel ou retrouvent leur niveau d’activité d’antan, les experts estimant qu’il faudrait atteindre au moins 6 DH/l pour relancer durablement la filière.
Si les prix du lait semblent relativement stables et modérés pour le consommateur, la réalité est tout autre pour les éleveurs. Derrière chaque litre collecté se cachent des coûts de production de plus en plus lourds, aliments pour bétail dont les prix restent élevés, frais vétérinaires et médicaments qui pèsent sur la rentabilité, sans oublier la dépendance à des subventions qui, souvent, ne couvrent pas l’ensemble des charges.
Plusieurs facteurs expliquent cette situation, à leur tête la hausse continue des prix des aliments composés pour bétail, qui a contraint de nombreux éleveurs à sacrifier une partie de leurs vaches laitières afin de survivre et combler leurs pertes. Cette dynamique a conduit à une baisse du cheptel et, par ricochet, à une diminution notable de la production nationale de lait. Les résultats du recensement révèlent ainsi une baisse d’environ 30% des effectifs bovins et camelins par rapport aux moyennes habituelles.
Pour les bovins, dont le nombre oscille généralement entre 3 et 3,2 millions de têtes, cette contraction s’explique notamment par la réduction des troupeaux laitiers, lourdement pénalisés par les restrictions liées à la pandémie de Covid-19 et par l’arrêt de l’irrigation dans certaines zones et la sécheresse. À cela s’ajoute une autre problématique structurelle : l’informel. Face à un coût de production du lait en forte hausse et à des prix d’achat imposés par les transformateurs privés, de nombreux éleveurs se tournent vers le colportage, espérant tirer quelques centimes de plus de leur production.
Quels sont les facteurs qui expliquent que la filière laitière continue de rencontrer des difficultés malgré les dispositifs officiels de soutien ? – Les éleveurs restent exposés aux spéculateurs et aux entreprises laitières, subissant un prix d’achat du lait trop bas, des aliments et des médicaments coûteux malgré une exonération fiscale de 20%, et une main-d’œuvre chère. La faible natalité du cheptel est aggravée par des techniciens d’insémination peu présents sur le terrain, et les fédérations – dominées par des intérêts privés – ne parviennent pas à protéger les producteurs.
Quelle stratégie nationale proposez-vous pour renforcer le cheptel et sécuriser l’avenir de la filière bovine au Maroc ? – Pour relancer les secteurs laitier et bovin, il est proposé de restaurer la confiance des éleveurs et rouvrir les centres de collecte de lait, augmenter l’aide pour les vaches importées à 12.000 DH, réviser les taxes sur les aliments pour bétail ou subventionner leur coût, réduire les prix des médicaments, pallier au problème de l’insémination artificielle en encadrant les techniciens au sein des coopératives, renforcer la formation de la main-d’œuvre via des écoles agricoles et des centres professionnels, encourager la production de maïs ensilé pour les éleveurs à un prix abordable, et valoriser les veaux locaux en augmentant leur prix à 7.000 DH, pour couvrir les frais d’élevage sur deux ans.
Quels objectifs concrets la filière s’est-elle fixés d’ici 2030 pour redonner confiance aux éleveurs et réduire la dépendance extérieure ? La Fédération Maroc Lait, alignée sur la stratégie nationale “Génération Green 2020-2030”, vise à renforcer la souveraineté alimentaire, l’adaptation climatique et le capital humain. D’ici 2030, elle prévoit d’augmenter la production nationale de lait de 2,5 à 3,5 milliards de litres par an, d’améliorer la productivité des vaches de 3.000 à 4.500 litres grâce à de bonnes pratiques d’élevage et à l’amélioration génétique, et de soutenir les petits éleveurs, qui représentent plus de 80% de la collecte, via des débouchés stables, la formation et la couverture sociale. L’ensemble de ces mesures a pour objectif de bâtir une filière laitière productive, autonome, pérenne et équitable, centrée sur l’éleveur comme acteur clé de la chaîne de valeur.
Face à la hausse des coûts de l’alimentation animale, des médicaments et de la main-d’œuvre, comment accompagnez-vous les éleveurs pour maintenir leur activité viable ? Les éleveurs marocains subissent une forte pression due à la sécheresse et à la hausse des coûts des intrants, l’alimentation animale représentant 60 à 70% du coût de revient du litre de lait. Pour soutenir la filière, la Fédération, avec l’État, intervient sur plusieurs axes : subventions pour l’alimentation, développement de cultures fourragères économes en eau, adoption de techniques d’irrigation efficientes, optimisation des coûts vétérinaires, formation et transfert de compétences, encadrement de proximité via les Unités Régionales d’Encadrement Laitier (UREL), accès au financement et à l’assurance sécheresse, ainsi que couverture sociale via l’AMO. Ces mesures visent à maintenir la viabilité économique de la filière et la stabilité des revenus pour plus de 450.000 familles concernées.