Alors que la demande pour les produits de contrefaçon ne cesse de croître, les autorités intensifient leurs descentes pour tenter d’assainir le marché national. De son côté, l’Administration des Douanes et Impôts Indirects (ADII) mise sur l’analyse prédictive et l’automatisation des contrôles pour renforcer sa lutte contre la fraude. Reste que, pour le consommateur, l’alternative peine encore à se dessiner. Reportage.
Dans la région de Casablanca-Settat, la lutte contre la contrebande a conduit, selon le Rapport de l’Administration des Douanes et Impôts Indirects (ADII), à la saisie de marchandises d’une valeur totale de 259,8 millions de dirhams lors de 116 interventions, soit une hausse de 70,59% par rapport à 2023. Le contrôle des opérations commerciales mené par la Direction régionale (DRCAS) a généré près de 3,7 milliards de dirhams de recettes additionnelles, enregistrant une progression de 38,46% par rapport à l’année précédente.
Les contrôles a posteriori, quant à eux, ont permis de percevoir 247,4 millions de dirhams supplémentaires, tandis que le ciblage et le contrôle a priori ont permis de recouvrer 14,4 millions de dirhams de droits et taxes compromis, toujours selon la même source.
Protocole de Kyoto : Entre facilitation du commerce et limites du contrôle
La persistance de flux massifs de marchandises illégales, malgré le renforcement des mesures, est due en partie au «Protocole de Kyoto», adopté par l’Organisation Mondiale des Douanes (OMD), apprend-on d’une source douanière. Ledit protocole vise à simplifier et à harmoniser les procédures douanières tout en facilitant le commerce légitime. Les contrôles doivent être proportionnés et ciblés, s’appuyant principalement sur la documentation et les informations préalables, l’inspection physique n’étant pas systématique, sauf discordance visible. Concrètement, selon notre source, seuls 10 à 30% des cargaisons font l’objet d’une inspection physique dans les ports, laissant ainsi la porte ouverte à des déclarations en deçà de la valeur réelle. «Notre porte d’entrée principale, ce sont bien les ports, plus souples en matière de contrôle. Nous passons par les vols aériens uniquement pour de petites quantités et des produits en règle, comme les parfums», confie un grossiste spécialisé dans les cosmétiques. Car oui, les importations par voie aérienne sont soumises à un contrôle quasi systématique, avoisinant les 100%. Le respect de la loi est donc de mise.
Dans cette perspective, l’ADII développe depuis des années une approche intelligente et prédictive du contrôle douanier. En 2024, le ciblage technologique des opérations commerciales, basé sur l’exploitation de données massives et le croisement des tendances de fraude, a permis de détecter près de 34 millions de dirhams de droits et taxes éludés, contre 24 millions l’année précédente. Parmi ceux-ci, 20 millions ont été recouvrés et 14 millions perçus sous forme d’amendes transactionnelles. Mieux encore, et pour lutter plus efficacement contre la sous-facturation, des systèmes automatisés tels que BADR ont été renforcés. En 2024, pas moins de 434 nouvelles règles y ont été intégrées (dont 111 de sélectivité, 64 annotations et 259 surveillances), avec 199 mises à jour ou suppressions. Ce système expert permet un traitement différencié et évolutif des opérations douanières, basé sur les historiques de contentieux et les comportements suspects, et ajuste en temps réel la sélection des déclarations.
Grâce à cette approche, le taux de sélectivité à l’import a atteint 20,4% et celui à l’export 8,9% en 2024, traduisant une meilleure répartition des efforts de contrôle, avec un recours renforcé au circuit rouge pour les régimes économiques, le tout basé sur des logiques algorithmiques en constante adaptation.
Contrefaçon : Le fléau indissociable de la contrebande
Et si certains bénéficiaires des failles du dispositif douanier estiment que la chasse aux contrebandiers vise avant tout à renflouer les caisses de l’État, les autorités et les experts insistent, eux, sur les carences structurelles que ces pratiques font peser sur l’industrie nationale. Pour Abdelghani Youmni, professeur associé à Sciences Po, la contrefaçon, qu’elle soit produite localement ou importée de Chine, de Turquie ou d’autres pays, fragilise le Maroc à deux niveaux : elle compromet le respect de la propriété industrielle et accentue le dumping sur l’industrie nationale. Il note, d’ailleurs, qu’il est difficile d’aborder la contrebande sans y associer la contrefaçon, tant les deux pratiques sont liées. En 2024, l’Administration des Douanes a recensé 746 demandes de suspension, en hausse de 9,38% par rapport à 2023 (682 demandes). Cette évolution s’explique par une sensibilisation accrue des titulaires de droits, la simplification des procédures, mais aussi par l’intérêt grandissant pour le mécanisme douanier de protection de la propriété intellectuelle. D’après notre responsable douanier, cette évolution n’a été possible que grâce à la multiplication, ces dernières années, des représentants de marques originales, titulaires de droits, qui disposent de la faculté de solliciter la saisie de marchandises contrefaites sur le territoire national. Ce dispositif permet ainsi d’identifier plus efficacement les pratiques frauduleuses. En revanche, les interceptions effectives de contrefaçon ont connu un recul en 2024, avec 82 suspensions réalisées contre 97 en 2023 et environ 1,15 million d’articles suspendus, soit une baisse de 42%.
Mais même si le Maroc parvient à resserrer l’étau autour de la contrebande et de la contrefaçon, l’alternative pour le consommateur demeure en deçà des attentes. Les prix des produits importés de Turquie ont fortement augmenté, tandis que les grandes marques présentes au Royaume sont accusées de pratiquer des tarifs «injustifiés». D’où l’appel de nos experts, consommateurs et commerçants à trouver un équilibre pour le marché national.
Parallèlement, le nombre total de déclarations douanières a franchi pour la première fois la barre des 2 millions de DUM, enregistrant une augmentation de 7,1%. Cette dynamique résulte d’une croissance à la fois des déclarations à l’import (+7,3%) et à l’export (+7,2%), reflétant l’intensification des échanges commerciaux et la vitalité du commerce extérieur marocain, précise l’ADII.
Le dédouanement a également connu des améliorations notables. Pour l’importation, le délai moyen de traitement passe de 7 heures 42 minutes à 6 heures 16 minutes, soit le gain d’une heure et 26 minutes, tandis qu’à l’export, une légère amélioration de 3 minutes a été constatée, portant le délai à 1 heure et 13 minutes.
– Cette augmentation ne signifie pas que la contrebande a explosé, mais plutôt que les contrôles sont devenus plus efficaces. Avec les scanners et les algorithmes de ciblage, la douane peut mener des inspections plus précises et saisir davantage de marchandises. En revanche, pour les transitaires, chaque saisie a un impact sur les opérations. Elle peut provoquer des retards sur d’autres conteneurs, car les services douaniers sont mobilisés, ce qui affecte la fluidité des chaînes logistiques. Notre rôle, c’est donc d’être encore plus rigoureux. On travaille en étroite collaboration avec nos clients pour que tous les documents soient en ordre et que les déclarations soient exactes, afin de limiter les contrôles approfondis et les retards.
– En quoi la multiplication des contrôles (analyse prédictive, sélectivité, automatisation) a-t-elle influencé les délais et la relation avec les clients ?
– En gros, au fil des années, nous avons constaté que les nouvelles mesures mises en place par la Douane ont vraiment fluidifié notre chaîne de travail. Le recours au circuit rouge, c’est-à-dire l’inspection physique, devient de plus en plus rare grâce au ciblage automatisé. L’ADII a fortement investi dans le digital, ce qui simplifie grandement nos démarches administratives et logistiques (déclarations, formalités, délais de transport et de livraison). Après, il faut rester honnête, pendant les pics d’activité saisonniers, il arrive encore que certains dossiers prennent du retard, parfois plus longtemps que prévu pour plusieurs professionnels du secteur.
– Dans quelle mesure la montée en puissance du e-commerce (souvent dominé par des plateformes chinoises) complique-t-elle le travail des transitaires et de la douane marocaine ?
– L’essor du e-commerce n’a pas seulement entraîné une augmentation du volume des transactions, il a profondément transformé la nature des échanges et accru, de manière automatique, le risque de prolifération de la contrebande et de la contrefaçon. Ce secteur est pris en charge par des sociétés locales de services qui accompagnent le produit jusqu’au consommateur final. La douane collabore avec ces entreprises, qui regroupent et préparent les envois, ce qui facilite les contrôles ainsi que la collecte des droits et taxes. Si cela ne permet pas d’éliminer totalement les problèmes de fraude ou de sous-évaluation, il contribue néanmoins à mieux organiser et tracer ces flux massifs.