Les pharmaciens ne supportent plus les «fausses promesses» de la tutelle sur le vieux dossier revendicatif qui traîne depuis des années. Récit d’une colère qui rejaillit.
Venus des quatre coins du Royaume, les blouses blanches ont manifesté devant le siège du ministère de la Santé, dont ils dénoncent les «fausses promesses». Ils disent qu’ils ont ras-le-bol de la politique des tergiversations. “Nous travaillons avec le ministère depuis trois ans dans le cadre de la commission mixte sur les différents points de notre cahier revendicatif, nous avons terminé mais l’application tarde à venir, à chaque fois des promesses”, s’indigne Mohamed Lahbabi, président de la Confédération des syndicats des pharmaciens d’officine. Les manifestations ont ciblé frontalement le ministre de tutelle, Amine Tahraoui, qu’ils accusent de rester sourd à leurs sollicitations.
Mais les termes de l’accord sont restés lettre morte. Les pourparlers ont buté sur l’application. Depuis lors, les syndicats rejettent la méthode de dialogue et se disent exclus. Ce qui s’est passé durant le mois d’avril dernier a été révélateur. Le 24 du même mois, les syndicats étaient convoqués par le directeur de l’Agence marocaine du médicament pour passer à la mise en œuvre de l’accord susmentionné. Une fois arrivés, les syndicats ont été surpris de la volonté du directeur de les rencontrer séparément. Refus catégorique. S’en est suivi des communiqués virulents. Le 28 avril, une nouvelle réunion a eu lieu pour apaiser la tension. Le dialogue est cordial mais improductif.
Les pharmaciens appellent depuis longtemps à revoir la place du pharmacien dans la nouvelle politique pharmaceutique, car il s’agit d’un maillon essentiel pour l’accès des citoyen aux médicaments à l’ère de la sécurité sociale universelle. D’où la nécessité de revoir toutes les lois auxquelles ils sont assujettis. Cela d’une part. D’autre part, la profession vit encore dans le brouillard faute d’instances ordinales qui n’ont pas été jusque-là renouvelées. Les dernières élections de Conseil national de l’Ordre des Pharmaciens remontent à 2015. La loi 98.19 a été votée en décembre 2024 au Parlement. Ce fut un pas en avant pour débloquer la situation, mais on est encore loin du rendez-vous avec les urnes.
Voilà en gros le décor lugubre d’une profession qui vit dans un profond malaise, exacerbée par une crainte existentielle. Étouffés financièrement, les pharmaciens craignent pour leur avenir au moment où leur modèle économique est en déclin. Ils sont 4000, soit le tiers de leur effectif, à être menacés de faillite, selon les chiffres dévoilés lors du 6ème congrès de l’association des pharmaciens, Mpharma.
Les causes sont nombreuses et tiennent à la prolifération de leur nombre, d’abord, et aussi à la profusion des nouveaux circuits de distribution… Mais, cette fragilité, pensent-ils, est due à leurs marges qui n’ont eu de cesse de s’amenuiser. Abderrahim Derraji, Docteur en pharmacie et fondateur du site medicament.ma, résume le calvaire de la profession. Selon lui, les pharmaciens d’officine “sont étranglés par des revenus en berne, un mode de rémunération obsolète, une dérégulation généralisée et l’absence totale de soutien institutionnel”. C’est la survie financière qui demeure donc le carburant de ce mouvement protestataire. Raison pour laquelle la tarification des médicaments est l’une des principales pommes de discorde.
“C’est la goutte qui a fait déborder le vase”, rappelle Mohamed Lahbabi, qui s’insurge contre le décret de fixation des prix des médicaments en phase finale de préparation.
Cette réforme est salutaire puisqu’elle est censée mettre fin aux prix exorbitants d’un ensemble de médicaments essentiels qui dépassent parfois ceux de leurs semblables en Europe. Ce qui est souvent décrié par les citoyens.
Pour leur part, les pharmaciens ne sont pas contre la réforme mais plutôt contre l’approche unilatérale du ministère qui, selon eux, ne tient pas compte de leurs intérêts et de leurs doléances, comme c’était le cas des nombreuses baisses actées par la tutelle par décret. Mais les pharmaciens redoutent que la réforme touche les médicaments les moins chers, là où ils parviennent à tirer le plus de marge. Selon M. Lahbabi, il faut viser les 150 traitements onéreux coûtant plus de 3.000 dirhams, qui accaparent 57% des remboursements de la CNSS.
En fait, les marges des pharmaciens varient selon le type des traitements. Il y en a quatre (T1, T2, T3 et T4). Ils dégagent 47% à 57% de marge des produits inférieurs à 588 dirhams. Par contre, les marges sont fixées à 300 dirhams pour les médicaments T3 dont le prix varie entre 588 et 1776 dirhams. Et 400 dirhams pour ceux supérieurs à 1776 dirhams. Donc, le compte n’est pas bon pour les pharmaciens. Leur message est clair. Baissez les prix, c’est bien ! Encore faut-il voir plus haut. Epargnez les traitements peu chers.
et Yahya BOUHAMIDI
Vous évoquez la surdité du ministère face à vos revendications. Le dialogue est-il suspendu ?
Que réclamez-vous donc du gouvernement actuel pour remédier à ces manquements ?
Hamid BOUHAMIDI
Vous brandissez des slogans violents contre le ministre de la Santé. Selon vous, de quoi est-il coupable ?
Vous dites que la profession est juridiquement vulnérable, un éclairage ?
Votre collège Bouzoubaâ parle de quinze pharmaciens poursuivis devant les tribunaux. Pour quelle infraction sont-ils poursuivis ?