Séisme d’Al-Haouz : Bilan en demi-teinte entre reconstruction et retard [INTÉGRAL]

Deux ans après le drame d’Al-Haouz, l’heure est au bilan. Réunie à Rabat le 10 septembre, sous la présidence du chef du gouvernement, la Commission chargée de la réhabilitation des zones sinistrées a dressé un point d’étape sur l’avancement du vaste chantier de reconstruction. Des progrès notables ont été enregistrés, mais ils contrastent parfois avec la réalité vécue sur le terrain. Décryptage.

Deux années se sont écoulées depuis que la terre a tremblé à Al-Haouz, mais la mémoire collective garde intact le poids de ce drame. Cette catastrophe, l’une des plus violentes que le Maroc ait connues depuis des décennies, a bouleversé des milliers de vies, provoquant d’importantes pertes humaines et matérielles, et laissant derrière elle des régions entières à reconstruire.

Malgré les hauts et les bas dans l’acheminement de l’aide, un programme ambitieux de reconstruction et d’aménagement des zones sinistrées a été lancé par le gouvernement, sous les Hautes Instructions de Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Ces directives Royales ont posé les bases d’une réponse rapide, structurée et solidaire face aux conséquences de cette tragédie, appelant à une mobilisation générale et à des interventions coordonnées de tous les secteurs concernés.

Dès lors, le gouvernement a enclenché la mise en œuvre d’un vaste chantier axé sur la reconstruction des logements détruits et la réhabilitation des infrastructures endommagées. Pour piloter cette dynamique, la Commission interministérielle chargée du programme de reconstruction a tenu une série de réunions qui ont permis de poser les bases d’un redressement structuré.
 

Le bilan rassure, la réalité interpelle
Désormais, à l’heure du bilan, la réunion du 10 septembre, présidée par le chef du gouvernement Aziz Akhannouch, s’impose comme un moment clé pour évaluer les avancées, identifier les défis restants et définir les actions à mener afin de répondre aux attentes toujours vives des populations sinistrées.

À l’ouverture de la réunion, M. Akhannouch a exprimé sa satisfaction quant aux progrès réalisés, soulignant la mobilisation continue des acteurs concernés et la gouvernance rigoureuse qui a marqué la mise en œuvre du programme, selon un communiqué du Département du chef du gouvernement. Il a souligné que les Hautes Orientations Royales constituent une boussole pour l’action des différents départements gouvernementaux concernés, en vue de concrétiser une mise à niveau globale des infrastructures de base, d’œuvrer pour l’aménagement de l’espace territorial et de contribuer à la promotion de la situation sociale de la population locale, ajoute la même source.

Les résultats annoncés donnent certes de l’espoir, mais les plaintes des sinistrés persistent. L’état d’avancement des travaux de reconstruction et de réhabilitation dans la province a atteint 91,33 %, a précisé Hassan Ighighi, coordinateur du programme de reconstruction des zones sinistrées, dans une déclaration à la MAP. Il a précisé que toutes les tentes installées après le séisme pour héberger les sinistrés ont désormais été démontées.

Dans ce même élan, il a indiqué que le taux devrait atteindre 93 % d’ici la fin septembre, puis 96 % dans les deux mois suivants, notant que seuls 4 % des sinistrés n’ont pas encore entamé la reconstruction de leurs habitations. Des chiffres présentés comme un succès, mais qui, sur le terrain, contrastent parfois avec une réalité plus nuancée, marquée par des retards et des situations non résolues. De nombreuses familles n’ont toujours pas entamé la reconstruction de leurs habitations, malgré la réception de la première tranche d’aide, et continuent de réclamer un accompagnement. À cela s’ajoutent les retards liés aux opérations préalables aux chantiers. Selon Mohamed Fahmi, président de la Reach Out Foundation, de nombreuses familles souffrent encore car le système de recensement a présenté des failles, laissant plusieurs sinistrés en marge du dispositif d’aide.
 

Plus de 51.000 habitations reconstruites
Réunie le 10 septembre, la Commission interministérielle a examiné l’exposé détaillé présenté par le directeur général de l’Agence de Développement du Haut Atlas. L’attention s’est portée notamment sur les opérations de reconstruction des logements et sur la réhabilitation des infrastructures essentielles dans les zones sinistrées. À ce jour, ces efforts ont permis l’achèvement des travaux pour 51.154 habitations, marquant ainsi une étape significative dans le processus de retour à une vie normale pour des milliers de familles sinistrées.
 
6,9 milliards de dirhams accordés aux familles
Par ailleurs, le directeur général de l’Agence de Développement du Haut Atlas a également présenté un bilan chiffré des aides financières allouées aux familles touchées par le séisme. Selon les données actualisées, le montant global des soutiens distribués s’élève à 6,9 milliards de dirhams. Sur cette enveloppe, 4,5 milliards de dirhams ont été consacrés à l’aide à la construction et à la réhabilitation des habitations endommagées, permettant à des milliers de familles de reconstruire leur foyer dans des conditions plus sûres et plus dignes. En parallèle, 2,4 milliards de dirhams ont été alloués sous forme d’aides d’urgence directes, fixées à 2.500 dirhams mensuels par famille, afin d’assurer un soutien financier immédiat durant les premières phases critiques post-catastrophe.

Cette réunion a également permis de mettre en lumière les avancées réalisées au niveau de l’ensemble des axes du programme. Ainsi, dans le secteur de l’équipement, les travaux de mise à niveau des 4 tronçons de la route nationale N°7 connaissent une progression allant de 35% à 80% pour un budget de 665 millions de dirhams, en plus de 118 km de routes en cours de construction.
 

306 établissements scolaires opérationnels
Dans le secteur de l’enseignement, les travaux de mise à niveau et de reconstruction ont été achevés au niveau de 306 établissements scolaires. Les travaux de mise à niveau se poursuivent au niveau de 34 autres établissements, en plus du lancement des appels d’offres pour la réhabilitation de 186 établissements scolaires dans les provinces d’Al-Haouz, d’Azilal, de Chichaoua, de Ouarzazate et de Taroudant.
 
78 centres de santé réhabilités
Dans le secteur de la santé, l’effort de reconstruction et de mise à niveau a porté sur un total de 103 centres de santé situés dans les zones sinistrées. À ce jour, les travaux ont été complètement achevés dans 78 de ces centres, permettant ainsi la remise en service d’établissements essentiels pour garantir l’accès aux soins de proximité pour les populations touchées. Par ailleurs, les travaux se poursuivent activement dans les 25 centres restants, où les équipes sont engagées dans les dernières phases de réhabilitation, avec une livraison imminente prévue dans les mois à venir.

 

Relance agricole et accès à l’eau potable
Dans le secteur de l’agriculture, un plan d’action préliminaire a été déployé avec succès, comprenant la distribution gratuite de têtes de bétail et d’orge aux agriculteurs touchés, ainsi que la réhabilitation des infrastructures agricoles et économiques essentielles. Ces mesures ont permis de soutenir directement les exploitations locales et de relancer l’activité agricole, moteur clé de l’économie rurale.

Parallèlement, dans le domaine de l’eau, les efforts se sont concentrés sur l’amélioration de l’accès à l’eau potable pour les populations rurales. Les projets de raccordement au réseau de distribution d’eau dans les provinces d’Al-Haouz, Azilal, Chichaoua, Ouarzazate et Taroudant ont ainsi progressé de manière significative, avec un taux d’avancement de 52%.
 

199 établissements d’accueil touristique rénovés
Dans le secteur du tourisme, la Commission a souligné des avancées significatives, avec la reconstruction et la mise à niveau achevées pour 199 établissements d’accueil touristique. Cela représente 86% des établissements ayant bénéficié de la première tranche de soutien financier allouée à ce secteur, témoignant ainsi de l’engagement et des efforts déployés pour revitaliser l’activité touristique dans les zones sinistrées.

La réunion a par ailleurs permis de faire le point sur l’avancement de l’opération de soutien et d’accompagnement des commerçants en vue de la construction et de la réhabilitation de leurs points de vente, opération qui a bénéficié à 1610 commerçants.

Malgré l’ampleur des aides déployées et les efforts officiels engagés dans la reconstruction, de nombreux sinistrés vivent encore dans des conditions précaires. La Coordination nationale des victimes du séisme alerte sur la situation de centaines de familles qui, deux ans après la catastrophe, survivent toujours sous des tentes en plastique usées, dans un environnement marqué par l’insalubrité et l’abandon. Si le bilan global offre des raisons d’espérer, il rappelle aussi l’importance de ne pas oublier ceux qui restent en marge de la relance. C’est un appel à la solidarité et à la mémoire collective, pour continuer à soutenir ces familles bien au-delà de l’urgence.

Trois questions à Mohamed Fahmi : « À ce jour, plus de 30 000 sinistrés ont été accompagnés par Reach Out Foundation »
Quels sont les résultats concrets des actions menées par Reach Out Foundation, deux ans après le séisme d’Al-Haouz ?

Depuis septembre 2023, Reach Out Foundation est mobilisée auprès des populations sinistrées dans 16 communes. L’organisation a réhabilité huit établissements scolaires et deux maisons de l’étudiant, permettant à 857 élèves de reprendre leur scolarité. Elle a assuré le forage et l’équipement de puits en pompes immergées et panneaux solaires, la réalisation et la réhabilitation de réservoirs et de châteaux d’eau, l’aménagement de locaux techniques, ainsi que l’adduction et la distribution d’eau potable.

En complément, quatre stations photovoltaïques ont été installées, vingt latrines et douches construites, et plus de 4.000 ménages qui ont reçu une aide alimentaire. Une assistance à la reconstruction est également en cours. À ce jour, près de 30.000 personnes ont bénéficié des services de Reach Out Foundation, dont 22.250 en 2024.
 

Quels sont aujourd’hui les principaux défis qui subsistent dans les zones les plus isolées ?

Les principaux défis concernent le relogement des citoyens qui vivent encore dans des habitats précaires, dans un contexte de tension sur le secteur du bâtiment lié à une pénurie de main-d’œuvre. La réhabilitation des infrastructures communautaires, notamment les écoles et maisons de l’étudiant, reste essentielle. L’accès à l’eau représente un problème structurel dans la région Souss-Massa, aggravé par les effets du séisme qui ont modifié les parcours des eaux souterraines.

La relance économique est également urgente, car de nombreuses personnes ont perdu leur emploi ou leurs activités agricoles et d’élevage. Il est aussi crucial de sauvegarder l’identité des territoires à travers la préservation des habitats vernaculaires, véritable levier pour l’éco-tourisme. Le réaménagement des sentiers et des pistes rurales est nécessaire pour améliorer l’accessibilité et renforcer le tourisme de nature.
 

Pourquoi de nombreuses familles sinistrées déclarent-elles encore vivre dans la précarité malgré le bilan positif du gouvernement ?

De nombreuses familles souffrent encore parce que le système de recensement a montré des failles, laissant de nombreuses personnes exclues, tandis que le rythme de vie des citoyens ne correspond pas à celui de l’administration. Par ailleurs, le séisme a mis en lumière la situation désastreuse de nos territoires ruraux et de montagne. L’apport de la société civile, pourtant essentiel, n’a pas reçu la reconnaissance qu’il mérite. Il est aujourd’hui plus impératif que jamais de comptabiliser sa contribution dans le PIB.

Sinistrés d’Al-Haouz : Un cri d’alerte face à des conditions de vie dégradées
Des dizaines de sinistrés se sont rassemblés lundi 8 septembre devant le Parlement à Rabat pour faire entendre leur voix et dénoncer leur exclusion persistante du programme national de reconstruction, deux ans après le séisme meurtrier qui a frappé la région d’Al-Haouz. Malgré une période initiale marquée par des efforts de reconstruction significatifs, la colère des survivants ne faiblit pas. Leur souffrance perdure, et ils réclament justice. Organisée par la Coordination nationale des victimes du séisme d’Al Haouz, cette manifestation visait à dénoncer ce qu’ils qualifient d’« absence d’indemnisation pour de nombreux sinistrés ».

Dans un communiqué publié récemment, la Coordination a alerté sur une réalité préoccupante, des milliers de foyers attendent toujours le versement des indemnités promises, tandis que des dossiers légitimes seraient systématiquement écartés. Face à ces rejets, des familles entières ont été contraintes de quitter leurs villages natals pour s’installer en ville, aggravant ainsi leur précarité sociale et économique.

Par ailleurs, lorsque les aides arrivent, elles se limitent souvent à des réparations partielles, forçant de nombreux sinistrés à contracter des dettes lourdes pour achever des constructions laissées incomplètes. Cette situation révèle que, malgré les avancées officielles, la route vers une reconstruction véritable et équitable reste semée d’embûches pour ceux qui ont tout perdu.

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