À Doha, les pays arabo-musulmans se sont opposés à la volonté israélienne d’imposer une nouvelle réalité dans la région au moment où la paix avec Tel-Aviv n’est plus une garantie de sécurité. Décryptage.
En politique, il n’y a pas d’amis, il n’y a que des intérêts et des alliances de circonstance. Celles-ci changent au gré des caprices et des ardeurs bellicistes des uns et des autres, surtout lorsqu’il s’agit d’Israël, un pays prêt à franchir toutes les lignes rouges au nom de “sa survie”.
Les alliés d’hier sont les cibles de demain ! Qui aurait imaginé un jour le Qatar, l’interlocuteur de prédilection des Israéliens et leur médiateur de choix avec le Hamas, bombardé par Tsahal. L’impensable devient possible. Dans leur quête de décapiter le Hamas, les Israéliens se sont permis de bombarder ses dirigeants au cœur de la capitale Doha au mépris de sa souveraineté. Un affront d’une brutalité inouïe. Bien qu’elle ait raté ses cible principales, l’attaque israélienne a tué six, dont 5 personnalités subalternes du Hamas, et un agent de sécurité qatari.
Le coup de tonnerre est si violent que le petit émirat du Golfe ne trouve pas assez de mots pour exprimer sa frustration de ce “coup de poignard dans le dos” aussi douloureux que celui que Brutus a asséné à César.
Le Qatar, qui se sent trahi par les Etats-Unis, cherche un soutien qu’il peine véritablement à trouver en dehors des lamentations mélancoliques et des indignations verbales.
Des lamentations mélancoliques !
Ce qui a été le cas du Sommet arabo-islamique réuni en urgence à Doha à l’appel conjoint de la Ligue arabe et de l’Organisation de la coopération islamique. Les pays membres se sont succédé au micro pour condamner “avec la plus grande fermeté” l’agression israélienne comme si les mots pouvaient changer quoi que ce soit dans un monde qui ne connaît que le rapport de force.
Dans ce concert de mots creux, on a tout de même eu droit à un record qui n’est pas passé inaperçu : le plus court discours jamais prononcé dans un tel Sommet. Une prouesse signée Ahmed Al-Charaa dont le pays est régulièrement bombardé par les Israéliens sous des prétextes difficilement justifiables alors que le nouveau régime Damas est disposé à normaliser.
En une minute, le président syrien a fait part, dans un arabe éloquent digne des qualifs omeyyades, de sa solidarité avec le Qatar. Un discours qui résume tout le marasme du monde arabe qui manque de leviers pour faire face au bellicisme de plus en plus décomplexé d’Israël. Pour sa part, le Maroc n’a pas prononcé de discours officiel mais sa participation aux travaux est jugée active par son ambassadeur en Egypte et auprès de la Ligue des Etats arabes, Mohamed Aït Ouali.
La crainte du fait accompli
Ce Sommet accouche d’une déclaration finale d’une rare violence. Au-delà de la littérature diplomatique, on retient en gros trois éléments essentiels : solidarité avec le Qatar, condamnation unanime d’Israël et, surtout, un appel à contrer la volonté de l’Etat hébreu “d’imposer une nouvelle réalité dans la région”. Cet appel traduit une véritable crainte des pays arabes, notamment ceux du Golfe, qui commencent à réaliser que la paix avec Israël n’est plus un gage de sécurité.
Une sorte de sonnette d’alarme qui réveille leur instinct de survie. Même le Maroc, l’un des pays les plus modérés, a brisé le silence depuis l’agression du Qatar. Les récentes déclarations du Chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita, en disent long sur le ras-le-bol des extravagances israéliennes.
Rien de concret !
En réalité, ce Sommet a été pour le Qatar une tribune pour obtenir un moyen de pression sur Israël. Raison pour laquelle les pays arabes ont été priés de revoir leurs relations de coopération avec l’Etat hébreu. Difficile de savoir si ce vœu sera exaucé pour un pays qui a longtemps joué un double jeu en parlant ouvertement avec Israël dans les coulisses et en s’en prenant via ses bras médiatiques aux pays signataires des accords d’Abraham.
La crédibilité d’Israël en jeu
La frappe israélienne pose un dilemme majeur et met la crédibilité d’Israël en tant que partenaire dans la balance. Dorénavant, comment faire confiance à Tel-Aviv qui, en deux ans, s’en est pris à plusieurs pays sans donner l’impression de faire un doigt d’honneur à la souveraineté des Etats. Gaza, Liban, Yémen, Iran, Syrie et maintenant le Qatar, les Israéliens, animés d’un sentiment de superpuissance, semblent sauter tous ces verrous et se permettre toutes les obscénités pour assouvir les caprices messianiques des extrémistes au pouvoir. Les propos de Benjamin Netanyahu sur le grand Israël et sa volonté de chasser les Gazaouis de leur territoire ainsi que les bruits qui courent sur l’annexion formelle de la Cisjordanie ne laissent personne indifférent.
L’Egypte se sent directement visée d’autant que les Israéliens veulent depuis des mois lui balancer les Gazaouis. Le Caire y voit un casus belli puisqu’un tel scénario signifie le déplacement de l’idée de la résistance dans son territoire, ce qui donnerait aux Israéliens le meilleur prétexte d’y déplacer la guerre.
Pour les Qataris, on peut le comprendre, le dilemme est d’autant plus poignant qu’ils étaient priés par les Israéliens eux-mêmes et les Américains de faire la médiation avec le Hamas depuis le 7 octobre. Ce rôle d’intermédiaire date de longues années. Doha, rappelons-le, servait de canal de communication pour Benjamin Netanyahu qui fait preuve d’une sournoiserie consternante. N’est-ce pas lui qui a pris soin que le Hamas reste au pouvoir dans la bande de Gaza en laissant l’argent du Qatar couler à flots vers l’enclave aujourd’hui martyrisée ? C’est aujourd’hui connu du grand public. L’indéboulonnable Premier ministre israélien s’est empressé de renforcer le Hamas pour affaiblir l’Autorité palestinienne dans un calcul morbide dont personne ne comprend l’intérêt sauf une volonté de créer les conditions de rendre la solution à deux Etats impossible. Aussi, tous les experts conviennent que le Qatar était « comme un bon endroit pour surveiller le Hamas et l’éloigner de l’Iran ».
Les signaux ambivalents de Washington
Mais, maintenant, les verrous sautent les uns après les autres au moment où la garantie américaine vole en éclat. Donald Trump, bien qu’il soit si proche du Qatar qui l’a comblé de cadeaux (notamment le fameux avion présidentiel) et d’investissements depuis son retour à la Maison Blanche, n’a rien fait pour retenir son turbulent copain israélien. Il semble maintenant se rétracter. « Une telle attaque ne se reproduira pas », a-t-il rassuré ses alliés qataris. En même temps, son Secrétaire d’Etat, Marco Rubio, a promis le « soutien indéfectible » à Israël où il s’est rendu lundi. Allusion faite à Gaza où Israël a une carte blanche américaine.
Rubio, comme son Administration, reste fidèle à ses convictions, il estime que le Hamas est l’unique responsable du carnage actuel. Un groupe de barbares, à ses yeux, qui a perpétré témérairement le massacre du 7 octobre sans se soucier des populations gazaouies qui en payent le prix. Pour les Américains, la porte de sortie du drame de Gaza est claire : il faut que le Hamas, déjà anéanti militairement, rende les armes et libère le reste des otages. Or, le groupe armé y voit son arrêt de mort et son épitaphe. Entre-temps, les civils pâtissent de ce jeu d’échecs dont ils sont les victimes collatérales. Le gouvernement israélien, le plus extrême de tous les Exécutifs hébreux, n’a cure des condamnations internationales. Tous les coups sont permis et toute guerre, aussi génocidaire soient-elle, est bonne à mener pour liquider la résistance.