Le drame de l’Hôpital Hassan II à Agadir n’est que le reflet de la gestion défaillante de la majeure partie des hôpitaux. D’où l’urgence d’accélérer la réforme du système. Décryptage.
Remue-ménage de dernière minute
Face à la presse, le ministre, l’air gêné, a dû reconnaître les nombreux dysfonctionnements qui ont conduit à ce décryptage révoltant. De nombreuses forfaitures ont été relevées lors d’une enquête menée par un comité spécial dépêché sur place pour diagnostiquer la situation. Le ministre a fait état d’absentéisme régulier et injustifié dont les auteurs, selon lui, comparaîtront devant des commissions disciplinaires. Face à ce bilan macabre, il fallait des responsables. Le directeur de l’hôpital a été limogé, ainsi que nombre de responsables régionaux, y compris la directrice régionale. Celle-ci semblait dépassée par la tournure des événements après le scandale des décès. Tahraoui a promis du sang neuf dans la Direction régionale afin de remédier à la situation. Maintenant, 200 millions de dirhams ont été consacrés pour réhabiliter l’établissement qui demeure submergé par un flux de patients de plus en plus croissant. Près de 63.000 patients se sont rendus aux services d’urgence au premier semestre de 2025, soit une moyenne de 150 par jour.
Le remue-ménage concerne également les contrats des prestataires et des sociétés de maintenance qui auront de nouveaux cahiers des charges, plus stricts. Les contrats seront revus et, le cas échéant, annulés, a fait savoir le ministre qui a souligné que de nouveaux appels d’offres ont été lancés.
Reflet de nos hôpitaux !
Ce plan d’urgence est caractéristique de la gestion improvisée du système de santé et soulève moult questions sur la capacité d’action des autorités qui attendent qu’un scandale éclate pour intervenir. Ce drame n’est que le symptôme de la défaillance de notre système de santé. Ce qui s’est passé à Agadir peut arriver, qu’à Dieu ne plaise, dans d’autres régions, sachant que la plupart des établissements hospitaliers, sauf quelques rares exceptions, souffrent des mêmes maux que l’hôpital Hassan II.
S’il y a une chose à retenir, c’est que la réforme globale de la Santé publique, lancée dès 2021 avec des moyens colossaux, ne s’est pas encore traduite en réalité. “Aujourd’hui, la santé est devenue une revendication si prioritaire de la population qu’il faut accélérer la cadence”, fait observer Allal Amraoui, Chef de file des députés istiqlaliens à la Chambre des Représentants, qui souligne que la réforme accuse du retard. En effet, ce retard devient palpable.
Besoin d’accélérer la cadence
On parle de la réforme depuis la pandémie qui a poussé le Maroc à accélérer le chantier. Tout le système a été revu de fond en comble avec une nouvelle gouvernance placée sous la tutelle de la Haute autorité de la santé. Des moyens colossaux ont été mobilisés pour concrétiser le nouveau système. Le paquet a été mis dans les infrastructures avec la réhabilitation de plus de 83 établissements et la création de 5 nouveaux CHU… En parallèle, le gouvernement a essayé de valoriser les ressources humaines dans le cadre de la nouvelle fonction publique de Santé qui prévoit le paiement des médecins à l’acte, en plus du salaire fixe…
En gros, pour rapprocher les services de santé des citoyens, tout le nouveau système décentralisé tourne autour des Groupements territoriaux dont le modèle pilote est expérimenté à Tanger-Tétouan-Al Hoceima. L’objectif est clair : épargner aux gens la peine de se déplacer loin de leur région pour se faire soigner. “Des efforts énormes ont été consentis, certes, mais nous avons accumulé un tel retard qu’on peine à résoudre tous les nombreux problèmes à court terme, c’est pour cela qu’on n’arrive pas à palper les effets de la réforme”, résume M. Amraoui, qui déplore, toutefois, la gouvernance des établissements hospitaliers qui continuent de fonctionner sous l’ancien régime très centralisé. C’est ce qui explique, à ses yeux, la gestion lacunaire qui aboutit aux pénuries et à la dégradation des services. “Tant que ce sera le cas, les mêmes causes produiront les mêmes effets”, met en garde l’ancien directeur de la Santé de la région Fès-Boulemane, qui plaide pour une véritable régionalisation du système. “Les grands chantiers en cours doivent être accompagnés d’une refonte rapide du nouveau système de gouvernance, il faut surtout éviter de revenir à une gestion centralisée”, insiste le député istiqlalien.
Une santé à deux vitesses
Entre-temps, face aux balbutiements du secteur public de la Santé, celui privé progresse en tirant profit de la généralisation de l’AMO dont il accapare les remboursements car les gens, désormais remboursés, se ruent davantage vers les cliniques pour éviter l’«enfer» des hôpitaux de l’Etat. Ce manque de confiance favorise ainsi la privatisation de la santé qu’on peine désormais à dissimuler. Selon M. Amraoui, le secteur public doit absolument jouer son rôle. “Il y va de l’équilibre, de la durabilité et même de la survie de nos caisses d’AMO”, conclut-il.
Ce qui s’est passé à Agadir montre à quel point la santé est devenue une revendication majeure de la population et une urgence nationale. Il faut qu’on prenne conscience qu’il est temps de passer à la vitesse supérieure dans la mise en place de la réforme du système de Santé. Certes, il y a des efforts majeurs qui ont été faits depuis 2018, date du discours Royal qui avait appelé à la refonte du système dans sa globalité, au niveau de la gouvernance, des infrastructures et des ressources humaines. Nous avons pris conscience de l’urgence de la réforme pendant la Covid-19. Depuis lors, on a investi davantage dans les infrastructures. Un immense effort législatif a été réalisé, pour améliorer la gouvernance avec la Haute Autorité de la Santé, les Groupements territoriaux et les ressources humaines dans le cadre de la nouvelle Fonction publique sanitaire. Il y a eu la mise en place d’un arsenal législatif très important pour améliorer la gouvernance qui a toujours été le maillon faible de notre système. Le pari est de tirer le meilleur rendement possible des ressources humaines et matérielles disponibles. Nous avons accumulé un tel retard qu’on peine à résoudre tous les nombreux problèmes. Aujourd’hui, il faut reconnaître qu’il y a retard dans la mise en œuvre de la réforme à plusieurs niveaux. Ce retard, exacerbé par le peu de communication des autorités compétentes, a fait que les ressources humaines, qui sont les chevilles ouvrières de la réforme, commencent à perdre espoir et, par conséquent, à ne pas s’engager dans la nouvelle dynamique.
Qu’est-ce qui peut être fait à court terme pour concrétiser la réforme ?
Heureusement que la généralisation de l’AMO a soulagé un peu le secteur public avec l’afflux croissant vers les cliniques privées. Cela a permis d’amortir le choc. Le secteur public doit absolument jouer son rôle, il y va de l’équilibre, de la durabilité et même de la survie de nos caisses d’AMO. Les grands chantiers en cours doivent être accompagnés d’une refonte rapide de la gouvernance. On parle aujourd’hui des GST, mais les ressources humaines et la gestion des établissements fonctionnent, hélas, encore sous l’ancien régime. Tant que ce sera le cas, les mêmes causes produiront les mêmes effets. Autre impératif majeur : il faut surtout éviter de revenir à une gestion centralisée.
Le drame d’Agadir nous montre les défaillances majeures dans la gestion des ressources humaines. Qu’en pensez-vous ?
Il faut que les nominations aux postes de responsabilité à quelque échelon que ce soit obéissent au principe de la légitimité. Il est important que les postes de gestion soient pourvus par des personnes ayant une carrière scientifique prolifique qui connaissent bien le terrain et les rouages hospitaliers, notamment les services d’urgence. Cela confère aux responsables une légitimité incontestable qui facilite la maîtrise de la gestion des ressources humaines.
Il suffit de constater les ressources dont dispose Souss-Massa pour comprendre l’ampleur de l’indigence du système hospitalier dans cette région. Celle-ci n’est dotée que de neuf structures hospitalières avec 1469 lits pour 3 millions d’habitants. L’hôpital Hassan II à l’origine du scandale compte 513 lits. Cette capacité litière, aussi mince soit-elle, demeure supérieure aux hôpitaux provinciaux qui restent largement moins dotés. Juste à côté, force est de constater que le centre d’oncologie régional ne contient que 30 lits. Dans la région, il n’y a que 550 médecins dont 202 généralistes répartis sur plusieurs établissements. Agadir Ida Outanane compte seulement 263 médecins, dont 68 généralistes et 195 spécialistes. C’est cette dotation qui montre l’ampleur des contraintes qui pèsent sur le système de santé au niveau des régions.
La réforme du système de santé est lancée depuis 2021. Elle fait suite à la généralisation de la couverture sociale qui nécessite une mise à niveau du secteur public afin qu’il puisse répondre aux besoins des nouveaux adhérents à la CNSS. En gros, selon les données officielles, le budget de la Santé a augmenté de 65% au cours des quatre dernières années en passant de 19,7 MMDH en 2021 à 35,6 MMDH en 2025. Les infrastructures sont en cours de réhabilitation. C’est le cas de 1400 centres médicaux de nouvelle génération, dont 949 ont été réhabilités, le reste étant en cours de travaux. Ces centres de proximité sont destinés à atténuer la pression sur les centres hospitaliers. Concernant les CHU, 4 ont été construits à Agadir et Laâyoune, Guelmim, Béni Mellal et Errachidia. Ceux de Rabat, Fès, Casablanca, Marrakech et Oujda sont en cours de réhabilitation. Un budget de 1,7 MMDH a été alloué à cet effet. S’agissant des ressources humaines, le gouvernement aspire à augmenter les effectifs du personnel soignant à 90.000 pour atteindre le seuil de 24 professionnels pour 10.000 habitants avant d’atteindre 35/10.000 en 2035. A cela s’ajoute le renforcement de la formation à travers la création de 3 Facultés de médecine et de pharmacie à Errachidia, Béni Mellal et Guelmim.
Le gouvernement veut augmenter la capacité d’accueil des Facultés de médecine de 88% par rapport à 2019 pour atteindre 7534 places dès 2027. En parallèle, la capacité d’accueil des Instituts supérieurs des professions infirmières et techniques de santé est passée de 4000 à 7000 places de 2021 à 2024, soit une hausse de 75%. En plus des hausses des salaires des médecins et du personnel soignant, il été instauré le paiement à l’acte, en plus du salaire fixe comme mesure incitative.