« Personne ne devrait venir au monde à cette date. » La phrase tombe comme une pierre dans le calme du parc. Elle me la lance avec un sérieux désarmant.
L’arrivée de son bébé était prévue pour le 7 octobre. « Il est arrivé une semaine plus tôt, au dernier jour du mois d’août. Imagine ma joie, mon soulagement », ajoute-t-elle avec un soupir.
Elle n’aime pas cette date, ni aucune autre de ce mois, ni même celles des mois qui ont suivi pendant deux longues années. Pour elle, les octobres sont maudits. Ils ont toujours quelque chose d’obscur, de lourd, de noir.
Cela fait une demi-heure qu’elle marche dans les allées bordées d’érables, bercée par le bruit discret des feuilles rousses d’automne. Cela fait seulement quinze minutes que nous nous connaissons. Elle m’a demandé de remplir sa bouteille à l’abreuvoir pendant qu’elle allaitait son bébé sur un banc en bois clair, légèrement penché vers le lac.
Elle lui parlait dans un arabe oriental doux et chantant. « C’est un garçon ? » lui ai-je demandé. Elle a levé les yeux vers moi, esquissé un sourire. Sa réponse a été une porte entrouverte sur une histoire vaste.
Son père est palestinien, sa mère québécoise. Elle n’a jamais mis les pieds à Gaza, mais depuis le 7 octobre 2023, elle s’y sent liée comme à une racine qui remonte soudain à la surface.
Dix mille kilomètres la séparent des explosions, mais l’écho de Gaza bat dans sa poitrine. « Si je n’avais pas été enceinte, je serais partie dans la flottille vers Gaza », dit-elle sans hésitation. Puis elle ajoute avec détermination : « Ce n’est que partie remise. ».
Elle se promet d’y aller, de prendre part à la reconstruction. « Gaza sera encore plus belle qu’avant », ajoute-t-elle, le regard illuminé.
Nous marchons. Je n’ai presque rien dit ; elle, au contraire, déroule son récit comme si elle l’avait longtemps gardé pour un inconnu disponible.
Pour elle, depuis la date maudite, le monde a vacillé comme rarement auparavant : entre les bombes et les tombes, l’humanité a perdu son reflet. Les fameux droits de l’homme se sont évaporés pour ceux qui crient famine dans les décombres de Gaza. Un droit international enterré dans les fosses communes. « Et pourtant, me suis-je permis de répliquer en regardant son bébé, ce jour-là, comme à chaque jour, des enfants sont venus et continue de venir au monde »
« C’est ça que les bombes n’ont pas compris. » Me répond-elle avec un rire doux avant de poser un léger baiser sur le front de son bébé qui s’est endormi, paisible contre sa poitrine.
À la sortie du parc, elle s’arrête et me regarde droit dans les yeux : « Le 7 octobre 2123, la Palestine, toute la Palestine, sera libre depuis longtemps Incha’Allah. Les gens de toutes religions y vivront en paix. Et Gaza sera une fleur du Moyen-Orient »
Elle marque une pause, puis, juste avant que le feu vert ne se rallume, elle ajoute : « Mon mari est architecte ».
Je n’ai pas demandé si son mari était palestinien.
Nous le sommes tous!
Elle n’aime pas cette date, ni aucune autre de ce mois, ni même celles des mois qui ont suivi pendant deux longues années. Pour elle, les octobres sont maudits. Ils ont toujours quelque chose d’obscur, de lourd, de noir.
Cela fait une demi-heure qu’elle marche dans les allées bordées d’érables, bercée par le bruit discret des feuilles rousses d’automne. Cela fait seulement quinze minutes que nous nous connaissons. Elle m’a demandé de remplir sa bouteille à l’abreuvoir pendant qu’elle allaitait son bébé sur un banc en bois clair, légèrement penché vers le lac.
Elle lui parlait dans un arabe oriental doux et chantant. « C’est un garçon ? » lui ai-je demandé. Elle a levé les yeux vers moi, esquissé un sourire. Sa réponse a été une porte entrouverte sur une histoire vaste.
Son père est palestinien, sa mère québécoise. Elle n’a jamais mis les pieds à Gaza, mais depuis le 7 octobre 2023, elle s’y sent liée comme à une racine qui remonte soudain à la surface.
Dix mille kilomètres la séparent des explosions, mais l’écho de Gaza bat dans sa poitrine. « Si je n’avais pas été enceinte, je serais partie dans la flottille vers Gaza », dit-elle sans hésitation. Puis elle ajoute avec détermination : « Ce n’est que partie remise. ».
Elle se promet d’y aller, de prendre part à la reconstruction. « Gaza sera encore plus belle qu’avant », ajoute-t-elle, le regard illuminé.
Nous marchons. Je n’ai presque rien dit ; elle, au contraire, déroule son récit comme si elle l’avait longtemps gardé pour un inconnu disponible.
Pour elle, depuis la date maudite, le monde a vacillé comme rarement auparavant : entre les bombes et les tombes, l’humanité a perdu son reflet. Les fameux droits de l’homme se sont évaporés pour ceux qui crient famine dans les décombres de Gaza. Un droit international enterré dans les fosses communes. « Et pourtant, me suis-je permis de répliquer en regardant son bébé, ce jour-là, comme à chaque jour, des enfants sont venus et continue de venir au monde »
« C’est ça que les bombes n’ont pas compris. » Me répond-elle avec un rire doux avant de poser un léger baiser sur le front de son bébé qui s’est endormi, paisible contre sa poitrine.
À la sortie du parc, elle s’arrête et me regarde droit dans les yeux : « Le 7 octobre 2123, la Palestine, toute la Palestine, sera libre depuis longtemps Incha’Allah. Les gens de toutes religions y vivront en paix. Et Gaza sera une fleur du Moyen-Orient »
Elle marque une pause, puis, juste avant que le feu vert ne se rallume, elle ajoute : « Mon mari est architecte ».
Je n’ai pas demandé si son mari était palestinien.
Nous le sommes tous!
Mohamed Lotfi
7 Octobre 2025
7 Octobre 2025