Émeutes : Quels recours pour les victimes de casse ? [INTÉGRAL]

De nombreux petits entrepreneurs ont subi d’importants dommages matériels à la suite des actes de vandalisme qui ont eu lieu en marge du mouvement de protestation du collectif “GenZ212”. Me Lahcen Dadsi, avocat au Barreau de Casablanca, nous explique les voies de recours ouvertes aux victimes pour obtenir réparation du dommage.

Les actes de violence, de pillage et de vandalisme survenus en marge des protestations menées depuis la fin de la semaine dernière par le collectif “GenZ212” ont provoqué d’importants dégâts humains et matériels. Car, en plus des pertes humaines et des blessures enregistrées, des agences bancaires ont été la proie des flammes, des commerces ont été partiellement ou totalement détruits et pillés, et des équipements publics gravement endommagés.
 
Les violences commises par des inconnus, dont le collectif “GenZ212” s’est d’ailleurs désolidarisé, affirmant son attachement à la protestation pacifique, ont coûté cher à de nombreux particuliers et entreprises dans plusieurs villes du Royaume. Aux micros des médias, plusieurs sinistrés ont évoqué des pertes considérables qui compromettent la continuité de leur activité économique, souvent unique source de revenus. Un jeune artisan de 24 ans a retrouvé son atelier de fabrication de bijoux en argent complètement saccagé, ce qui a anéanti des années de travail. Des centaines d’autres petits commerçants, dans la vente de parfums, de meubles, d’épicerie ou d’or, ont perdu leurs moyens de subsistance. Ils cherchent désormais à obtenir réparation des dommages subis afin de reprendre leur activité sans encourir de nouvelles pertes, notamment dans un contexte où la faillite est un risque réel. Deux voies s’offrent ainsi à ces citoyens, selon les juristes : recourir à leur assurance ou saisir l’État pour obtenir indemnisation et pouvoir relancer leur activité.
 
Contacté par nos soins, Maître Lahcen Dadsi, avocat au Barreau de Casablanca, explique que les biens assurés contre les émeutes et les actes de vandalisme ouvrent droit à une indemnisation qui permet de couvrir les dommages subis. “Il suffit que la victime intente une action en justice pour que l’assurance intervienne et procède à l’indemnisation, en fonction de la valeur du bien déclaré”, précise Me Dadsi, ajoutant que le nombre de biens assurés contre les émeutes demeure significatif. Cette tendance trouve son essence dans le tournant sécuritaire consécutif aux attentats du 16 mai 2003, qui a incité particuliers et entreprises à renforcer la couverture de leurs biens contre tout risque majeur, y compris les actes de vandalisme. De ce fait, “le nombre de victimes non assurées reste sans doute très limité”, estime-t-il.
 
Pour ces dernières, la voie judiciaire demeure ouverte. Elles peuvent engager la responsabilité de l’État, en tant qu’institution garante de la sécurité publique. Cette action vise à obtenir une indemnisation des pertes subies conformément à la jurisprudence marocaine en la matière.
 
En effet, cette voie trouve son essence dans une jurisprudence établie au Maroc à la suite d’affaires d’agression et de pillage qui ont accompagné des mouvements de protestation violents de l’Histoire récente du pays. Il s’agit de la jurisprudence du tribunal administratif de Fès, rendue à la suite des émeutes survenues dans la zone industrielle lors de la grève générale du 14 décembre 1990, ainsi que celle du tribunal administratif de Marrakech, après les attentats de l’hôtel Atlas Asni en 1994.
 
“À cette époque, la justice administrative avait donné raison aux victimes de la zone industrielle de Fès, qui ont obtenu des indemnisations au même titre que les familles des touristes décédés à Marrakech, au motif que l’État avait failli à son obligation de garantir la sécurité des citoyens sur son territoire”, se souvient l’avocat.
 
 

Obtenir une indemnisation, quel fondement juridique ?

 

Maître Dadsi rappelle que l’État est garant de la sécurité des personnes et des biens conformément à l’article 21 de la Constitution. Ce dernier stipule que “toute personne a droit à la sécurité de sa personne et de ses proches, et à la protection de ses biens. Les pouvoirs publics assurent la sécurité des populations et du territoire national, dans le respect des libertés et des droits fondamentaux garantis à tous”.
 
De ce fait, les victimes d’actes de vandalisme commis dans l’espace public à la suite des protestations de GenZ212 peuvent prétendre à une indemnisation de l’État, sur la base de la théorie de la responsabilité administrative. “L’État avait été averti au préalable de la tenue des protestations par les canaux de communication en ligne du collectif, ce qui l’obligeait à prévenir tout acte qui porte atteinte à l’ordre public et donc prendre les mesures nécessaires pour garantir la sécurité générale. Le déclenchement des violences démontre un manquement à cette obligation”, estime Me Dadsi.
 
Au regard des précédents jurisprudentiels et de la réunion des conditions de responsabilité, il ne serait pas surprenant que la justice administrative engage la responsabilité de l’État et accorde une indemnisation aux victimes leur permettant de relancer leur business, selon les termes du juriste.
 
S’agissant des dommages subis par les institutions publiques, telles que la Gendarmerie Royale ou d’autres services, à la suite des émeutes survenues dans plusieurs villes, Me Dadsi précise que celles-ci peuvent se constituer partie civile dans les procès intentés contre les auteurs de ces actes et réclamer réparation pour les pertes enregistrées.
 
Rappelons à cet égard qu’une requête a été présentée pour mener une instruction à l’encontre de 18 suspects, dont 16 ont été placés en prison sur ordre du juge d’instruction. Selon Zakaria Laaroussi, magistrat, chef de l’unité de suivi de l’exécution des mesures répressives et des décisions judiciaires au sein de la Présidence du Ministère public, 19 suspects sont aussi poursuivis par les parquets compétents en état de détention eu égard à la gravité des actes qu’ils ont commis, notamment les crimes de droit commun.
 
De même, 158 suspects sont poursuivis en état de liberté, tandis que l’affaire a été classée pour 24 suspects, et qu’un groupe de personnes a été relâché après établissement des PV de leur audition. Les personnes impliquées différées en justice risquent de lourdes condamnations qui peuvent aller jusqu’à 20 ans de réclusion et, en cas de circonstances aggravantes, à la perpétuité. Le parquet compte plaider pour les peines maximales prévues par la loi dans ses réquisitions.
 
 

Trois questions à Hicham Makroum : «La garantie grève, émeutes et mouvements populaires est généralement souscrite en extension avec beaucoup de négligences»
Quel regard portez-vous sur la demande d’assurance des biens commerciaux au Maroc ces dernières années ?       
–    L’assurance des risques industriels et commerciaux a connu une évolution significative ces dernières années, t     e d’assurer leurs biens face aux différents risques qui peuvent toucher à leur business. En chiffre, cette assurance a connu, jusqu’en 2024, une évolution de 8.7% avec une contribution d’environ 5% dans la structure globale du chiffre d’affaires marché.   Qu’en est t-il des souscriptions à la garantie “émeutes et mouvements populaires” ?  
 La garantie grève, émeutes et mouvements populaires est généralement souscrite en extension, mais avec beaucoup de négligences. En d’autres termes, elle n’est pas incluse d’office dans le contrat d’assurance mais souscrite de manière forfaitaire sans étudier la situation réelle du client, soit l’analyse de l’exposition au risque et aux valeurs en jeu.  
Aussi, la définition de chacune des garanties mérite plusieurs égards. Une grève au sens du contrat d’assurance est un mouvement collectif des employés ouvriers cessant partiellement ou totalement leur travail. Quant aux émeutes, il s’agit d’un soulèvement ou agitation d’un groupe de personnes causant des troubles à l’ordre public (incendies, vandalisme… lors des manifestations dans la rue). Pour les mouvements populaires, ils correspondent à un rassemblement massif ou spontané des populations exprimant des revendications ou mécontentement sans caractère organisé comme la grève.
  En cas de pillage ou de destruction de son commerce, que doit faire concrètement un assuré pour être indemnisé ?    
 En présence de cette garantie, l’assuré doit déclarer immédiatement à son intermédiaire et à son assureur tout incident ou dégâts de nature à mettre en jeu cette garantie. Il doit également agir en bon père de famille afin de sauvegarder les biens assurés.      
 
 

​Emeutes : Lourd bilan humain et matériel
Les émeutes survenues en marge des protestations du collectif “GenZ”, dans la nuit du 1er octobre, ont été d’une violence terrible, ayant été marquées par les jets de pierres, incendie de pneus, explosion de bonbonnes de gaz ou encore usage d’armes blanches. Elles ont été fortement dénoncées par les autorités publiques, la société civile et le collectif initiateur du mouvement “GenZ” lui-même.
 
Ces agitations ont fait un lourd bilan dans plusieurs villes, notamment à Oujda, Inezgane et Agadir.  Selon les données du ministère de l’Intérieur, trois personnes sont mortes et 354 ont été blessées, dont un jeune homme qui a été percuté par un véhicule des forces de l’ordre à proximité de l’Université Mohammed Ier d’Oujda. Cet accident lui a coûté une jambe alors que l’autre a été grièvement blessée. Admis en service de réanimation dans la même soirée, le jeune a été transporté en urgence à bord d’un hélicoptère médical militaire pour recevoir les soins médicaux nécessaires à l’hôpital militaire de Rabat.
 
Un total 326 blessés ont été également enregistrés parmi les forces de l’ordre et 271 véhicules des forces publiques endommagés, 175 véhicules privés ont été détruits et 80 établissements saccagés, pillés et/ou incendiés, allant des agences bancaires aux bâtiments administratifs, en passant par des infrastructures sanitaires et de sécurité, répartis sur 23 préfectures et provinces. Ces actes ont été menés dans plusieurs cas par des mineurs représentant plus de 70% des participants, parfois 100% dans certains groupes, selon la même source.

​Appel : Pour un plan de soutien aux auto-entrepreneurs sinistrés
Dénonçant les débordements qui ont accompagné les protestations “GenZ”, la Confédération des TPME a alerté sur des pertes lourdes pour les petits entrepreneurs, déjà confrontés à d’importants défis structurels.
 
Selon la Confédération, ces pertes risquent d’entraîner une hausse du chômage, un ralentissement de la dynamique entrepreneuriale et une perte de confiance des investisseurs dans la stabilité du climat des affaires au Maroc.  «Quand 98,4% des entreprises marocaines relèvent de la catégorie des TPME, toute atteinte à cette base économique fragilise la paix sociale», avertit la Confédération.
 
Face à cette situation, l’organisation appelle le gouvernement à intervenir d’urgence pour indemniser les victimes et soutenir les entrepreneurs touchés. Elle propose notamment le recours à l’Initiative nationale pour le développement humain (INDH), au Fonds Mohammed VI pour l’investissement et au Fonds des catastrophes, des facilités fiscales et des prêts sans intérêt, le rééchelonnement des dettes et une intégration effective des entrepreneurs sinistrés dans les programmes d’aide publique.
 

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