Alors que les élèves du Lydex se distinguent chaque année par leurs brillants résultats aux concours des grandes écoles françaises, ceux du secteur public voient, à l’inverse, leur classement reculer, signe d’un déclin généralisé de la qualité de l’enseignement dans les classes préparatoires publiques.
Mais si cette institution caracole en tête des classements grâce au niveau de ses élèves et à la qualité de l’enseignement dispensé, il n’en va pas de même pour les classes préparatoires publiques (CPGE) relevant du ministère de l’Éducation nationale.
Le lycée Moulay Youssef de Rabat, jadis considéré comme le plus réputé et le plus sélectif du pays avant la création du Lydex, n’a réussi cette année à envoyer aucun élève à l’École polytechnique ni aux Mines-Ponts, et seuls six candidats ont franchi l’épreuve écrite de Centrale. “Loin est l’époque où ce lycée envoyait chaque année une dizaine de ses élèves à l’École polytechnique. Aujourd’hui, même l’admissibilité à ce concours d’élite relève de l’exception”, regrette un enseignant.
Hiérarchie implicite
La situation n’est guère plus reluisante pour les vingt-huit autres centres CPGE publics du pays. Selon le directeur de l’un de ces établissements, une hiérarchie implicite s’est installée dans ce cycle sélectif. Le Lydex, en tête, suivi des écoles privées, visent les grandes écoles françaises les plus renommées, tandis que les élèves du public se contentent souvent de lutter pour un classement honorable au Concours national commun (CNC), menant aux écoles d’ingénieurs marocaines.
Cette inquiétante baisse de niveau s’explique aussi bien par des facteurs pédagogiques, organisationnels et financiers que par un certain laisser-aller de la part du ministère de tutelle. À la question de savoir pourquoi son centre CPGE ne rivalise pas avec le Lydex, le directeur d’un établissement public réplique tout de go : “Notre système éducatif étant ce qu’il est, les élèves capables d’intégrer Polytechnique sont une denrée rare. Ils partent tous au Lydex, où ils bénéficient de bien meilleures conditions de réussite”.
Ce siphonage ne concerne pas seulement les élèves les plus brillants, mais également les professeurs les plus expérimentés. “Les partenariats public-privé permettent aux meilleurs professeurs agrégés du secteur public d’être mis à la disposition de fondations telles que le Lydex ou le Lycée d’Excellence Mohammed VI de Casablanca, ainsi que d’établissements privés, comme les classes préparatoires Abou El Kacem Zahraoui à Rabat”, nous explique Mustapha El Moujahid, secrétaire national du Syndicat national des professeurs agrégés du Maroc (SNAM).
Déficit d’enseignants
Ces professeurs agrégés sélectionnés dans le cadre du partenariat public-privé voient non seulement leur salaire augmenter jusqu’à 120% de celui perçu dans la Fonction publique, mais aussi leurs conditions d’exercice s’améliorer considérablement, grâce à un environnement de travail doté de tous les équipements et moyens nécessaires à l’enseignement.
L’envers du décor est que cette situation crée un déficit de personnels et de compétences dans les CPGE publiques. “Nous ne disposons plus d’un nombre suffisant de professeurs agrégés pour assurer l’enseignement dans le public, ce qui entraîne une surcharge de travail, un stress supplémentaire et, inévitablement, une baisse de la qualité de l’enseignement dispensé”, nous apprend Mustapha El Moujahid.
Certains enseignants se retrouvent avec des classes de 36 élèves, contre une dizaine seulement au Lydex, par exemple, et sont contraints d’effectuer des heures supplémentaires qui portent leur volume horaire hebdomadaire jusqu’à 21 heures, alors qu’il devrait normalement être limité à 12 heures.
De plus, le ministère peine à recruter de nouveaux profils, l’agrégation étant un parcours long et difficile, comprenant deux années de formation avec un concours à l’entrée et un autre à la sortie, tandis que les salaires proposés restent peu attractifs. Beaucoup de candidats préfèrent ainsi poursuivre un doctorat et se tourner vers l’enseignement supérieur.
Des enseignants démotivés
“Faute d’expérience et de temps, les enseignants de première année n’arrivent jamais à boucler les programmes de mathématiques ou de physique-chimie. Certes, ils sont particulièrement chargés, mais cela est devenu la norme dans les CPGE publiques. Nous passons donc en deuxième année avec d’importantes lacunes difficiles à combler”, témoigne Ayman Barakat, président du Bureau des étudiants des CPGE au Maroc.
Autour de cette réalité s’est développé un business parallèle des cours particuliers, attirant des élèves angoissés à l’idée d’être largués en deuxième année. “Certains enseignants proposent, durant l’été, des cours intensifs pour rattraper des chapitres essentiels comme l’électromagnétique ou la thermodynamique. Ces sessions s’étalent de 8 heures du matin à 8 heures du soir, de juillet à septembre, à raison de 75 dirhams l’heure”, nous révèle Ayman Barakat.
En seconde année, considérée comme la phase charnière des classes préparatoires puisqu’elle se conclut par les concours, l’écart entre l’enseignement dispensé aux élèves du public et celui dont bénéficient les autres se creuse davantage. Si, au Lydex, les enseignants sont récompensés en fonction des résultats obtenus par leurs élèves, il n’existe rien de tel dans le public.
“On sentait que nos enseignants de deuxième année avaient beaucoup à donner, mais qu’ils ne le faisaient plus, par lassitude et démotivation”, regrette Ayman Barakat, qui poursuit aujourd’hui ses études en France.
La question de la revalorisation des salaires des professeurs agrégés a fait, ces dernières années, l’objet de plusieurs grèves et de cycles de négociations avec le gouvernement. Celles-ci avaient abouti à la signature, le 26 décembre 2023, d’un accord portant sur le renouvellement du Statut unifié des enseignants, incluant notamment des dispositions relatives aux rémunérations et aux promotions des professeurs agrégés. Mais à ce jour, ces mesures n’ont toujours pas été appliquées, laissant enseignants et élèves du public livrés à eux-mêmes.
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