Interview avec Saadia Karam Ouhaddi : « Il faut placer l’humain au cœur des stratégies marketing »

Plusieurs technologies influencent actuellement le marketing 5.0, permettant d’anticiper les besoins des consommateurs qui réclament davantage de transparence. Grâce à l’expertise de Saadia Karam Ouhaddi, Présidente de Colibri Media Groupe et ancienne Dirigeante META, il est établi que ces tendances révolutionnent le secteur. Cependant, il est désormais question de créer les voies et moyens pour que les entreprises marocaines puissent identifier et intégrer ces innovations tout en préservant la dimension humaine dans leur démarche.

Pouvez-vous nous parler de votre expérience dans le domaine du marketing digital ? En outre, quelles sont, selon vous, les innovations les plus marquantes aujourd’hui ?

Mon parcours dans le marketing digital s’est forgé au cours de deux décennies passées au sein de multinationales pionnières dans le secteur. J’ai occupé des postes de direction chez META, Microsoft et TikTok, sur quatre continents, où j’ai été au cœur des décisions qui ont façonné l’évolution du marketing digital à l’échelle mondiale.

Ces entreprises n’ont pas simplement suivi les tendances, elles les ont initiées. Ce qui m’a permis de saisir le potentiel des technologies qui façonnent aujourd’hui le marketing 5.0. Actuellement, les innovations qui, selon moi, transforment le marketing sont l’Intelligence Artificielle (IA) et le social commerce. Cette technologie permet une compréhension fine des comportements, tout en aidant les marques à anticiper les besoins des consommateurs avant même qu’ils ne s’expriment. Quant au social commerce, il fait tomber la barrière entre engagement et transaction, en créant des interactions authentiques et instantanées au sein des réseaux sociaux. Ce sont des opportunités énormes pour le Maroc, un pays qui valorise la relation humaine.

  En vous appuyant sur votre parcours, comment les entreprises marocaines peuvent-elles identifier et s’approprier les tendances globales, comme l’Intelligence Artificielle et le social commerce dans le marketing, tout en respectant les spécificités culturelles locales ?

Le Maroc, avec ses valeurs centrées sur les relations humaines et le collectif, peut adapter ces tendances globales en tenant compte du contexte local. L’IA, plutôt que de remplacer l’humain, doit renforcer les interactions en offrant une meilleure compréhension des attentes des consommateurs marocains et en personnalisant leurs expériences. Cela permet aux entreprises de maintenir l’humain au cœur de la relation.

Le bouche-à-oreille, profondément ancré dans notre culture marocaine, peut être amplifié par le social commerce à travers des influenceurs qui inspirent confiance, créant ainsi des connexions authentiques et durables entre les marques et les consommateurs.

  Quelles stratégies peuvent être mises en place pour favoriser des connexions authentiques avec le public marocain, surtout à l’ère du digital où les consommateurs recherchent plus de transparence ?

L’ère du digital est paradoxale : elle offre une hyper-connexion, mais beaucoup de marques peinent à construire des liens authentiques. La transparence et l’authenticité ne sont plus des options, elles sont devenues des attentes de base. Le public marocain, en particulier les jeunes, recherche des marques qui partagent leurs valeurs. Pour créer des connexions authentiques, il faut sortir des scripts pré-écrits et des messages trop lissés.

Cela signifie qu’il faut investir dans des contenus vrais, des histoires locales, et engager directement les consommateurs dans des dialogues ouverts sans filtre. Montrer l’envers du décor d’une entreprise, son fondateur ou ses engagements pour des causes locales, par exemple, sont des façons de créer une connexion forte. 

  Selon vous, quels sont les principaux obstacles auxquels les entreprises marocaines sont confrontées lors de leur transformation digitale, et comment peuvent-elles les surmonter ?

Les entreprises marocaines sont confrontées à plusieurs obstacles dans leur transformation digitale. Il y a, d’abord, la résistance au changement, souvent liée à une culture d’entreprise ancrée dans des méthodes traditionnelles, et qui freine l’adoption des technologies innovantes. En parallèle, le manque de compétences numériques bloque souvent l’intégration de l’IA et de l’automatisation, tandis que le coût initial des infrastructures numériques, parfois élevé, combiné aux investissements en cybersécurité, représente un autre frein majeur.

Pour surmonter ces défis, les entreprises doivent adopter une approche progressive, en lançant des projets pilotes. Ce qui minimisera les risques et prouvera la rentabilité. Il est aussi crucial d’investir dans la formation continue pour renforcer les compétences internes. Ce qui permet ainsi d’assurer une transition fluide. En outre, les dirigeants doivent être également sensibilisés à l’importance stratégique de ces investissements. Lesquels, à terme, généreront un retour sur investissement significatif et créeront une véritable valeur ajoutée.

  Comment les entreprises peuvent-elles s’assurer que l’humain reste au centre de leur stratégie de transformation digitale, malgré l’automatisation croissante ?

Pour que l’humain reste central dans la transformation digitale, l’IA doit être utilisée comme un outil d’amplification et non de substitution. L’innovation, la créativité et la pensée critique restent des compétences humaines uniques, impossibles à reproduire par les algorithmes.

Si l’IA excelle dans l’automatisation des tâches répétitives, c’est l’humain qui lui insuffle l’innovation et la capacité de jugement éthique. Il est donc essentiel de libérer les collaborateurs des tâches mécaniques pour qu’ils se concentrent sur des activités à forte valeur ajoutée comme la stratégie, l’adaptation rapide et l’innovation.

La formation continue doit être au cœur de cette évolution pour permettre aux employés de développer leurs compétences en tandem avec les technologies émergentes. Enfin, l’éthique doit guider l’usage de l’IA, afin que les décisions critiques restent sous contrôle humain. Les entreprises qui réussiront seront celles qui intégreront ces technologies tout en valorisant le rôle de l’humain comme acteur clé de l’innovation et de la création de valeur.

  Quel est l’impact de l’adoption de ces innovations sur le tissu économique local et comment cela peut-il influencer le développement durable au Maroc ?

L’IA, le social commerce et la digitalisation transforment profondément l’économie marocaine. Ces technologies modernisent des secteurs clés comme l’agriculture, l’industrie et le tourisme, en améliorant la productivité et en réduisant les coûts. L’IA permet une gestion optimisée des ressources, tandis que le social commerce ouvre de nouvelles opportunités pour les entreprises locales en facilitant l’engagement direct avec les consommateurs via les plateformes numériques.

La digitalisation des services et des processus crée également un écosystème propice à l’entrepreneuriat numérique et à l’émergence de startups innovantes, tout en générant des emplois qualifiés.

En matière de développement durable, ces innovations contribuent à réduire l’empreinte écologique grâce à une gestion plus efficace de l’énergie et des ressources naturelles. Ce qui s’aligne parfaitement avec les objectifs du Maroc, comme la Stratégie Nationale de Développement Durable et le Plan Maroc Vert, en matière de croissance verte et de transition énergétique. Cela renforce la position du pays comme acteur compétitif et responsable sur la scène mondiale.

  Dans ce contexte, quelle importance accordez-vous à la collaboration entre les entreprises marocaines et les startups technologiques pour innover dans le domaine du marketing ?

Les startups, avec leur approche axée sur l’agilité et la créativité, apportent des solutions nouvelles et souvent disruptives qui permettent aux entreprises établies de tester rapidement des technologies innovantes comme l’Intelligence Artificielle ou l’analyse prédictive. Dans le contexte marocain, cette collaboration est d’autant plus importante que les grandes entreprises peuvent bénéficier d’une expertise locale et de solutions adaptées aux spécificités du marché.

  Quels sont, selon vous, les dangers ou les dérives auxquels les entreprises marocaines peuvent être confrontées en adoptant ces tendances ? Et comment y remédier ?

L’adoption de l’IA et des tendances innovantes par les entreprises marocaines comporte plusieurs risques. Le premier est une dépendance technologique. Sans stratégie claire, cela peut générer des coûts importants sans retour sur investissement. Pour y remédier, les entreprises doivent tester les technologies à travers des projets pilotes avant de les généraliser.

Un deuxième enjeu critique est celui lié à la cybersécurité. La digitalisation expose les entreprises à des cyberattaques accrues, rendant indispensable l’adoption de systèmes de protection robustes et la formation continue des employés. 

Enfin, l’automatisation peut entraîner une réduction d’emplois, mais cet impact peut être atténué par la requalification et la formation continue des collaborateurs pour les préparer aux nouveaux métiers du digital. Une planification réfléchie et une approche progressive sont nécessaires pour gérer ces risques et maximiser les bénéfices de la transformation numérique.

 

Recueillis par Mariem LEMRAJNI
 

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