​Accompagnement post-viol : L’Etat protège-t-il efficacement ses enfants ? [INTÉGRAL]

Alors que les affaires de viol sont de plus en plus médiatisées et suscitent un vif tollé au sein de la société, la question de l’accompagnement des victimes après le drame se pose avec acuité. Le Maroc dispose-t-il réellement des bases juridiques, infrastructurelles et sociales nécessaires pour assurer une prise en charge adéquate ? Éléments de réponse.

L’affaire du viol du jeune Bashir, survenue lors des festivités du Moussem Moulay Abdellah, a braqué les projecteurs tout au long du mois d’août sur les dispositifs de protection de l’enfance. Après l’intense couverture médiatique, les organisations de la société civile se sont rapidement mobilisées, à la fois pour suivre les procédures judiciaires et pour plaider en faveur de mesures de protection préventives des mineurs. La nécessité d’un dispositif solide s’impose, d’autant que la violence sexuelle envers les enfants est unanimement considérée comme l’une des plus graves violations puisqu’elle porte atteinte à leur dignité, à leur intégrité physique et mentale, ainsi qu’à leur développement.Des avancées ont certes été enregistrées depuis 2015, avec la mise en place de la Politique publique intégrée de protection de l’enfance (PPIPEM), programmée jusqu’en 2025 et visant notamment à renforcer les dispositifs territoriaux de protection de l’enfance (DTIPE). Toutefois, les résultats restent en deçà des attentes, particulièrement en matière d’accompagnement post-viol. «Les différents gouvernements qui se sont succédé ont certes soutenu certaines campagnes de sensibilisation, en partenariat avec des ONG et des bailleurs internationaux, mais cela reste très limité. Le financement est souvent ponctuel, instable ou mal réparti sur le territoire», déclare Bouchra Abdou, militante et présidente de l’association Tahadi.
 

Bonne vision, mauvais process !
 
Placée sous la tutelle du ministère de la Santé, la stratégie mise en place par le Royaume s’appuie d’abord sur un réseau de structures de soins allant des centres de santé de proximité aux unités intégrées dans les hôpitaux, en passant par les établissements médico-sociaux et le secteur privé. Dans chacun de ces espaces, l’objectif est d’accueillir les victimes, de les écouter, de les soigner et de les orienter vers les services adaptés. «La prise en charge ne se limite pas aux soins médicaux», apprend-on de sources officielles, qui ajoutent qu’elle inclut également un soutien psychologique pour aider les victimes à surmonter leurs traumatismes, ainsi qu’un accompagnement social destiné à favoriser leur protection et leur réinsertion.Le programme insiste sur la nécessité d’un suivi coordonné entre médecins, psychologues, assistants sociaux et partenaires extérieurs comme la Justice, la Sûreté nationale ou encore les associations. Un dispositif louable, mais jugé encore lacunaire par la société civile. «Dans la plupart des cas, l’aspect psychologique n’est presque pas pris en compte. Certes, il existe des psychologues privés, mais la majorité des familles touchées par ces drames vivent dans une grande précarité et n’ont pas les moyens d’accéder à ce type de soins», alerte Najat Anwar, présidente de «Touche pas à mon enfant», qui salue l’initiative de SAR la Princesse Lalla Meryem, Présidente de l’Observatoire National des Droits de l’Enfant, qui a lancé en 2023 la création de centres de psychotrauma dans plusieurs villes du Maroc. Ces structures spécialisées constituent une avancée majeure, car elles offrent enfin une prise en charge sérieuse, spécifique et professionnelle. Toutefois, «il y a trop peu de centres d’écoute, notamment en zones rurales», souligne notre interlocutrice, ajoutant que les structures d’aide juridique et psychologique gratuites demeurent rares et souvent surchargées. Selon l’activiste, il est également indispensable d’unifier les pratiques des assistants sociaux sur l’ensemble du territoire. Ainsi, qu’un enfant se trouve à Casablanca, Oujda ou Smara, il pourrait bénéficier d’un accompagnement cohérent, humain et équitable.
 

Une seule main n’applaudit pas
 
Le problème réside aussi dans le fait que l’accompagnement post-viol repose bien davantage sur la société civile que sur les institutions publiques. Malgré l’adoption de lois et la mise en place de dispositifs dédiés, ces dernières restent entravées par des lourdeurs administratives et un manque de formation des professionnels, ce qui compromet une prise en charge spécifique et adaptée des victimes de violences sexuelles. «Sur le papier, les victimes devraient bénéficier d’écoute, de protection et d’accompagnement. Or, dans la pratique, elles se retrouvent confrontées à un véritable parcours du combattant. Dépôts de plainte complexes et décourageants, absence de psychologues spécialisés accessibles, délais judiciaires interminables… les contraintes ne manquent pas», déplore Najat Anwar. Selon elle, les associations tentent de compenser ces carences et de faire preuve de réactivité, mais faute de moyens, d’infrastructures et de financements, leurs actions demeurent limitées. «Notre rôle essentiel, c’est le plaidoyer», souligne pour sa part Fatima Zahra Bilrha, membre de l’Observatoire National des Droits de l’Enfant (ONDE). Grâce à leur contact direct avec les victimes et leurs souffrances, les associations sont en effet les mieux placées pour dresser un diagnostic précis de la réalité, identifier les failles du système et proposer aux institutions des solutions concrètes. Dans ce même sens, Najat Anwar insiste que «de nombreuses victimes se tournent vers les associations, car elles s’y sentent davantage écoutées et crues que dans les structures officielles. Cette confiance nous honore, mais elle illustre surtout le déficit de légitimité et d’efficacité dont souffrent encore les institutions».
 
 
 
Cela dit, nos activistes insistent sur le rôle fondamental de la formation des professionnels. Les médecins, les policiers, les magistrats et les enseignants sont souvent les premiers à être en contact avec des enfants victimes ou à risque. Sans formation adaptée, les signes de souffrance peuvent passer inaperçus, et la victime peut rester sans aide. «Une bonne formation permet non seulement de détecter plus tôt les situations de danger, mais aussi d’apporter une réponse respectueuse, sécurisante et adaptée aux besoins de l’enfant», affirme Najat Anwar. Maintenant que les drames de viol sont de plus en plus graves et dont les échos dépassent nos frontières, la première marche est d’assurer la bonne coordination entre les différents acteurs et renforcer la confiance des victimes et de leurs familles envers les institutions.
 
 

3 questions à Najat Anwar : « Quand un enfant est victime d’une agression sexuelle, la priorité c’est sa santé et sa sécurité »
Quel rôle l’État doit-il jouer dans l’accompagnement des enfants victimes de violences sexuelles ?

– Quand un enfant est victime d’une agression sexuelle, la priorité c’est sa santé et sa sécurité. Il faut l’emmener immédiatement au centre de santé le plus proche, puis le transférer à l’hôpital avec un assistant social. L’hospitalisation doit être rapide et si possible dans une structure spécialisée. Si la ville n’en a pas, il faut l’orienter sans attendre vers une autre ville équipée. Ce qu’il faut absolument éviter c’est de le trimballer de commissariat en commissariat, parce que ça rajoute une seconde violence. À l’hôpital, l’enfant doit rester avec sa mère ou un parent proche. Les démarches policières doivent se faire sur place, en présence de médecins, de psychologues et d’assistants sociaux. Un certificat médico-légal doit être établi immédiatement, avant que les marques physiques ne disparaissent. L’assistant social est clé, il doit à la fois mener une enquête sociale, constituer un dossier médical et mettre en place un suivi pour accompagner l’enfant sur la durée, dans sa scolarité, son équilibre psychologique et son chemin vers la guérison. Enfin, protéger un enfant c’est aussi protéger son intimité. Les médias et la société doivent comprendre qu’il ne faut jamais divulguer d’informations personnelles ou de détails sensibles, car cela peut aggraver son traumatisme plus tard.

Le cadre juridique actuel au Maroc vous paraît-il suffisant pour garantir un accompagnement optimal des victimes après les incidents ?

 
– La loi marocaine est claire : pour le viol d’un enfant, la peine peut aller jusqu’à trente ans de prison. Sur le papier, c’est très sévère. Mais dans la réalité, il y a un problème. Dans une ville, un criminel peut prendre trente ans, et dans une autre, pour le même crime, un autre n’écopera que de vingt ans. Cette différence choque, parce que la loi doit être la même pour tous et partout. Pourquoi ces écarts ? Parce que certains juges se montrent très fermes, alors que d’autres sont plus indulgents. Résultat : la loi perd de sa force, les victimes perdent confiance et les criminels profitent de ces failles. C’est pour ça que nous demandons une réforme. Il faut que nos lois soient alignées sur les conventions internationales que le Maroc a signées, des conventions qui protègent l’enfant sans compromis, qui bloquent l’indulgence et qui empêchent l’interprétation variable des juges. Alors oui, écrire des lois sévères c’est important, mais ce n’est pas suffisant. Ce qu’il faut, c’est une application ferme, la même loi pour tout le Maroc et une réforme en profondeur pour protéger réellement nos enfants.
 

Quels peuvent être les impacts psychologiques à long terme pour un enfant victime de viol s’il n’est pas correctement accompagné ?

 
Les impacts psychologiques d’un viol non accompagné peuvent être très lourds et durables. L’enfant risque de développer des troubles anxieux, une dépression, des troubles du sommeil, une perte d’estime de soi ou encore des difficultés relationnelles. Le traumatisme peut également se traduire par un isolement, une méfiance envers les adultes, et des comportements d’autodestruction à l’adolescence ou à l’âge adulte. Sans accompagnement adapté, ces blessures intérieures peuvent marquer la construction identitaire et affective de l’enfant tout au long de sa vie.

​Trois questions à Fatima Zahra Bilrha : « Les enfants victimes doivent recevoir des soins psychologiques d’urgence au même titre que pour les blessures physiques »
Quelle importance accordez-vous à la formation des professionnels (médecins, policiers, magistrats, enseignants) dans la détection et l’accompagnement des victimes ?

– L’Observatoire national est doté de dispositifs nationaux de l’enfant psychotrauma, ce qu’on appelle le Dispositif National Psycho-Trauma de l’Enfant (DNPTE), une initiative de l’Observatoire National des Droits de l’Enfant (ONDE), instituée en octobre 2023 par la Princesse Lalla Meryem. Suite à une analyse, il s’est avéré que les catastrophes, qu’elles soient naturelles ou humaines ou violentes, mènent à des blessures physiques et aussi psychiques aiguës ou chroniques chez les enfants. Ces enfants doivent recevoir des soins psychologiques d’urgence au même titre que pour les blessures physiques. En ce sens que l’intervention rapide des pédopsychiatres est nécessaire et obligatoire dans ce genre de situations. Le DNPTE comporte des pédopsychiatres, des psychologues, des infirmières volontaires qui sont préalablement formées à ce genre d’interventions. Il est à noter que les formations sont assurées par l’ONDE.
 

Quelles formes d’accompagnement psychologique sont actuellement proposées aux enfants victimes ?

– Dans les cas d’urgence, le DNPTE comporte la Cellule Psycho-Trauma de l’Enfant (CPTE) qui est le dispositif d’urgence de psychotrauma de l’enfant, il est constitué de plusieurs cellules qui servent de pôles de référence régionaux et interviennent aussi lors de déplacements sur le terrain. Nous avons des référents éparpillés sur six villes pilotes. Une fois l’urgence est lancée, l’ONDE appelle le référent de la ville concernée, par exemple pour l’enfant d‘El-Jadida c’était le référant de Casablanca qui a contacté le pédopsychiatre disponible pour faire un constat de l’état de l’enfant ainsi qu’un suivi.
 

Comment la CPTE articule-t-elle son rôle entre l’urgence médicale et la prévention auprès des enfants ?

– Nos référents coordonnent l’activité et les moyens de la CPTE avec les aides médicales territorialement compétentes. Il comprend aussi un dispositif de prévention reposant sur deux volets, le premier permet le renforcement des compétences en santé mentale destinée aux professionnels en interaction avec l’enfant (enseignant, assistante sociale, juge, avocat, policier… etc.) et le deuxième permet une prévention centrée sur l’enfant, la famille, la communauté et l’école.
 

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